1.1 Transfert et conceptions de l’apprentissage moteur

1.1.1 Au regard de la théorie relative aux aptitudes

La justification de la prise en compte de l’approche de J.-P. Famose et M. Durand, au regard de la question du transfert
Les fondements d’une première approche sont donnés par J.-P. Famose et M.  Durand dans un ouvrage publié en 1989. J.-P. Famose y indique : « ‘Les recherches sur l’apprentissage moteur et sur le transfert se sont inscrites, pour la plupart, dans le seul courant de recherche de la psychologie générale. Est-ce que la psychologie différentielle, et notamment son utilisation des méthodes corrélationnelles, est susceptible d’apporter une contribution à la connaissance des processus généraux de l’apprentissage ? ’»1472 Il observe : « ‘Le pratiquant progresse à travers plusieurs niveaux d’habileté. A chaque niveau, les ressources internes qui sont mobilisées et la configuration spatio-temporelle du mouvement qui en résultent diffèrent des niveaux antérieurs’ . »1473 M. Durand distingue deux niveaux auxquels on peut envisager la motricité du sujet : « ‘Le premier, que l’on pourrait dire latent ou profond n’est pas observable, mais détermine les performances réalisées. Le second qui, lui, est directement observable, correspond aux comportements mis en oeuvre dans la situation.’ »1474 Le premier niveau est celui des aptitudes ; R. Thomas signale, dans un autre écrit, qu’elles ne sont accessibles que par inférence à partir de certains indicateurs1475, M. Durand précise que leur spécification procède de l’analyse factorielle1476. J.-P. Famose annonce en outre que leur dénomination appelle l’examen des tâches associées à un facteur donné1477.

La justification de la prise en compte de l’approche de J.-P. Famose et M. Durand, au regard des outils d’analyse produits
On peut alors envisager que les aptitudes requises à un niveau inférieur d’apprentissage peuvent servir pour accéder à un niveau supérieur. J.-P. Famose ajoute : « ‘Fleishman a adjoint des échelles d’estimation du niveau de l’aptitude requise dans la réalisation de la tâche choisie’ »1478. Il fournit alors des exemples, observant que ceux-ci ont été, pour la plupart, validés empiriquement dans le domaine de la psychologie du travail. Aussi ajoute-t-il : ‘« nous nous attachons actuellement à mettre au point empiriquement des exemples similaires mais relevant du domaine des APS’ ». On peut considérer qu’il en va, notamment, de ceux qu’il a fourni dans le premier numéro des Dossiers EPS1479. J.-P. Famose ajoute : « ‘Fleishman a montré qu’il était possible, à l’aide de recherches expérimentales-corrélationnelles, de construire un corps de connaissances sur les interactions tâches-aptitudes.’ »1480 J.-P. Famose signifie qu’il se situe dans le sillage de cet auteur : « ‘La constitution d’un tel corps de connaissances, partie intégrante d’une théorie de l’enseignement des habiletés motrices [...] n’est cependant possible que dans la mesure où l’on dispose d’un système quantitatif de classification des tâches sur une ou plusieurs dimensions. C’est à sa construction que nous travaillons depuis plusieurs années.’ »1481 Il a de fait rédigé plusieurs écrits visant à spécifier un outil d’analyse de la demande d’une tâche motrice. Il indique, en outre, dans un ouvrage publié en 1990, son souci que cet outil soit généralisable à l’ensemble des tâches motrices1482.

Les questions de l’indépendance et de la spécificité des aptitudes

La question du développement des aptitudes
J.-P. Famose observe que chaque test mis en oeuvre par E.A. Fleishman corrèle faiblement avec tous les autres. Il indique alors que B.J. Cratty a émis l’hypothèse que ces tests dépendraient d’une « ‘“superaptitude” faible qui se situerait au-dessus de toutes les aptitudes indépendantes mises en évidence’ »1488. Cette superaptitude pèserait cependant faiblement dans la réalisation d’une performance donnée. Si bien que R.A. Schmidt observe qu’on peut « ‘en faire l’économie dans la logique des travaux de Fleishman »’ 1489. Il demeure que le point de vue de E.A. Fleishman autorise à envisager une perspective de transfert. Se posent dès lors les questions du développement des aptitudes et du jeu des aptitudes dans l’apprentissage moteur. M. Durand rapporte que, « ‘Pour Fleishman, les aptitudes se construisent au cours de l’enfance et de l’adolescence et sont le résultat d’un surapprentissage durant le développement, ce qui explique leur stabilité à l’âge adulte.’ »1490 Il semble que les aptitudes sont initialement indifférenciées. M. Durand se réfère à V.I. Fillipowicz et M. Turovski pour avancer que la pratique sportive influe sur leur différenciation1491. Il signifie cependant, se rapportant à C.E. Noble, qu’on dispose de peu de résultats de recherche quant aux effets de la pratique sportive sur les aptitudes1492.

