Des systèmes de pensée intégrant une vision de l’homme, une conception de la motricité, de l’apprentissage et un point de vue quant au transfert
L’approche de J.-P. Famose et M. Durand invite à un regard particulier sur l’homme. Il est envisagé comme système de traitement de l’information mettant en jeu des aptitudes. Ce système autorise à produire des réponses motrices s’adaptant ainsi peu à peu à des contextes de réalisation de plus en plus sollicitants. L’apprentissage est alors considéré comme processus vertical, le transfert, envisagé en tant que transfert vertical. L’approche de R.A. Schmidt conduit à porter un autre regard sur l’homme. Ce dernier est conçu comme système de traitement de l’information en relation avec des classes de réponses motrices appelant un paramétrage. Il en va de l’élaboration d’un schéma de réponse permettant un éventail de réponses motrices de plus en plus large. L’apprentissage et le transfert peuvent alors être jugés processus horizontaux. L’approche de J. Le Boulch tient à une vision de l’homme au regard de l’évolution. Il est vu comme un être qui né inachevé, dont le développement requiert le raccordement des fonctions psychomotrices et des fonctions cognitives. Cette aide au développement est censée autoriser un ajustement conscient des automatismes moteurs ; le transfert est ainsi phénomène s’opérant en fonction d’un processus longitudinal. L’approche de P. Parlebas conduit à envisager l’homme comme être doué d’intelligence motrice. L’action motrice, fonction de la logique interne de la situation sportive vécue, touche ainsi en sa globalité le sujet. L’apprentissage porte sur des principes d’action motrice, psychomoteurs ou sociomoteurs, requiert et autorise un « stéréo-transfert ».
Pour un nouvel examen des approches généralistes
Le champ de pertinence de chaque approche concernant l’EPS se révèle tenir à une conceptions de la motricité. Cette dernière réfracte une représentation de l’homme, si bien que l’une et l’autre sont indissociables. Elles constituent, en chaque cas, en relation avec un point de vue quant à l’apprentissage et au transfert, un système de pensée cohérent. On peut ainsi considérer que les approches examinées ont des champs de pertinence différents. Chacune est en effet indissociable d’une conception de la motricité, elle-même en relation avec un regard sur l’homme. La relation entre celle-ci et celui-là constitue dès lors le fondement commun aux différentes approches en présence. Il convient cependant de déterminer si l’explicitation des approches généralistes signifie des systèmes de pensée intégrant un regard particulier porté sur l’homme. Il en va de la pertinence à considérer qu’un point de vue quant au transfert tient à une conception de l’homme. Les approches de L. D’Hainaut, de J.-L. Phelut et P. Gillet, de M. Develay et de C. Bastien sont ainsi à examiner à nouveau. Il s’agit de s’enquérir, au plan des discours correspondants, d’une vision de l’homme qui serait indissociable d’une manière d’envisager le transfert.
Au regard des approches de L. D’Hainaut, J.-L. Phelut et P. Gillet,M. Develay
L. D’Hainaut ambitionne de doter l’élève de cadres conceptuels, d’opérateurs mentaux et d’attitudes relatifs à un champ disciplinaire. Selon lui, les disciplines, parce qu’elles sont structurées, permettent « ‘une structuration de l’acquis et/ou une modification de la structure cognitive de la personne’ »1775. L’homme est ainsi conçu comme dépositaire d’une structure dont dépendent les opérations requises pour faire face à l’environnement. Ce sont de fait des opérateurs, dont L. D’Hainaut envisage le transfert. J.-L. Phelut et P. Gillet, s’interrogeant quant au transfert, en viennent à proposer qu’on enseigne des compétences. Cela suppose, indiquent-ils, un enseignement à base de situations problèmes. Ils considèrent qu’à une discipline correspondent des situations problèmes caractéristiques. Ils envisagent en outre que l’élaboration d’une « ‘matrice situationnelle » est « constitutive du sujet compris comme Système de Représentation et de Traitement’ »1776. Ainsi un point de vue quant au transfert est-il mis en cohérence avec un regard sur l’homme. M. Develay considère, pour sa part, que la sélection des savoirs à enseigner correspond d’abord à un choix de valeurs1777. Cela suggère que la matrice disciplinaire, en fonction de laquelle il envisage la cohérence des savoirs, véhicule ces valeurs. Les savoirs à enseigner sont ainsi héritage « porteur de valeurs universelles »1778. Pour M. Develay, « ‘L’idée de l’homme, du citoyen et du travailleur se dégagerait alors du contenu de l’héritage. » ’La mise en lumière de celle-ci requiert, selon lui, une épistémologie des savoirs : l’analyse historique et sociologique est notamment de mise1779. Or, M. Develay envisage le transfert au regard du principe d’intelligibilité d’une discipline : l’homme est perçu comme être transmettant un héritage à une génération qui doit en repérer la cohérence.
