Au regard de l’examen des différentes approches repérées
Quatre approches des contenus de l’EPS censées autoriser une mise en cohérence de ceux-ci de nature à aider au transfert ont été repérées. Les approches de J.-P. Famose et M. Durand, de R.A. Schmidt et de P. Parlebas ont été mises à l’épreuve des faits. Les expérimentations effectuées montrent l’intérêt de chacune d’elles au regard du transfert. Elles signifient cependant les limites des deux premières mentionnées. Il s’avère, en outre, que celle de P. Parlebas appelle à un affinement du découpage proposé des situations mettant à l’oeuvre l’action motrice. L’approche de J. Le Boulch intègre, quant à elle, nombre de données scientifiquement vérifiées. Elle comporte cependant une zone d’ombre essentielle qui correspond à une hypothèse n’ayant pas fait l’objet d’une vérification. Ces considérations peuvent inviter à départager les différentes approches en présence. Il s’avère cependant qu’elles ne diffèrent pas qu’au plan de l’analyse des contenus de l’EPS qu’elles suggèrent. Elles ont rapport, en sus, à des regards discriminants portés sur le transfert, sinon à des conceptions hétérogènes du processus de transfert. Il s’avère en être de même des approches généralistes examinées. Ainsi est-on conduit à envisager qu’un examen des contenus d’une discipline ou d’un champ disciplinaire est indissociable d’un point de vue quant au transfert. Il peut s’agir de cadrages divers quant à un même phénomène ou de conceptions différentes des processus qui le sous-tendent.
Pour la prise en compte du champ de pertinence des approches concernant spécialement l’EPS
Il convient, en tout état de cause, de s’enquérir du champ de pertinence de chaque approche relative à l’EPS. On peut d’emblée supputer que celui-ci diffère de l’une à l’autre. Il est cependant à noter qu’elles ont un caractère commun en tant qu’elles autorisent à penser une aide au « trans-faire ». Or, chacune porte, en premier lieu, sur la motricité. L’aide au « trans-faire » est ainsi envisagée au plan de la mise à l’oeuvre de la motricité dans l’apprentissage. Ainsi l’approche de J.-P. Famose et M. Durand renvoie-t-elle à une conception de l’apprentissage moteur comme processus vertical1743. En outre, J.-P. Famose signale que cette conception diffère de celle de R.A. Schmidt1744. Or, une tentative visant à rendre compte de la motricité semble par nature indissociable d’une représentation de l’homme. J. Le Boulch, par exemple, a tenté de modéliser « ‘l’ensemble des fonctions psychomotrices, énergétiques et opératives de l’organisme autonome en interaction avec l’environnement’ »1745. Il s’est, de plus, opposé, au nom d’une conception de la psychomotricité que reflète ce modèle, à l’approche de P. Parlebas1746. Il en irait ainsi du fondement commun aux approches examinées, par-deçà ce qui les distingue. L’examen envisagé vise dès lors à déterminer si chaque approche met en cohérence un regard sur l’homme, un point de vue sur la motricité, sur l’apprentissage moteur et sur le transfert. Il s’agit, par surcroît, de s’assurer que cette mise en cohérence est essentielle à l’approche étudiée, qu’elle en signifie l’unité, l’homogénéité.
Au regard de l’approche de J.-P. Famose et M. Durand
L’approche de J.-P. Famose et M. Durand repose sur deux champs de savoir fondamentaux. L’un émane de la psychologie différentielle : il est essentiellement question des travaux de E.A. Fleishman et de ses collaborateurs quant aux aptitudes1747. La référence à ce courant de recherche invite à envisager le transfert d’une configuration d’aptitudes utilisée dans une tâche relativement simple ou facile : il s’agit de la mettre à l’oeuvre dans une tâche similaire et plus difficile ou complexe, pour mettre en place une nouvelle configuration d’aptitudes. L’autre référence majeure a trait ‘« au modèle du traitement par étapes de la théorie de l’information ’»1748. J.-P. Famose s’y rapporte pour indiquer qu’« il y a transfert si les deux tâches sollicitent une étape commune de traitement et à des niveaux équivalents ». On peut considérer que le traitement de l’information sollicite des aptitudes ; il est ainsi une relation avec la perspective de transfert repérée à la lumière de la psychologie différentielle. Ces considérations sont cohérentes avec un propos quant à l’apprentissage moteur. Ainsi J.-P. Famose se rapporte-t-il à « ‘La théorie de l’information appliquée au comportement moteur’ » pour suggérer l’introduction d’une incertitude progressive dans la tâche1749. Il propose en outre une ‘« Décomposition de la tâche principale en tâches secondaires’ »1750. Celle-ci appelle une analyse de l’habileté à acquérir qui peut porter sur la tâche à accomplir ou sur la technique à réaliser1751. L’homme est alors envisagé comme système de traitement de l’information en relation avec un ensemble d’aptitudes autorisant de multiples configurations. L’ensemble est ainsi indissociable d’une conception de ‘« L’apprentissage moteur comme processus vertical »’
1752 et de la prise en compte du transfert vertical.
