1.3.2 Une intégration pragmatique ?

Des approches concurrentes plutôt que complémentaires
Il a ainsi été repéré diverses approches des contenus de savoir ou d’enseignement, concernant l’EPS, visant à aider au transfert. Une diversité de regards susceptibles d’être portés sur ceux-ci s’est alors révélée. J.-P. Famose et M. Durand suggèrent de les envisager au moyen d’un outil visant à spécifier la demande des tâches. R.A. Schmidt propose qu’on s’intéresse à une pratique variable en fonction, notamment, de la similarité des structurations de mouvement. J. Le Boulch présente les modalités d’une analyse intéressant le développement des fonctions psychomotrices du sujet en rapport avec l’apprentissage. P. Parlebas, enfin, porte attention à l’action motrice qu’induit la logique interne de l’activité pratiquée. Ces différentes approches se révèlent de nature à susciter des choix de contenus à enseigner, voire des modalités d’enseignement, hétérogènes. Ceux-ci s’avèrent même susceptibles d’être radicalement opposés. Cela s’explique au regard des fondements théoriques des approches en présence : on peut ainsi considérer qu’on a affaire à des approches concurrentes plutôt que compatibles ou complémentaires. Cette constatation semble alors inviter à trancher en faveur de l’une d’elles. Encore faut-il qu’il soit tout à la fois pertinent et possible de le faire. Qu’en est-il ?

Intérêts et limites des approches relevant de la recherche en matière d’apprentissage moteur
Des essais de modélisation de la demande des tâches motrices correspondent à l’approche de J.-P. Famose et M. Durand. Seul, celui dont J.-P. Famose est l’instigateur essentiel a fait l’objet d’une mise à l’épreuve des faits conséquente. Les expérimentations effectuées conduisent au questionnement. Celle qu’ont présentée M. Durand, J.-P. Famose et J. Bertsch en 1985 contribue certes à signifier l’intérêt du modèle considéré1654. Les résultats expérimentaux qu’ont donné à connaître ces mêmes auteurs en 1986 indiquent cependant une limite à l’utilisation de ce modèle : selon la dimension de la tâche dont on fait varier la demande, on peut, ou non, favoriser le transfert1655. Cette observation est en outre confirmée par une étude qu’ont conduite J.-P. Famose et C. Kosnikowski1656. L’approche de J.-P. Famose suggère, par ailleurs, une décomposition de l’habileté à apprendre, en fonction d’une analyse technique. Or, P. Parlebas s’est attaché à montrer que cette manière de procéder ne va pas sans limite : elle peut même conduire, indique-t-il à « ‘une impasse pédagogique’ »1657. L’approche de R.A. Schmidt repose quant à elle sur une théorie de l’apprentissage moteur qui a fait l’objet de vérifications expérimentales. L’auteur fait valoir que plusieurs études contribuent à la valider1658. J.-J. Temprado rend compte d’expérimentations concernant la pratique sportive qui accréditent de nouveau cette théorie1659. Il souligne cependant que les études visant à éprouver les effets de la pratique variable fournissent des résultats plus mitigés1660. J.A. Adams signale, de plus, que la théorie de R.A. Schmidt n’explique pas l’acquisition des programmes moteurs généralisés ou des règles autorisant leur paramétrage. Ainsi J.-J. Temprado considère-t-il que la théorie du schéma ne peut rendre compte de l’ensemble des processus à l’oeuvre dans l’apprentissage moteur1661. On peut considérer qu’il en est de même en ce qui concerne les fondements théoriques de l’approche que proposent J.-P. Famose et M. Durand.