La question de l’évolution des configurations d’aptitudes au fil de l’apprentissage
Un autre axe de réflexion se révèle toutefois, à partir des travaux de E.A. Fleishman et de ses collaborateurs. J.-P. Famose annonce qu’ils ont montré que la configuration d’aptitudes requise à un niveau donné d’habileté n’est pas celle qui l’est à un autre niveau d’habileté ; il étaye son propos en rendant compte d’une expérimentation de E.A. Fleishman et W.E. Hempel1493. Les résultats signifient que le facteur kinesthésique prend une importance croissante dans la performance, au fil de l’apprentissage. L’hypothèse selon laquelle cette aptitude joue un rôle croissant au fur et à mesure que s’opère l’apprentissage a été émise : une expérimentation de E.A. Fleishman et S. Rich fournit des résultats qui l’accréditent1494. J.-P. Famose observe qu’elle est, en outre, compatible avec différentes descriptions des stades de l’apprentissage moteur, notamment celles de P.M. Fitts, J.A. Adams, A.M. Gentile ou J. Paillard1495. J.-P. Famose signifie alors clairement qu’il en va d’une perspective de transfert : il intitule le paragraphe faisant suite à ces observations « Transfert d’apprentissage »1496. On peut en retenir que le transfert est fonction des configurations d’aptitudes que requièrent la tâche d’apprentissage et la tâche de transfert ; il est à noter, en outre, que ces configurations d’aptitudes varient en fonction du niveau d’apprentissage.

La mise en place d’outils visant à apprécier la demande des tâches motrices
On peut alors caractériser une perspective de transfert. Ce qui a été acquis dans une tâche facile ou simple pourrait servir à faire face à une tâche similaire, plus difficile ou complexe : il s’agirait de mettre à l’oeuvre une configuration d’aptitude pour en mettre en place une nouvelle. J.-P. Famose a ainsi travaillé à l’élaboration d’un modèle permettant d’apprécier la demande des tâches motrices. Il indique : « ‘D’une manière générale, on définit la tâche comme une activité déterminée et obligatoire. [...] C’est pourquoi on peut considérer la tâche, au moment où l’enfant va l’exécuter comme extérieure à lui.’ »1497 Aussi s’attache-t-il à fonder une analyse de la tâche en fonction de critères objectifs. Il s’agit ainsi « ‘d’organiser l’architecture de la tâche pour lui donner les propriétés désirées’ »1498. La démarche de J.-P. Famose prend alors un tour original en regard des travaux de E.A. Fleishman et de ses collaborateurs précédemment considérés. Celui-ci termine son propos quant au transfert en indiquant : ‘« Dans le modèle du traitement par étapes de la théorie de l’information, il y a transfert si les deux tâches sollicitent une étape commune de traitement et à des niveaux équivalents. ’»1499 J.-P. Famose propose de fait, dans un écrit sorti en 1983, un « ‘Tableau général de classification des tâches motrices à caractère bio-informationnel ’»1500.

La question de la pertinence de l’approche présentée
L’outil ainsi élaboré se révèle donc composite : il fait appel aux travaux relatifs aux aptitudes auxquels E.A. Fleishman a fortement participé, il a rapport, aussi, à la théorie du traitement de l’information. On peut avancer qu’il en est de même de l’outil que J.-P. Famose a présenté dans son ouvrage publié en 19901501. Il est cohérent, également, de qualifier de composite le modèle qu’a proposé M. Durand quand aux « ‘exigences bio-énergétiques des tâches motrices’ »1502. Il en est de même de celui de J. Bertsch quant à la créativité motrice1503. Qu’en est-il de la validité de ce type de modèles ? Il semble difficile d’apporter une réponse générale en raison du caractère composite de ceux-ci. J.-P. Famose renseigne quant à celui qu’il a élaboré1504. Il a conduit une expérimentation avec M. Durand et J. Bertsch, dont le compte rendu a paru en 1985. Elle concerne l’apprentissage de la frappe d’une balle avec une crosse de hockey. Un groupe témoin ne réalise la tâche que lors du pré-test et des post-tests. Un groupe contrôle répète la tâche correspondant à ces tests. Le groupe expérimental apprend en se confrontant à une séquence de tâches dont la complexité est progressivement accrue. Il s’avère que seul le groupe expérimental progresse1505. Les mêmes auteurs ont effectué une autre expérience concernant, elle aussi, l’apprentissage de la frappe d’une balle avec une crosse de hockey. Celle-ci visait à comparer les effets d’une augmentation progressive de la complexité suivant qu’elle porte sur : l’incertitude spatiale ou bien la grandeur d’erreur permise d’ordre spatial. La première condition se révèle la plus efficace1506. Cette expérimentation a été reprise par J.-P. Famose et C. Kosnikowski : si la méthodologie a été affinée, les résultats se révèlent être du même ordre1507.