Au regard de l’approche de R.A. Schmidt
L’approche de R.A. Schmidt tient à deux éléments essentiels : d’une part, le concept de programme moteur généralisé, d’autre part, celui de schéma de réponse. L’un et l’autre autorisent à rendre compte de la variabilité de la réponse motrice, entendue comme adaptation à des conditions de réalisation variables. Ces deux concepts se révèlent centraux dans la présentation que fait R.A. Schmidt des « ‘Principes de la performance motrice humaine’ » dans un ouvrage sorti en 19931753. L’homme apparaît ainsi comme système de traitement de l’information en relation avec des classes de réponses motrices potentielles requérant un paramétrage. R.A. Schmidt expose aussi, dans son écrit sorti en 1993, les « ‘Principes de l’apprentissage des habiletés motrices’ ». Il s’exprime, à cette occasion, quant à l’apprentissage du transfert et de la généralisation1754. Son discours apparaît cohérent avec son analyse des principes de la performance motrice humaine. R.A. Schmidt envisage, d’une part, le transfert au plan de la « structuration fondamentale du mouvement » : son propos intéresse directement le concept de programme moteur généralisé. Il suggère, en outre, une perspective de transfert concernant les « Eléments perceptifs » et les « Similarités stratégiques et conceptuelles » : il est question, en premier chef, du traitement de l’information.
Au regard de l’approche de J. Le Boulch
L’approche de J. Le Boulch trouve sa raison dans un souci de favoriser le développement du sujet par le biais du mouvement. Cela tient à une conception de l’homme, au regard de l’évolution. J. Le Boulch s’en est expliqué, notamment, dans un ouvrage sorti en 1971. Il y annonce que le développement du système nerveux et du psychisme représente la tendance fondamentale de l’évolution animale1755. Il précise que l’augmentation du volume du cerveau résulte de l’enrichissement des zones d’association. Ce sont celles, indique-t-il, qui arrivent à maturation les dernières. Il avance que leur extension et le maintien de leur plasticité « ‘permet à l’homme d’échapper aux comportements stéréotypés’ »1756 Il ajoute que le comportement peut ainsi devenir la « ‘manifestation d’une certaine forme d’effort en direction d’un but ’». Dès lors, note-t-il, aux variables immanentes de la conduite se superposent les variables cognitives : « ‘L’ajustement moteur peut à ce niveau être induit par une véritable représentation mentale ’». J. Le Boulch reprend ce propos dans un ouvrage sorti en 1995 et souligne que « ‘le cerveau humain n’est pas le cerveau animal auquel s’ajouterait une superstructure supplémentaire, le néo-cortex, qui devrait être l’objet de toute notre sollicitude dans l’action éducative’ ». Il défend que les réactions motrices du nouveau-né sont spécifiques, que « ‘Le psychomoteur et le cognitif interagissent dès les premiers stades du développement mais ne se déduisent pas l’un de l’autre.’ »1757 Il en va d’une implication quant à l’aide au développement, que J. Le Boulch annonce de nouveau dans un ouvrage qui a paru en 1998 : il s’agit d’assurer le raccordement de deux ensembles fonctionnels, les fonctions psychomotrices et les fonctions cognitives1758. Le transfert, envisagé au plan d’un ajustement conscient des automatismes, est ainsi phénomène résultant d’un processus longitudinal. La mise en place de celui-là, comme la mise en oeuvre de celui-ci, est envisagée au regard de l’évolution. J. Le Boulch explique notamment que la complexité de l’ajustement postural tient à ce que « ‘l’homme du XXe siècle n’a pas encore maîtrisé la station debout’ »1759.