Intérêts et limites des approches relevant d’une conception quant au statut de l’EPS
L’approche de J. Le Boulch vise un accès à « l’autotomie motrice », puis, à « ‘l’auto-organisation de ses apprentissages moteurs’ »1662. Il mentionne certes des résultats expérimentaux signifiant qu’il convient d’agir, durant l’enfance, sur la composante psychomotrice du mouvement ; d’autres l’autorisent à défendre que l’action éducative doit porter sur le pôle perceptif1663. Il indique, en outre, pour ce qui est des deux étapes de l’apprentissage qu’il préconise : ‘« Mes observations sur l’apprentissage moteur me firent intuitivement adopter l’hypothèse qu’il était nécessaire de distinguer deux étapes dans l’acquisition des automatismes moteurs [...] Les recherches ultérieures confirmèrent cette hypothèse qui n’a depuis jamais été remise en question.’ »1664 L’auteur, cependant, ne fournit pas de preuve du transfert, de ce qui a été acquis au plan de l’autonomie motrice, à l’apprentissage qu’il qualifie de cognitif. Ainsi le propos de J. Le Boulch comporte-t-il une zone d’ombre notable quant au transfert. L’approche de P. Parlebas le conduit à s’intéresser au transfert « inter-spécifique » au sein de domaines d’action motrice1665. Les résultats de l’expérimentation qu’il a réalisée avec E. Dugas accréditent l’hypothèse d’un transfert, fonction des principes d’actions motrice actualisés : cela suggère une partition des activités physiques en fonction des pôles psychomoteur et sociomoteur. P. Parlebas et E. Dugas avancent qu’ils ont mis en évidence deux domaines d’action motrice hétérogènes1666. Or, P. Parlebas a annoncé plusieurs fois que psychomotricité et sociomotricité sont en interrelation, en continuité1667. Ces observations appellent ainsi un éclaircissement des rapports entre ces deux dimensions de l’action motrice, au regard du transfert. Aussi peut-on considérer que l’approche de J. Le Boulch présente une incertitude fondamentale et que celle de P. Parlebas invite à de nouveaux éclairages.

Les questions de la possibilité et de la pertinence du choix de l’une des approches en présence
Ainsi, chacune des approches en présence présente-t-elle de l’intérêt, mais aussi des limites ou des lacunes. On peut être tenté, en regard de l’examen effectué, de retenir l’approche de P. Parlebas au détriment des trois autres. Cette approche, contrairement à celle de J. Le Boulch, a en effet donné lieu à une expérimentation décisive. Il n’a, en outre, semble-t-il, pas été publié de compte rendu de recherche indiquant qu’on ne peut la prendre pour argent comptant ; or, il en est qui invitent à considérer avec prudence l’approche de J.-P. Famose et M. Durand ou celle de R.A. Schmidt. Il convient cependant de noter que les résultats d’expériences vérifiant le propos de P. Parlebas au plan de l’enseignement de l’EPS sont rares. Si bien qu’on ne peut véritablement fonder de la sorte la supériorité de l’approche considérée sur les trois autres en présence. On peut cependant être enclin à adhérer à la logique de P. Parlebas, quitte à s’attacher à enrichir le champ de connaissance qui lui est relatif. Il est toutefois à observer que l’approche de P. Parlebas correspond pour partie, à tout le moins, à une conception de l’EPS. Aussi est-il judicieux de se remémorer la raison de l’étude entreprise. Elle tient à la question de la « vie physique » en EPS. Or, celle-ci est apparue sans solution parce que procédant de l’affrontement de manières différentes de concevoir l’EPS. Trancher en faveur de l’une des approches repérées peut, en l’état, revenir à tomber dans le travers dénoncé. Aussi convient-il de ne pas statuer si rapidement.

