3.2.3 Le recours à l’épistémologie des savoirs

La question des modalités d’intervention
On peut ainsi retenir, dans un premier temps, les données stabilisées quant au transfert pour poursuivre la réflexion. Celles-ci apparaissent en cohérence avec le modèle élaboré à partir des options des « pédagogues ». Les modalités d’intervention que suggère ce modèle sont donc à envisager au plan d’une aide au « trans-faire ». Or, celles-ci procèdent de la prise en compte première du contexte déterminant leur validité et leur efficacité. Le modèle pédagogique intègre ainsi une phase essentielle de « contextualisation ». La « décontextualisation » et la « recontextualisation » n’ont, de plus, lieu d’être qu’en fonction de celle-ci . Les opérations d’étayage et de désétayage, quelles qu’elles soient, sont dès lors à organiser de façon première en fonction de la « contextualisation » considérée. Les intentions à transmettre valent ainsi au regard de celle-ci : elles sont censées générer un cadrage dont la pertinence tient au domaine de connaissance ciblé. Les modalités d’intervention en vue du transfert font certes partie intégrante du contexte d’acquisition. Leur mise en oeuvre, cependant, est dépendante de l’objet de savoir considéré. Aussi peut-on défendre que l’aide au transfert appelle, en premier lieu, un examen des contenus d’enseignement. Il est envisageable de s’intéresser aux divers types d’approches proposés pour ce faire, avant que d’en venir au cas particulier de l’EPS.

La question de l’analyse des contenus de savoir : premier type de points de vue
Plusieurs points de vue ont été émis quant à une analyse des contenus de savoir en vue d’aider au transfert. Certains suggèrent le repérage des opérations que requièrent les tâches concernées : L. D’Hainaut, notamment, a proposé, dans un ouvrage sorti en 1977, une grille de lecture pour ce faire1435. Il définit ainsi plusieurs « démarches intellectuelles », par exemple : prendre et traiter de l’information, traduire... Il les considère en outre réductibles à des « opérations cognitives » simples comme : la reproduction ou répétition, la conceptualisation... L. D’Hainaut reprend cette analyse dans un article publié en 1991. Il défend alors qu’elle est fondée au regard de l’épistémologie ; ainsi, selon lui, « ‘Le champ d’étude d’une discipline est inséparable, dans la définition de celle-ci, des actions exercées ou exerçables sur ses objets’ . »1436 Il en vient alors à signifier que l’outil d’analyse qu’il propose a rapport au transfert : ‘« Ainsi donc les disciplines fournissent des opérateurs qui permettent d’exercer des actes cognitifs qui relèvent des objectifs qu’elles poursuivent et du domaine qu’elles traitent, mais sont aussi utiles pour atteindre des buts et traiter des situations qui concernent d’autres disciplines. ’»1437 Les opérations ainsi envisagées, cependant, ont statut d’« atomes de connaissance » valant indépendamment des situations en lesquelles on en use. Or, une aide au transfert suppose une analyse prenant en compte le contexte en lequel de telles opérations sont à l’oeuvre. Le point de vue examiné peut cependant aider à pointer un ensemble d’opérations que requiert un domaine de connaissance donné.

La question de l’analyse des contenus de savoir : deuxième type de points de vue
D’autres propositions visent explicitement cette prise en considération. L’une d’elles émane de J.-L. Phelut et P. Gillet. Ils annoncent certes qu’elle autorise à se passer d’une réflexion au transfert ; ils entendent toutefois par « transfert » une activité mécanique d’application. Selon eux, dans une discipline, « ‘des compétences sont identifiables : elles permettent de résoudre des classes de situations problèmes qui définissent cette discipline en tant que telle’ »1438. Ils considèrent que les compétences mobilisent des connaissances déclaratives et procédurales ; l’intégration de ces connaissances aboutit, indiquent-ils, à la connaissance d’une « situation-type », d’une « matrice situationnelle ». L. D’Hainaut1439, M. Develay1440 ou A. Giordan1441, cependant, invitent à ne pas restreindre a priori l’analyse aux limites formelles d’une discipline scolaire. Ainsi M. Develay observe-t-il que certains découpages disciplinaires sont le fait de particularismes corporatistes. Il jette de fait les bases d’une épistémologie des savoirs scolaires permettant d’envisager une transversalité dans les apprentissages1442. Selon M. Develay, une discipline scolaire se caractérise d’abord par une « matrice disciplinaire », un principe d’intelligibilité. Celui-ci prend forme à travers des objets, des tâches et des connaissances déclaratives ou procédurales.