Au regard de l’approche de P. Parlebas : la référence à la théorie de J. Piaget
P. Parlebas défend, dans la Revue EPS de juillet 1968, que « ‘la prise de conscience du vécu psycho-socio-moteur est la clef du changement, c’est-à-dire du transfert et de l’apprentissage’ »1760. Il indique que J. Piaget a donné ses lettres de noblesses à la motricité : « En soulignant “
‘l’unité fondamentale de l’action et de l’intelligence sous son aspect opératif”, il incite à reconsidérer la place de l’éducation physique dans l’éducation.’ »1761 P. Parlebas cite encore J. Piaget, annonçant : « ‘sous le langage et la conceptualisation, la connaissance est d’abord une action sur l’objet et c’est en quoi elle implique en ses racines mêmes, une dimension motrice permanente, encore représentée aux niveaux les plus élevés’ ». P. Parlebas observe de fait : « ‘Cette conception de la motricité est un aspect majeur de ce que nous entendons par psychosociomotricité »1762.’ Il précise qu’il est question des « “schèmes” de l’action », avant que de noter : « ‘Quand Piaget écrit [...] que “toute acquisition nouvelle consiste à assimiler un objet ou une situation à un schème antérieur en élargissant ainsi celui-ci, c’est en filigrane, sa conception du transfert qu’il définit”’ »1763. P. Parlebas montre cependant que « La réversibilité est inconnue de la motricité. »1764 Il démontre ensuite que la motricité ignore l’additivité, la commutativité et l’associativité. En conséquence, « ‘la simple pratique des activités physiques n’entraîne pas ipso facto le développement des possibilité opératoires’ »1765. P. Parlebas suggère alors qu’une pédagogie propice à l’élaboration de schèmes autorise à « ‘épurer la motricité de ses aspects immédiats et contingents, pour en dégager les systèmes de relations généralisables à d’autres situations »1766. ’
Au regard de l’approche de P. Parlebas : une prise de distance vis-à-vis de la théorie de J. Piaget
On pressent ainsi une prise de distance vis-à-vis de la théorie de J. Piaget. P. Parlebas indique en effet : « ‘Aussi paradoxal que cela paraisse, nous pensons que Piaget néglige la motricité en tant que telle.’ ». P. Parlebas observe, de plus, que J. Piaget insiste sur l’événement moteur dans l’avènement de l’intelligence, sous l’angle de la genèse : ‘« En clair, si cette motricité a joué un rôle important, c’est dans la mesure où elle est devenue inutile. A l’ascension de la pensée répond une chute de la motricité’ ». Ainsi reproche-t-il à J. Piaget d’avoir omis que le raisonnement opératoire « ‘peut être réfléchi sur le plan de la motricité ’»1767. P. Parlebas relève que la réflexion de J. Piaget a rapport à un questionnement sur l’homme qui n’est pas tranché1768. P. Parlebas met en regard, pour illustrer son propos, deux citations extraites d’ouvrages de J. Piaget :
« ‘la logique devient a priori, si l’on peut dire, mais lors de son achèvement et sans l’être à l’origine !’ » ;
« ‘la nature du sujet est de constituer un centre de fonctionnement et non pas le siège a priori d’un édifice achevé’ ».
L’analyse est la suivante : « Piaget apparaît ainsi au centre d’une contradiction qui reste en suspens, interrogation fondamentale sur l’homme ».
