3.1.3 La synergie des options des « pédagogues » en question

La compatibilité et la complémentarité des options des « pédagogues »
Les « pédagogues » présentent trois points de vue quant au transfert qui s’avèrent tout à la fois compatibles et complémentaires. Tous considèrent que le transfert porte sur des « micro-expertises » et n’est ni spontané, ni immédiat. La référence que font P. Meirieu et M. Develay ainsi que J.-P. Astolfi et S. Laurent à L.S. Vygotsky signifie qu’il convient de mettre en place une aide au transfert. Ainsi P. Meirieu et M. Develay proposent-ils la dynamique « Contextualisation / décontextualisation / recontextualisation ». Les apprentissages réalisés dans la première phase sont localisés. Les deux phases suivantes visent une prise de distance de l’élève par rapport à ceux-ci. La phase de « décontextualisation » consiste en l’élaboration d’un ou plusieurs principes correspondant à une famille de problèmes. La phase de « recontextualisation » a pour objet la recherche et la spécification de problèmes qui en requièrent l’utilisation. J.-P. Astolfi et S. Laurent fournissent des indications aidant à jauger la difficulté de l’entreprise à laquelle on convie l’élève en ces deux phases : les « Facteurs favorables » qu’ils déterminent à partir de travaux relevant de la psychologie cognitive valent à cet effet. La démarche pédagogique ainsi considérée trouve sa raison fondamentale dans la référence faite à L.S. Vygotsky : l’aide envisagée est censée permettre le transfert sur l’initiative du sujet. Elle autorise la mise en lumière des cadrages pertinents du point de vue d’un domaine de connaissances déterminé. Or, B. Rey avance qu’ils sont le fait d’une intentionnalité nécessaire au transfert.

Un modèle mettant en synergie les options des « pédagogues » pour dépasser l’opposition «  méthodologues  » / «  didacticiens  »
Ainsi, un modèle pédagogique mettant en synergie les options des « pédagogues » se dessine-t-il. Or, sa spécification tient à la nécessité de dépasser l’opposition entre l’option des « méthodologues » et celle des « didacticiens ». Son statut au regard de ces deux options est dès lors à déterminer. P. Meirieu et M. Develay donnent à penser que le modèle considéré est cohérent avec chacune d’elles : « ‘En effet, dans les deux démarches, apparemment contradictoires, [...] on peut, chaque fois, partir d’une situation particulière (disciplinaire ou “a-disciplinaire”), l’analyser pour en tirer des principes en termes d’outils correspondant à une certaine famille de problèmes, et, enfin, tenter le réinvestissement de cet outil en cherchant des problèmes (qui peuvent être, une nouvelle fois, disciplinaire ou “a-disciplinaire” ou interdisciplinaires) où ces outils s’avèrent efficaces’ »1412. Ils soulignent cependant que le modèle de l’apprentissage suggéré ne vise pas à trancher entre les deux courants : il autorise des apprentissages disciplinaires comme des apprentissages qui ne relèvent pas du cadre strict d’une discipline scolaire. Sa pertinence n’est ainsi pas dépendante du domaine de connaissance ciblé.

Modèle pédagogique et postulat inspiré de L.S. Vygotsky
Il convient de noter, toutefois, qu’il est deux postulats aux fondements de ce modèle pédagogique. Le premier a rapport à la référence à L.S. Vygotsky que font J.-P. Astolfi et S. Laurent ainsi que P. Meirieu et M. Develay : elle les conduit à considérer qu’une assistance au transfert autorise qui en a bénéficié à transférer de son propre chef. Cette assertion apparaît déduite de la loi fondamentale du développement des fonctions psychiques spécifiquement humaines de l’enfant de L.S. Vygotsky1413. Il énonce que « ‘Chaque fonction psychique supérieure apparaît deux fois au cours du développement de l’enfant : d’abord comme activité collective, sociale et donc comme fonction interpsychique, puis la deuxième fois comme activité individuelle, comme propriété intérieure de la pensée de l’enfant, comme fonction intrapsychique. ’» Or, L.S. Vygotsky précise que cette loi vaut pour l’enfant et non pas pour l’adulte1414. Ce dernier apprendrait en se servant de cycles de développement déjà accomplis et achevés. Il ajoute : ‘« Toute discipline a un rapport particulier et concret avec le cours du développement de l’enfant. Ce rapport change lorsque l’enfant réalise un passage d’une étape de développement à une autre. »’ 1415 La question se pose alors des limites de validité de la loi considérée : cette question vaut du point de vue de la dichotomie « enfant / adulte » ainsi qu’au regard du couple « nature de l’apprentissage / niveau du développement ».

