2.3 Pour une acquisition fondamentale

2.3.1 La spécification d’une acquisition à réaliser

Le repérage du fondement commun des approches relatives à l’EPS
Différentes approches des contenus de savoir ou d’enseignement ont été examinées. Quatre d’entre elles concernent directement l’EPS. Toutes se sont révélées à prendre en compte dans la perspective de donner corps au principe pédagogique de l’aide au « trans-faire ». Chacune, cependant, s’avère tenir à un point de vue quant au transfert qui la distingue des autres. On peut faire la même constatation pour ce qui est des quatre approches généralistes examinées. On est alors conduit à considérer qu’une approche des contenus visant à aider au transfert est indissociable d’une manière de percevoir le transfert. Ainsi doit-on envisager que les différentes approches étudiées présentent, chacune, leur pertinence, ce qui revient à dire que chacune a son champ de pertinence. Elles ont cependant en commun le fait de permettre de formaliser une aide au « trans-faire ». La mise en regard des champs de pertinence des approches relatives à l’EPS en rend compte. Cette confrontation permet de repérer que chacune autorise à mettre en cohérence des points de vue quant à l’homme, à la motricité, à l’apprentissage et au transfert. Un nouvel examen des approches généralistes confirme le bien-fondé de ce repérage. Chacune reflète une manière de voir l’homme en relation avec une façon de penser le transfert. Ainsi le fondement commun des différentes approches concernant l’EPS a-t-il été mis en lumière.

En regard de l’approche dynamique de l’apprentissage moteur
Il est à rappeler que deux approches concernant l’EPS ont été envisagées, qui n’ont pas été retenues, pour l’étude aboutissant à cette spécification. L’une émane de C. Pineau : l’auteur n’a pu stabiliser une démarche autorisant la spécification des savoirs de l’EPS transférables. L’autre a paru prometteuse, qu’on dénomme approche dynamique de l’apprentissage moteur. Or, son unité tient, là encore, à une mise en relation de points de vue sur l’homme, sur la motricité, sur l’apprentissage et sur le transfert. Ainsi D. Delignières indique-t-il : « ‘On a montré [...] que la fréquence d’oscillation des membres, dans la locomotion, était étroitement liée à la longueur des membres [...] dans diverses espèces animales. L’homme ne fait pas exception à cette règle, se situant à peu près au niveau de l’impala »’ 1790. Cela suggère, ajoute-t-il, que le l’hypothèse d’un contrôle cognitif, centralisé et exhaustif de la motricité n’est pas pertinente. Le système est ainsi « ‘souvent modélisé comme un ensemble d’oscillateurs fonctionnant simultanément et s’influençant réciproquement’ ». Le comportement du système est censé émerger de l’interaction des contraintes qui pèsent sur lui1791. Les paramètres d’ordre qui rendent compte de ce comportement sont fonction de la modélisation opérée : il s’agit notamment du décalage de phase et du rapport de fréquences. Les paramètres de contrôle, comme les informations comportementales, de nature à modifier une coordination préférentielle, en dépendent également. Ainsi D. Delignières envisage-t-il la vitesse de déplacement comme paramètre de contrôle essentiel du système1792. À propos des informations comportementales, il annonce notamment que ‘« le feed-back ne semble efficace que s’il porte sur le paramètre d’ordre’ »1793. Il avance, en outre, que l’apprentissage modifie ‘« l’ensemble du paysage des attracteurs, c’est-à-dire la dynamique du paramètre d’ordre »’. Cela suggère une lecture des phénomènes de transfert : « ‘l’acquisition d’une coordination nouvelle peut avoir pour résultat la déstabilisation de coordinations naturelles ou précédemment apprises, mais en retour elle peut favoriser l’exercice de coordinations non pratiquées jusqu’alors’ ».

Pour une réflexion au problème de la « vie physique »
Les résultats de cet examen de l’approche dynamique sont ainsi cohérents avec ceux de l’analyse des approches relatives à l’EPS initialement retenues. Ils sont en outre en phase avec les conclusions de l’étude des approches généralistes. Ces constatations concourent à signifier qu’il en va d’un phénomène général. On peut ainsi réfléchir, à partir de son repérage, au problème de la « vie physique » en EPS. Celui-ci s’est révélé correspondre à la question du transfert pour ce qui est de l’EPS. Le principe pédagogique de l’aide au « trans-faire » a été émis : il s’agit d’aider le sujet à utiliser ce qu’il a appris pour apprendre encore. Ces données ont alors appelé une étude des modalités d’analyse des contenus de savoir, visant à une mise en cohérence censée aider au transfert. Or, l’examen des approches relatives à l’EPS, comme celui des approches généralistes, révèle essentiellement leur hétérogénéité. Chaque approche retenue concernant l’EPS présente ainsi un champ de pertinence qui lui est propre. Tous, cependant, ont un point commun caractéristique. L’hétérogénéité des approches en présence correspond ainsi à des points de vue différents quant au transfert qui ont chacun leur champ de pertinence. Il est possible de chercher à combiner ces approches au plan pragmatique. On dispose alors d’un sextant de fortune pour tenter de donner corps à l’aide au « trans-faire ». Une réflexion visant à trancher en faveur de l’une des approches considérées fait problème en raison même du fait que chacune a son champ de pertinence. Il convient donc, en premier lieu, de réfléchir à l’aide au « trans-faire » à partir du fondement commun à celles-ci.