Au regard de l’approche de P. Parlebas : conceptions de l’homme et de la motricité et point de vue quant au transfert
P. Parlebas considère que la réflexion de J. Piaget n’autorise pas à formaliser de façon pertinente les rapports qu’entretiennent intelligence et motricité. P. Parlebas indique de fait : « ‘Piaget semble entraîné vers une image du corps à dominante intellectualiste, faisant parfois songer [...] à un néo-cartésianisme’
. »1769. Aussi semble-t-il judicieux à P. Parlebas de « ‘dégager la notion d’une intelligence psycho-motrice qui témoignerait de la profonde interdépendance de ces deux plans.’ »1770 Il la qualifie de fait, tout à la fois, de « motricisée » et de « motricisante ». On peut considérer, dès lors, que sa manifestation correspond à l’actualisation de principes d’action motrice, fonction de l’activité physique pratiquée. P. Parlebas se montre, par ailleurs, réservé quant à une conception des rapports entre affectivité et cognition qu’il attribue à J. Piaget. P. Parlebas critique une représentation de l’affectivité comme déclencheur d’un apprentissage qui s’opérerait dans un temps et un espace qui tendraient à devenir objectifs et dépersonnalisés1771. Il avance que l’affectivité est, au contraire, en interaction constante avec la cognition : ainsi indique-t-il que la perception est affective, de même que l’affectivité est perception1772. Aussi comprend-on qu’à ses yeux, « ‘En éducation physique, les conduites d’intelligence consistent toutes à tendre vers la maîtrise de l’action dans la lucidité d’une affectivité reconnue et accordée aux impératifs et à la réalité de l’objectif’
. »1773 Ces constatations le conduisent ainsi à concevoir que le transfert est transfert de principes d’action motrice. Elles l’amènent, aussi, à souligner qu’il est «stéréo-transfert »1774. Il adopte ainsi ‘« une conception d’un transfert qui repose sur la relation, cette relation mettant en correspondance les différentes dimensions de la personnalité : biologique, affective, cognitive, expressive’ ».
Par exemple :
Famose (J.-P.), Apprentissage moteur et difficulté de la tâche, Paris : INSEP, 1990, pp. 184-188
Famose (J.-P.), Aptitudes et acquisition des habiletés motrices, in : Famose (J.-P.), Durand (M.), Op. Cit., pp. 83-84
Par exemple :
Le Boulch (J.), Op. Cit., p. 259
Le Boulch (J.), Entretien avec... Jean Le Boulch, Revue EPS, n°183, septembre-octobre 1983, p. 48
Famose (J.-P), Op. Cit., pp. 83-100
Ibid., p. 97
Famose (J.-P.), Apprentissage moteur et difficulté de la tâche, Paris : INSEP, 1990, pp. 295-304
Famose (J.-P.), Op. Cit., pp. 281-286
Ibid., pp. 287-290
Ibid., pp. 187-188
Schmidt (R.A.), Op. Cit., pp. 15-163
Ibid., pp. 243-244
Le Boulch (J.), Vers une science du mouvement humain, Introduction à la psychocinétique, Paris : Les éditions ESF, 1971, pp. 52-53
Le Boulch (J.), Op. Cit., p. 55
Le Boulch (J.), Mouvement et développement de la personne, Paris : Vigot, collection : Essentiel, 1995, p. 166
Le Boulch (J.), Le corps à l’école au XXI e siècle, Paris : PUF, collection : Pratiques Corporelles, 1998, p. 121
Le Boulch (J.), Op. Cit., p. 300
Parlebas (P.), Motricité émiettée et motricité structurée, Revue EPS, n° 93, juillet 1968, p. 22
Parlebas (P.), L’intelligence motrice, Revue EPS, n° 101, p. 27
Parlebas (P.), Op. Cit., p. 28
Ibid., p. 27
Ibid., p. 28
Ibid., p. 29
Ibid., p. 30
Ibid., p. 31
Parlebas (P.), L’éducation des conduites de décision, Revue EPS, n° 103, mai-juin 1970, p. 29
Parlebas (P.), Op. Cit., p. 30
Parlebas (P.), L’intelligence motrice, Revue EPS, n° 101, p. 31
Parlebas (P.), L’affectivité, clef des conduites motrices, Revue EPS, n° 102, mars-avril 1970, pp. 21-22
Parlebas (P.), Op. Cit., p. 22
Parlebas (P.), L’éducation des conduites de décision, Revue EPS, n° 103, mai-juin 1970, p. 30
Parlebas (P.), L’affectivité, clef des conduites motrices, Revue EPS, n° 102, mars-avril 1970, p. 24