Au regard de l’approche de C. Bastien : phylogénèse, sociogénèse et psychogénèse
L’idée d’héritage se retrouve dans le propos de C. Bastien. Ce dernier signale que l’analyse fonctionnelle
un système phylogénétique responsable de l’évolution de l’espèce ;
un système sociogénétique reposant sur les échanges synchroniques (intra-générations) et diachroniques (inter-générations) permettant la croissance des acquis à travers les générations ;
un système psychogénétique, responsable des acquisitions d’un individu. »1780
C. Bastien précise que la psychogénèse et la sociogénèse ont un fondement phylogénétique et exercent en retour une action sur la phylogénèse. Il signifie aussi que ‘« L’évolution sociogénétique produit un milieu “logiciel” auquel les [...] psychogénèses doivent s’adapter’ »1781. Il ajoute que ‘« [...] dans le système cognitif, des “règles épigénétiques”, issues de la phylogénèse, imposent en quelque sorte des déformations locales de la surface adaptative psychogénétique, autres que celles qui sont produites par son propre fonctionnement, et qui assignent ainsi des “valeurs cibles” à l’adaptation, soit positives (“attracteurs”), soit négatives (“répulseurs”). »’ 1782 Il en résulte des chemins préférentiels pour le développement. Aussi l’analyse fonctionnelle tient-elle compte de l’état initial du système psychogénétique ; elle prend en considération, aussi, les régularités repérées au plan des réponses des sujets placés en situation problème1783. Or, C. Bastien suggère que le transfert est fonction de la structuration fonctionnelle des connaissances individuelles.
Au regard de l’approche de C. Bastien : connaissances individuelles et analogie
Selon C. Bastien, le cerveau serait en outre « “pré-architechturé” pour la psychogénèse »1784. Les schèmes seraient par conséquent ‘« rangés en fonction de leur contenu avec le contenu de même nature que constituent ses “précurseurs”’ ». C. Bastien souligne qu’‘« Une conséquence importante de cette indexation fonctionnelle est que le système est décentralisé ’». Ainsi ne pourrait-on accéder aux connaissances que par composition de proche en proche. Les liens constitués entre les schèmes au cours de la psychogénèse constitueraient les voies d’accès. Celles-ci seraient, qui plus est, hiérarchisées. L’accès au réseau, quant à lui, serait fonction du champ d’attention : « ‘La centration fonctionne donc comme un “situateur” ’»1785. C. Bastien défend, par ailleurs, que l’analogie opère comme un situateur dans l’espace des schèmes, autorisant l’activation des connaissances correspondantes1786. L’analogie est ainsi conçue comme processus fondamental de l’utilisation et de l’acquisition des connaissances individuelles car résultant de leur organisation1787. Or, l’analyse fonctionnelle vise à spécifier les connaissances individuelles initiales, au niveau desquelles un guidage est envisagé1788. Elle autorise ainsi la spécification des réponses que le sujet peut anticiper, les analogies qu’il peut opérer. Cela est censé permettre leur invalidation et leur dépassement. L’approche de C. Bastien repose ainsi sur la modélisation d’un « système auto-constructeur »1789, qui rend compte de l’apprentissage et du transfert : l’un, comme l’autre, est censé dépendre des connaissances individuelles initiales.
D’Hainaut (L.), De la « discipline » à la formation de l’individu, Cahiers Pédagogiques, n° 298, novembre 1991, p. 24
Phelut (J.-L.), Gillet (P.), Op. Cit., p. 313
Develay (M.), Op. Cit., p. 16
Ibid., p. 17
Develay (M.), Donner du sens à l’école, Paris : ESF éditeur, collection : Pratiques et enjeux pédagogiques, 1996, pp. 58-59
Bastien (C.), Op. Cit., pp. 39-40
Bastien (C.), Op. Cit., p. 40
L’auteur fait référence à :
Cellérier (G.), Le Constructivisme génétique aujourd’hui. Organisation et Fonctionnement des schèmes, in : Inhelder (B.), Cellérier (G.), Op. Cit., p. 233
Bastien (C.), Op. Cit., p. 41
Ibid., pp. 73-89
Ibid., p. 42
Ibid., p. 43
L’auteur fait référence à :
Cellérier (G.), Op. Cit., p. 276
Bastien (C.), Op. Cit., p. 141
Ibid., p. 142
Ibid., pp. 73-79
Ibid. p. 41