2. La question d’une aide au « trans-faire », en EPS

La question du transfert, pour l’EPS, en regard des enjeux relatifs à la « vie physique », en EPS
La réflexion à la « vie physique » en EPS génère des propos qui concourent à faire passer la question du transfert au second plan. On peut même avancer qu’ils peuvent conduire à en faire une question plus secondaire que seconde. Il en va ainsi des effets de l’économie des discours sur la « vie physique » en EPS. La réflexion à la « vie physique » a pris place en celle qui concerne l’EPS. Peut-être les tensions liées à celle-là ont-elles eu pour effet d’évacuer, au moins pour un temps, le fond de celle-ci. Cette dernière, en tout état de cause, a essentiellement occasionné des discours quant à la forme à donner à un enseignement. Peut-être aussi l’urgence de la question de la « vie physique » et la pression de l’institution ont-elles joué quant à cet état de fait. Toujours est-il qu’il semble bien qu’on se soit intéressé aux moyens plutôt qu’aux buts. Il est vrai que les angles d’attaque de la question de la « vie physique » ne manquent pas ! Il peut s’agir d’éducation à la santé, de préparation aux loisirs... Tous, cependant, tiennent à deux enjeux majeurs et indissociables. Il s’agit que l’EPS réponde à une demande sociale et qu’elle fasse, en cette affaire, oeuvre d’éducation. Il est ainsi cohérent que le problème de la « vie physique », en EPS, s’avère question du transfert, pour l’EPS. Il convient donc de s’y intéresser.

Importance et difficulté de la question du transfert, pour ce qui est de l’EPS
P. Meirieu résume bien le problème, qui indique : « ‘[...] il ne s’agit pas, comme on l’a trop souvent dit, de“ faire entrer la vie à l’école”, comme si, par nature, les situations scolaires ou de formation n’étaient que des “lieux de mort” tandis que les situations de production seraient, elles, des “lieux de vie”. Il s’agit de tout autre chose : de s’interroger sur les conditions qui permettent de faire des situations de formation de véritables situations “créatrices de vie”, c’est-à-dire capables d’inviter à un usage personnel et collectif des savoirs acquis, un usage plus pertinent et plus créatif à la fois, un usage dynamique de connaissances »’ 1841. Si on admet de réfléchir à l’EPS au regard de ce propos, on se trouve bien vite à nouveau en difficulté. Au problème de la spécification des termes de la question de la « vie physique », en EPS, fait suite celui du transfert, pour l’EPS. Sa réalité, d’une part, a longtemps été mise en question dans le monde de l’EPS. Ils étaient bien rares ceux qui, à l’instar de P. Parlebas, avançaient, dans les années soixante, que le transfert est le maître-mot de l’EPS ! Ils ne font encore guère nombre ceux qui s’intéressent au transfert pour ce qui est de l’EPS. Les vicissitudes de la recherche concernant les habiletés motrices, d’autre part, n’ont guère aidé à la réflexion au transfert dans le champ de l’EPS. Celle-ci délaissait la question du transfert alors même qu’elle nouait des relations avec l’EPS ! Aussi s’est-on mis à débattre quant à la « vie physique » alors que les données relatives au transfert dans le cas de l’EPS n’étaient pas légion.