La question de la recevabilité de l’approche présentée
Ainsi, suivant la dimension de la tâche sur laquelle on joue, on favorise plus ou moins le transfert. L’intérêt de l’approche proposée est alors fonction de la pertinence avec laquelle on choisit la dimension de la tâche dont on fait varier la demande. Cette approche se révèle par ailleurs intéressante quant aux présupposés théoriques concernant les configurations d’aptitudes. Les outils relatifs à celle-ci semblent susceptibles d’être affinés mais peuvent néanmoins aider au dosage de la demande d’une tâche motrice. Une tâche relativement facile ou simple requiert une configuration d’aptitudes dont la mise à l’oeuvre peut aider à en réaliser une plus difficile ou complexe. Cela est cohérent avec les deux éléments fondamentaux repérés au plan des travaux généralistes relatifs au transfert. La logique de travail proposée est, de plus, voulue recevable au regard de la finalité d’éducation. Ainsi J.-P. Famose indique-t-il : « ‘De telles tâches, en obligeant l’élève à auto-initier de nouvelles stratégies, permettraient de solliciter sa fonction d’auto-adaptation et pourraient ainsi lui permettre d’apprendre à apprendre. ’»1508 Aussi l’approche examinée est-elle susceptible de contribuer à la mise en oeuvre du principe d’aide au « trans-faire ».

Notes
1472.

Famose (J.-P.), Op. Cit., p. 83

L’auteur fait référence à :

Gagné (R.M.), The conditions of learning, New York : Holt, Rinehart et Winston, 1977, 3ème édition

1473.

Famose (J.-P.), Op. Cit., p. 84

1474.

Durand (M.), Les aptitudes : précisions terminologiques, in : Famose (J.-P.), Durand (M.), Op. Cit., p. 16

1475.

Thomas (R.), Avant-propos, in : Thomas (R.), Eclache (J.-P.), Keller (J.), Les aptitudes motrices, Paris : Vigot, collection : Sport + Enseignement, 1991, p. 9

1476.

Durand (M.), Identification des aptitudes, in : Famose (J.-P.), Durand (M.), Op. Cit., pp. 23, 25

1477.

Famose (J.-P.), Dénomination et définition opérationnelle des aptitudes, in : Famose (J.-P.), Durand (M.), Op. Cit., pp. 31-32

1478.

Famose (J.-P.), Op. Cit., p. 33

1479.

Famose (J.-P.), Stratégies pédagogiques, tâches motrices et traitement de l’information, in : Famose (J.-P.), Bertsch (J.), Champion (E.), Durand (M.), Tâche motrice et stratégies pédagogiques en éducation physique et sportive, Dossiers EPS, n° 1, 1983, pp. 16-17

1480.

Famose (J.-P.), Aptitudes et tâches motrices, in : Famose (J.-P.), Durand (M.), Op. Cit., p. 74

1481.

Famose (J.-P.), Op. Cit., p. 98

L’auteur fait référence à :

Famose (J.-P.), Stratégies pédagogiques, tâches motrices et traitement de l’information, in : Famose (J.-P.), Bertsch (J.), Champion (E.), Durand (M.), Op. Cit., pp. 9-21

Famose (J.-P.), Relations pédagogiques et tâches motrices, in : Thomas (R.), La relation au sein des APS, Paris : Vigot, collection : Sport + Enseignement, 1983

Famose (J.-P.), Vers une théorie de l’enseignement des habiletés motrices, in : Laurent (J.-P.), Therme (P.), L’enfant par son corps, Paris : Actio, 1987

1482.

Famose (J.-P.), Apprentissage moteur et difficulté de la tâche, Paris : INSEP, 1990, pp. 96-97

1488.

Ibid., p. 72

L’auteur fait référence à :

Cratty (B.J.), A three level theory of perceptual motor behavior, Question, 6, 1966, pp. 3-10

1489.

Schmidt (R.A.), Op. Cit., p. 152

1490.

Durand (M.), Aptitudes et développement moteur, in : Famose (J.-P.), Durand (M.), Op. Cit., p. 122

L’auteur fait référence à :

Fleishman (E.A.), Structure and measurment of physical fitness, Englewood Cliffs : Prentice Hall, 1964

1491.