Modèle pédagogique et postulat relatif à l’option de B. Rey
Il demeure que l’option de B. Rey semble de nature à pallier les zones d’ombre ainsi repérées. Celui-ci donne à penser qu’on peut transmettre l’intentionnalité qui est à la base du transfert. Son analyse conduit à poser que l’intention est élément fondamental à la source du transfert. Il signifie que cette réflexion a lieu d’être parce que la psychologie cognitive est contrainte de rejeter de son champ d’étude la transversalité du fonctionnement mental. Un autre postulat se révèle alors. B. Rey défend notamment sa démarche en se référant à J. Fodor1416. J.-F. Richard indique cependant : « ‘La thèse Fodorienne selon laquelle les processus centraux sont inaccessibles à l’investigation scientifique repose sur l’idée que seuls sont scientifiquement investigables les processus isolables par les méthodes expérimentales reposant sur la manipulation de facteurs. ’»1417 Pour J.-F. Richard, l’étude des activités mentales appelle le recours à un éventail méthodologique plus large. Il envisage ainsi d’user de méthodes expérimentales comparatives, de l’observation en situation contrôlée et de méthodes de simulation. C. Bastien suggère, par ailleurs, qu’on peut penser le transfert sans pour autant supposer l’existence d’une capacité absolument transversale. Cet auteur présente l’analogie comme un processus fondamental d’acquisition de nouvelles connaissances1418. Selon lui, ‘« l’analogie, reposant sur l’activation de connaissances antérieures avec lesquelles peuvent s’établir par ailleurs de nouveaux liens fonctionnels, apparaît bien comme un des processus fondamentaux de l’utilisation et de l’acquisition des connaissances humaines parce qu’elle résulte de l’organisation même de ces connaissances. »1419

La mise en question des postulats sur lesquels repose le modèle pédagogique
C. Bastien indique qu’il y a résolution par analogie « si la connaissance de la solution d’un problème-source est nécessaire à la solution d’un problème-cible »1420. Rappelant sa référence à G. Cellérier, il indique : « ‘si face à une situation-problème on ne dispose pas d’une solution connue, une façon économique de procéder consiste à chercher s’il n’existe pas des connaissances antérieurement acquises qui, moyennant quelques aménagements, pourraient être applicables pour aboutir au but »’ 1421. Cela signifie que le transfert est fonction d’une activation de connaissances acquises qui relève d’un traitement analogique. C. Bastien estime en fait qu’il en va du fonctionnement cognitif lui-même. Selon lui, les connaissances individuelles sont structurée de manière fonctionnelle : elles s’organisent en fonction d’un contexte qui définit les limites de leur validité et la condition de leur efficacité. Leur structuration repose sur une organisation déterminée par les buts de l’action. Or, il signifie que « ‘le traitement analogique est étroitement lié à l’organisation fonctionnelle des connaissances humaines’ »1422. C. Bastien défend en outre que ce processus fondamental vaut pour le jeune enfant comme pour l’adulte. Il s’oppose à J. Piaget, J. Montangero et J. Billeter qui avancent que l’analogie ne peut être utilisée que tardivement dans le cours du développement cognitif1423. Il se réfère à U. Goswami pour souligner que nombre de travaux ont mis en question ce point de vue1424. Il indique, à l’issue d’une revue de question : « ‘L’ensemble de ces recherches souligne la précocité et l’efficacité du traitement analogique dans les processus cognitifs humains et permet de penser que sa mise en oeuvre ne relève pas nécessairement d’une maîtrise des relations logiques formelles. »’ 1425 Le propos de C. Bastien quant au traitement analogique conduit ainsi à douter de l’intérêt des deux postulats repérés.

Notes
1412.

Meirieu (P.), Develay (M.), Op. Cit., p. 166

1413.

Vygotsky (L.S.), Le problème de l’enseignement et du développement mental à l’âge scolaire, in : Schneuwly (B.), Bronckart (J.-P.), Op. Cit., pp. 110-111

1414.

Vygotsky (L.S.), Op. Cit., pp. 112-113

1415.

Ibid., p. 116

1416.

Rey (B.), Op. Cit., p. 154

1417.

Richard (J.-F.), Les activités mentales, Comprendre, raisonner, trouver des solutions, Paris : Armand Colin, collection : U, série : Psychologie, 1998, p. 23

1418.

Bastien (C.), Op. Cit., pp. 139-142

1419.

Ibid., p. 142

1420.

Ibid., p. 139

1421.

Ibid., p. 141

1422.

Ibid., p. 125

1423.

Ibid., p. 130

L’auteur fait référence à :

Piaget (J.), Montangero (J.), Billeter (J.), Les corrélats, in : Piaget (J.), L’abstraction réfléchissante, Paris : PUF, 1977

1424.

Bastien (C.), Op. Cit., p. 130

L’auteur fait référence à :

Goswami (U.), Analogical Reasoning : What Develops ?, A Review of Research and Theory, Child Development, n° 62, 1991, pp. 1-22

1425.

Bastien (C.), Op. Cit., p. 139