Des champs de pertinence spécifiant des principes d’intelligibilité
La formalisation du principe de l’aide au « trans-faire » tient au repérage de deux éléments fondamentaux pour penser le transfert : il s’avère porter sur des « micro-expertises » et fonction du contexte d’acquisition. On peut envisager le fondement commun aux approches relatives à l’EPS au regard de ces deux éléments fondamentaux. On a l’idée qu’un abord de la motricité, reflétant un regard sur l’homme, détermine les limites de validité de l’apprentissage et du transfert. Il en résulte qu’il en fixe aussi les limites d’efficacité. C’est ainsi que les situations vécues dans la logique d’une approche sont de nature à autoriser des transferts qui sont fonction du champ de pertinence correspondant. Elles sont censées permettre, aussi, si on tient pour acquis que le transfert porte sur des « micro-expertises », des ajustements, également fonction de ce champ de pertinence. Ainsi peut-on considérer que les situations vécues actualisent une manière de concevoir la motricité et de percevoir l’homme. Il est, en ce sens, question d’un contexte d’acquisition qui distingue une approche de toute autre. Il détermine donc les possibilités de transfert, si on considère que le transfert est fonction du contexte d’acquisition. Le champ de pertinence d’une approche induit ainsi une mise en cohérence des acquisitions. Il paraît correspondre alors à ce que M. Develay dénomme une « matrice disciplinaire » ou un ‘« principe d’intelligibilité » : il s’agit du « creuset qui constitue le fondement de la discipline ’»1794.

Des approches dont la logique induit l’acquisition d’un point de vue
Il est ainsi une condition pour qu’un élève puisse apprendre ou transférer dans la logique de l’une des approches relatives à l’EPS considérées : il faut qu’il oeuvre effectivement dans cette logique. L’apprentissage, comme le transfert, procède d’une adhésion actualisée à un point de vue concernant la motricité et l’homme et participe de celle-ci. On comprend ainsi, par exemple, que P. Parlebas insiste sur le fait qu’à une conception de l’éducation physique correspond une conception de l’homme. Il souligne notamment que « ‘Les théories concernant l’homme ne sont pas indifférentes à qui se penche sur l’éducation physique : qu’on le veuille ou non, celle-ci est dépendante d’une conception de l’homme, de la société, de la culture.’ »1795 On est ainsi conduit à noter une implication du travail qu’effectue l’élève dans la logique de l’une des approche concernant l’EPS considérées : il requiert la mise en place et autorise la mise en oeuvre d’un point de vue concernant la motricité, comme l’homme. Il est alors une conséquence majeure à la prise en compte de cette acquisition, qui touche tout à la fois l’apprentissage et le transfert. Chaque fois que le sujet adhère à ce point de vue, il progresse doublement au plan de l’apprentissage et du transfert. Il réalise un apprentissage ou un transfert dans une situation particulière ; il renforce ou accroît une possibilité d’apprendre ou de transférer.

Le repérage d’une acquisition fondamentale
Or, l’étude des approches concernant l’EPS révèle l’hétérogénéité des points de vue possibles : à chacune correspond un regard particulier sur l’homme et la motricité, lié à une manière d’envisager l’apprentissage et le transfert. P. Parlebas souligne, de plus, que son approche autorise à envisager des transferts de différents types : il l’indique notamment dans un écrit diffusé par la Revue EPS de mai-juin 19701796. Revenant, dans un autre article, sur sa classification des situations motrices, il ajoute : « ‘l’importance des différentes classes sera appréciée de façon variable selon les normes pédagogiques et philosophiques adoptées »1797.’ Ainsi, un point de vue qui concerne l’homme et la motricité, l’apprentissage et le transfert signifie-t-il une position parmi d’autres possibles. Or, chacune de ces positions correspond à une approche qui a son champ de pertinence, pour ce qui est du transfert. En regard de leur hétérogénéité, c’est alors moins la position qui compte que le fait qu’il en est une. C’est ainsi que les différentes approches concernant l’EPS concourent à signifier une acquisition : elle réside dans le repérage qu’une mise à l’oeuvre de la motricité est mise en scène d’une représentation de l’homme. Elle est alors acquisition minimale pour ce qui est de chaque approche. Elle est, cependant, acquisition fondamentale au regard de l’ensemble des approches : elle est à la base de l’adhésion à un cadre de travail qui autorise le transfert.