Durand (M.), Op. Cit., p. 124

L’auteur fait référence à :

Filipowicz (V.I.), Turovski (M.), De l’orientation sportive des enfants et des jeunes ainsi que de la différenciation de structure de leur motricité, Traduction INSEP Szczesny (S.), Tieoria Praktika Fisiceskoj Kultury, 11 / 12, 1977, pp. 61-67

1492.

Durand (M.), Op. Cit., p. 123

L’auteur fait référence à :

Noble (C.E.), Age, race and sex in learning and performance of psychomotors skills, in : Osborne (S.T.), Noble (C.E.), Weyl (N.), The biopsychology of age race and sex, New York : Academic Press

1493.

Famose (J.-P.), Aptitudes et acquisition des habiletés motrices, in : Famose (J.-P.), Durand (M.), Op. Cit., pp. 85-86

L’auteur fait référence à :

Fleishman (E.A.), Hempel (W.E.), Relation between abilities and improvement with practice in a visual discrimination rreaction task, Journal of Experimental Psychology, 49, 1955, pp. 301-312

1494.

Famose (J.-P.), Op. Cit., pp. 89-95

L’auteur fait référence à :

Fleishman (E.A.), Rich (S.), Role of kinesthetic and visual abilities in perceptual motor learning, Journal of Experimental Psychology, 66, 1963, pp. 6-11

1495.

Famose (J.-P.), Op. Cit., p. 95

L’auteur fait référence à :

Fitts (P.M.), Perceptual-motor skills learning, in : Melton (A.W.), Categories of human learning, New York : Academic Press, 1964

Adams (J.), A closed-loop theory of motor learning, Journal of motor behavior, 3, 1971, pp. 111-149

Gentile (A.M.), A working model of skill acquisition with application to teaching, Ques, 17, 1972, pp. 3-23

Remarque :

La référence à J. Paillard n’est pas fournie par J.-P. Famose.

1496.

Famose (J.-P.), Op. Cit., pp. 95-96

1497.

Famose (J.-P.), Stratégies pédagogiques, tâches motrices et traitement de l’information, in : Famose (J.-P.), Bertsch (J.), Champion (E.), Durand (M.), Op. Cit., p. 9

1498.

Famose (J.-P.), Op. Cit., p. 12

1499.

Famose (J.-P.), Aptitudes et acquisition des habiletés motrices, in : Famose (J.-P.), Durand (M.), Op. Cit., p. 96

1500.

Famose (J.-P.), Stratégies pédagogiques, tâches motrices et traitement de l’information, in : Famose (J.-P.), Bertsch (J.), Champion (E.), Durand (M.), Op. Cit., pp. 16-20

1501.

Famose (J.-P.), Apprentissage moteur et difficulté de la tâche, Paris : INSEP, 1990, pp. 149-154

1502.

Durand (M.), Les exigences bio-énergétiques des tâches motrices, in : Famose (J.-P.), Bertsch (J.), Champion (E.), Durand (M.), Op. Cit., pp. 23-31

1503.

Bertsch (J.), Caractéristiques des tâches motrices et objectifs pédagogiques : clarté du but, compatibilité et créativité motrice, in : Famose (J.-P.), Bertsch (J.), Champion (E.), Durand (M.), Op. Cit., pp. 35-39

1504.

Famose (J.-P.), Op. Cit., pp. 296-304

1505.

Ibid., pp. 296-299

L’auteur fait référence à :

Famose (J.-P.), Durand (M.), Bertsch (J.), Caraactéristiques spatio-temporelles des tâches et performance motrice, Actes du congrès intrenational « Corps- espace- temps », Marly-le-Roy, 1985

1506.

Famose (J.-P.), Op. Cit., pp. 299-301

L’auteur fait référence à :

Durand (M.), Famose (J.-P.), Berstch (J.), Motor skill acquisition and complexity of the task, Trends and development in physical education, Proceeding of the Conference 1986 Glasgow, Londres : E. & F.N. Spoon, 1986

1507.

Famose (J.-P.), Op. Cit., pp. 301-304

L’auteur fait référence à :

Famose (J.-P.), Kosnikowski (C.), Exigence de précision d’une tâche motrice et apprentissage moteur, in : Vom Hoffe (A.), Simonnet (R.), Recherche en psychologie du sport, Paris : EAP, 1986

1508.

Famose (J.-P.), Stratégies pédagogiques, tâches motrices et traitement de l’information, in : Famose (J.-P.), Bertsch (J.), Champion (E.), Durand (M.), Op. Cit., p. 21