Une intégration pragmatique en tant que pis-aller
Se résoudre à n’opter, séance tenante, pour aucun des points de vue considérés peut sembler d’autant plus sage que d’autres se font jour. Ainsi M. Durand signale-t-il que J.R. Royce et son équipe essaient « ‘d’établir une équivalence entre les constituants des programmes moteurs tels qu’on les étudie dans le cadre de la psychologie cognitive et les facteurs identifiés à partir des approches factorielles’ »1668. R.A. Schmidt, par ailleurs, indique qu’une conception nouvelle de l’apprentissage moteur se développe, relative à l’approche dynamique1669. D. Delignières suggère, en outre, qu’elle est de nature à autoriser une lecture nouvelle des phénomènes de transfert dans le processus d’apprentissage1670. Ne trancher en faveur d’aucune des approches en présence, cependant, revient à les retenir toutes. Or, il a été noté que leurs fondements théoriques sont hétérogènes, qu’elles sont plus concurrentes que complémentaires ; en bref, leur compatibilité a été mise en question. Le repérage de cette incompatibilité relative procède d’une mise en regard des approches en présence au plan de leurs assises théoriques. Il est toutefois à remarquer qu’on peut envisager, au plan pragmatique, de faire appel aux différentes approches inventoriées. On peut, se référant au modèle de J.-P. Famose, proposer, par exemple, au sujet de s’exercer à la frappe d’une balle avec une crosse de hockey. La balle est d’abord à l’arrêt, puis roule à terre jusqu’à un endroit bien défini... Il est alors possible, ce faisant, d’organiser, en référence à R.A. Schmidt, une pratique variable en fonction de la structure fondamentale du mouvement. À supposer que les contraintes de la séquence de tâches autorisent le travail du même pattern moteur. On peut envisager, alors, s’inspirant de J. Le Boulch, un travail analytique visant à ajuster une partie de l’habileté travaillée. Encore convient-il, en ce cas que cela soit adapté aux caractéristiques du sujet. La pratique proposée relèverait, selon P. Parlebas, plus de la psychomotricité que de la sociomotricité. On pourrait ainsi s’attendre à des effets d’apprentissage ne pesant guère au plan d’une pratique des sports collectifs de démarquage... Ainsi les différentes approches en présence peuvent-elles être utilisées de concert par un même enseignant. C’est alors à celui-ci qu’il reviendrait, selon le cas, de trancher quant au recours à celles-ci. Force est cependant de constater qu’on a dès lors guère affaire qu’à un sextant de fortune, au plan de l’aide au « trans-faire »...

Notes
1654.

Famose (J.-P.), Apprentissage moteur et difficulté de la tâche, Paris : INSEP, 1990, pp. 296-299

1655.

Famose (J.-P.), Op. Cit., pp. 299-301

1656.

Ibid., pp. 301-304

1657.

Parlebas (P.), L’affectivité, clef des conduites motrices, Revue EPS, n° 102, mars-avril 1972, p. 22

1658.

Schmidt (R.A.), Op. Cit., pp. 101-109

1659.

Temprado (J.-J.), Op. Cit., pp. 71-72

1660.

Ibid., p. 76

1661.

Ibid., p. 76

1662.

Le Boulch (J.), Mouvement et développement de la personne, Paris : Vigot, collection : Essentiel, 1995, p. 296

1663.

Le Boulch (J.), Op. Cit., p. 15, 16

1664.

Ibid., p. 9

1665.

Parlebas (P.), Dugas (E.), Transfert d’apprentissage et domaines d’action motrice, Revue EPS, n° 270, mars-avril 1998, pp. 41-42

1666.

Parlebas (P.), Dugas (E.), Op. Cit., p. 45

1667.

On le note dans :

Parlebas (P.), La sociomotricité, Revue EPS, n° 86, mai 1967, p. 10

Parlebas (P.), La psycho-sociomotricité, Revue EPS, n° 87, juillet 1967, p. 12

Parlebas (P.), L’éducation des conduites de décision, Revue EPS, n° 103, mai-juin 1970, p. 27

1668.

Durand (M.), Aptitudes et habiletés : critiques et perspectives, in : Famose (J.-P.), Durand (M.), Op. Cit., p. 166

1669.

Schmidt (R.A.), Op. Cit., p. 103

1670.

Delignières (D.), Op. Cit., p. 64