La question de l’analyse des contenus de savoir : troisième type de points de vue
Ces approches présentent l’intérêt de viser la mise en lumière d’un contexte en lequel valent des connaissances. C. Bastien, cependant, invite à distinguer les connaissances générales et les connaissances individuelles. Seules les premières peuvent, à ses yeux, être étudiées par les épistémologues ; il estime que les secondes concernent les psychologues1443. Aussi indique-t-il : ‘« L’approche logicienne [...] privilégie une organisation hiérarchique des connaissances dont les niveaux sont obtenus par abstractions successives, depuis les connaissances concrètes jusqu’aux concepts les plus généraux. On peut défendre le point de vue selon lequel cette structuration correspond à la meilleure forme pour représenter ou pour conserver [...] des connaissances. Mais elle apparaît particulièrement inefficace pour l’action »’. Il avance de fait que la structuration des connaissances individuelles est fonctionnelle, repose sur une organisation déterminée par les buts de l’action. Il en va à ses yeux d’une analyse fonctionnelle des connaissances pour « ‘définir les éléments de la situation qui sont pertinents du point de vue du sujet’ »1444. Il défend que celle-ci est de nature à autoriser un guidage efficace de l’apprentissage. Il appelle cependant de ses voeux l’étude de la manière dont les connaissances générales se transforment en connaissances individuelles1445.

Pour une nouvelle centration sur l’EPS
Il est ainsi une diversité de conceptions quant à la manière d’envisager une analyse des contenus de savoir en vue d’aider au transfert. L’une d’elles invite à une spécification des opérations mentales autorisant les actes cognitifs relatifs à un domaine de connaissance donné. Cette détermination est envisagée à partir d’un ensemble fini d’opérations : leur repérage est censé rendre compte des actes cognitifs relevant d’un champ d’application donné. Un autre type d’approche vise à mettre à jour la cohérence d’une discipline ou d’un champ disciplinaire. Il s’agit de formaliser l’organisation des connaissances propres à celle-ci ou celui-là au regard de problèmes typiques ou d’un principe d’intelligibilité. Une autre option s’intéresse au caractère contextualisé des connaissances individuelles en regard des connaissances formelles correspondantes. Cet inventaire fait ainsi apparaître des démarches diverses ainsi que des référents théoriques différents. Cette constatation peut inviter à un examen plus approfondi des différents points de vue repérés. Il est à noter, cependant, que les différentes approches repérées ont un caractère relativement général : elles ne sont pas spécifiques à une discipline d’enseignement donnée. Elles signifient ainsi essentiellement des orientations pour une analyse des contenus de savoir en vue d’aider au transfert. Aussi sont-elles principalement de nature à aider à l’examen de celles qui concernent spécifiquement une discipline donnée, en l’occurrence l’EPS. Elles sont alors à spécifier ainsi qu’à analyser et à discuter en regard des trois démarches repérées.

Notes
1435.

D’Hainaut (L.), Des fins aux objectifs de l’éducation, Bruxelles : Editions Labor, Paris : Nathan, collection éducation 2000, 1977, pp. 106-120

1436.

D’Hainaut (L.), De la « discipline » à la formation de l’individu, Cahiers Pédagogiques, n° 298, novembre 1991, p. 20

1437.

D’Hainaut (L.), Op. Cit., p. 21

1438.

Phelut (J.L.), Gillet (P.), Capacité ou compétence, qu’en est-il du transfert ?, in : Université Lumière – Lyon 2, Association Apprendre, Les transferts de connaissances en formation initiale et continue, Colloque international sur les transferts de connaissances en formation initiale et continue, documents préparatoires au colloque, Lyon : Université Lyon 2, Association Apprendre, 1994, p. 313

1439.

D’Hainaut (L.), Op. Cit., pp. 19-20

1440.

Develay (M.), Op. Cit.,pp. 50-51

1441.

Giordan (A.), Pour une synergie entre les disciplines, in : Develay (M.), Meirieu (P.), Le transfert de connaissances en formation initiale et en formation continue, Actes du colloque organisé à l’université Lumière, Lyon 2, 29 septembre – 2 octobre 1994, Lyon : CRDP, collection : Documents, actes et rapports pour l’éducation, 1996, pp. 59-63

1442.

Develay (M.), Op. Cit., pp. 31-61

1443.

Bastien (C.), Op. Cit., p. 143

1444.

Ibid., p. 73

1445.

Ibid., p. 148