La relation aux conceptions quant à la « vie physique » en EPS
Cette acquisition correspond ainsi à la mise en place d’un rapport à la pratique de l’activité physique. Il s’agit de la vivre et de la concevoir comme une activité humaine, c’est-à-dire comme activité faisant partie intégrante de la vie, de sa vie. Cela revient à la considérer comme activité élaborée par l’homme et de nature à façonner l’homme, procédant de la vie humaine comme participant à celle-là. Or, on perçoit cette idée au plan de chaque conception relative à la « vie physique » en EPS. Ainsi J. Le Boulch annonce-t-il que ‘« L’autonomie motrice visée par la psychocinétique permet non seulement de faire le choix de ses activités d’entretien et de développement en fonction de ses goûts et de ses possibilités, mais encore de bien les gérer. »1798 ’ G. Cogérino considère pour sa part que « ‘L’idée de maintenir une pratique physique à tous les âges de l’existence est liée à la perception de bénéfices associés à cette pratique, ainsi qu’à la perception du “besoin” [...] qu’en aurait l’individu. »’ 1799 D. Delignières et C. Garsault indiquent quant à eux : « ‘[...] la meilleure formation que l’on puisse donner aux élèves en vue de leur permettre d’avoir dans l’avenir une vie physique positive n’est-elle pas de leur faire vivre le plaisir de la pratique sportive, ou plutôt de leur permettre de construire une relation de plaisir avec les APS ? ’»1800 Ils suggèrent, de fait, qu’il est question d’une acquisition prioritaire. J. Eisenbeis et Y. Touchard prônent, eux, un abord particulier de la pratique de l’activité physique, qui correspond à la mise en place d’une « conduite de sécurité »1801. Or, ils précisent : « ‘Dans un souci d’éducation à la sécurité, c’est la relation qui s’établit entre l’enfant et l’environnement qui est importante’ »1802. Il est ainsi question de l’accès à une manière de pratiquer l’activité physique qui participe d’une relation au monde.

Une acquisition correspondant à une posture
Une acquisition fondamentale a ainsi été repérée à l’examen des approches des contenus relatifs à l’EPS censées contribuer à une aide au « trans-faire ». Il s’avère qu’elle est de nature à valoir au regard des conceptions concernant la « vie physique » en EPS. Cela en signifie l’intérêt : des regards distincts quant à un même problème se révèlent concourir à caractériser un type d’acquisition à opérer. Les divergences portent ainsi essentiellement sur les modalités d’enseignement qui l’autorisent. Cela invite à prolonger la réflexion sur ce plan. Il convient toutefois, en premier lieu, de dénommer l’acquisition fondamentale repérée. Cette dernière consiste en un point de vue de nature à autoriser l’apprentissage et le transfert. Sa mise à l’oeuvre correspond à l’actualisation d’une adhésion à un regard sur la motricité indissociable d’une manière de concevoir l’homme. Celle-là est prise de position qui tient à une manière particulière de percevoir, de concevoir et de vivre la pratique physique. Selon J. Picoche, le terme « posture » vient du latin « sinere, situs » qui signifiait à l’origine « laisser placer » et a pris par la suite le sens de « permettre »1803. Le composé « ponere », issu de « *po-sinere » a donné le terme « positio, -onis » : « action de mettre en place » ou « position ». J. Picoche précise que le mot « posture », a été mis en place au seizième siècle, signifiant « position ». Celui-ci semble ainsi approprié pour rendre compte de l’acquisition repérée : elle est position à l’égard de l’activité physique, correspondant à une manière d’appréhender la pratique physique.

Notes
1790.

Delignières (D.), Op. Cit., p. 62

1791.

Ibid., p. 61

1792.

Ibid., p. 65

1793.

Ibid., p. 64

1794.

Develay (M.), de l’apprentissage à l’enseignement, Paris : ESF éditeur, collection : Pédagogies, 1992, pp. 43-44

1795.

Parlebas (P.), L’éducation des conduites de décision, Revue EPS, n° 103, mai-juin 1970, p. 30

1796.

Parlebas (P.), Op. Cit., p. 26

1797.

Parlebas (P.), Pour une épistémologie de l’éducation physique, Revue EPS, n° 110, juillet 1971, p. 20

1798.

Le Boulch (J.), Op. Cit., p. 348

1799.

Cogérino (G.), Gérer sa vie physique : contribution des enseignants d’EPS, Université de Caen : Centre de Recherches en Activités Physiques et Sportives, mai 1997, p. 16

1800.

Delignières (D.), Garsault (C.), Apprentissages et utilité sociale : que pourrait-on apprendre en EPS ?, in : René (B.X.), A quoi sert l’éducation physique et sportive ?, Dossiers EPS, n° 29, 1997, p. 158

1801.

Eisenbeis (J.), Touchard (Y.), Op. Cit., p. 6

1802.

Eisenbeis (J.), Touchard (Y.), L’éducation physique et sportive à l’école, L’éducation à la sécurité, Paris : éditions Revue EPS, 1995, p. 5

1803.

Picoche (J.), Le Robert, Dictionnaire étymologique du français, La généalogie de notre langue, Paris : Dictionnaires Le Robert, collection : Les usuels du Robert, Poche, 1994, p. 446