Le repérage d’une intuition fédératrice quant au transfert, dans le cas de l’EPS
Ainsi la Revue EPS ne donne-t-elle à connaître qu’un petit nombre de comptes-rendus d’expérimentations relatives au transfert et concernant l’EPS. Ils autorisent, en premier lieu, à constater que la réflexion s’est portée sur un enseignement de l’EPS permettant le transfert. Les propos ont d’abord eu pour objet de trancher en faveur de l’une ou l’autre des théories originelles du transfert, formalisées au début du vingtième siècle. C’est ainsi que les travaux de E.S. Thorndike et R.S. Woodworth, d’une part, de C.H. Judd, d’autre part, ont suscité le questionnement ; J. Le Boulch, J. Teissié ou J. Vivès ont pris une part active au débat. Peu à peu, l’idée d’une combinaison puis d’un dépassement de ces deux points de vue a germé. R. Molières, P. Pesquié, P. Parlebas et J. Vivès ont fortement contribué à l’affaire. P. Parlebas et J. Vivès ont présenté, en 1969, un plan expérimental qui a servi de matrice aux différentes tentatives visant à ce dépassement. C’est dans ce contexte que s’inscrivent différentes expérimentations. L’une est le fait de J.-P. Famose, une autre de P. Giraud et P. Cassard, une autre encore, de M. Dubois et P. Godin. De 1981 à 1998, la Revue EPS n’a rendu compte d’aucune autre expérimentation de cette veine. Ce n’est qu’à la fin de l’année scolaire 1997-1998 que les enseignants d’EPS ont pu y prendre connaissance de nouveaux résultats expérimentaux. L’article concerné est signé de P. Parlebas et E. Dugas et a rapport aux bases théoriques auxquelles P. Parlebas travaillait déjà dans les années soixante. Aussi J. Le Boulch observe-t-il avec humour : « ‘Le transfert est le monstre du Loch Ness de l’éducation physique qui surgit périodiquement dans les écrits des chercheurs mais que l’on n’arrive jamais à cerner. »’ 1842 L’examen des comptes-rendus qu’a publiés la Revue EPS autorise néanmoins le repérage d’une intuition fédératrice. Le transfert serait transfert de principes de réalisation, fonction d’une attitude autorisant le repérage de similitudes entre les situations rencontrées.

Le transfert entre réalité des apprentissages et exigence d’éducation : le repérage d’une aporie
La spécification de cette intuition fédératrice invite à nouveau au questionnement : qu’en est-il de la mise en place et de la mise en oeuvre d’acquisitions ayant portée relativement générale ? Les travaux relatifs au transfert qui ne se cantonnent pas à l’EPS sont alors à consulter. L’intuition fédératrice repérée, en effet, procède de l’examen d’écrits censés rendre compte de la réflexion au transfert dans le champ de l’EPS. Les courants de recherche concernant le transfert se révèlent tout à la fois fort nombreux et divers : les présentations qu’en font J.-P. Astolfi et S. Laurent, P. Mendelsohn, L. Toupin ou J. Tardif en attestent. Si on envisage le problème du transfert du point de vue de l’école, on observe, à l’instar de P. Meirieu et M. Develay, une opposition fondamentale : le point de vue des « méthodologues » s’oppose à celui des « didacticiens ». Leur examen appelle, en outre, la prise en compte de données émanant du courant de l’éducation cognitive ou de la recherche en psychologie cognitive. Les options en présence sont à considérer au plan de la réalité des apprentissages ainsi qu’au regard de la finalité d’éducation. La première se révèle recevable du point de vue de cette finalité mais n’est pas convaincante quant aux effets au plan des apprentissages. La seconde s’avère plus conforme à la réalité des apprentissages. Elle est cependant critiquable en tant qu’elle invite à faire de la question du transfert un appendice de celle des apprentissages. Elle donne à penser que tout apprentissage est résolument « adhérent » à un contenu de savoir et à une situation donnés. C’est ainsi qu’on repère une aporie.

Par-delà l’aporie : le principe de l’aide au « trans-faire »
La finalité d’éducation, qui a rapport à l’exigence du transfert, signifie que cette aporie doit être dépassée. L’examen de la réalité des apprentissages donne à penser que ce dépassement est effectivement possible. L’étude des options des « pédagogues », c’est-à-dire, de J.-P. Astolfi et S. Laurent, de P. Meirieu et M. Develay et de B. Rey, contribue fortement à celui-ci. Il est retenu, d’une part, que le transfert d’un acquis n’est que très rarement total et automatique ou spontané. Il est considéré, d’autre part, qu’on peut aider le sujet à transférer puis lui permettre de se passer de cette assistance. La référence aux travaux issus de la psychologie cognitive signifie l’intérêt de cette synthèse. Elle conduit cependant à se cantonner à penser le transfert en fonction de deux éléments fondamentaux : celui-ci porte sur des « micro-expertises » et est fonction du contexte d’acquisition. P. Mendelsohn et E. Cauzinille-Marmèche, voire C. Bastien, soulignent, en outre, l’importance d’un dispositif d’aide au transfert. Ces indications n’autorisent pas à envisager une pédagogie qui serait l’application d’une théorie du transfert. Elles signifient cependant une orientation pédagogique. Il ne s’agit pas de considérer le transfert comme conséquence d’un apprentissage bien mené. Il convient, en permanence, d’aider le sujet à utiliser ce qu’il a appris pour apprendre encore. Or, M. Develay souligne que les didacticiens n’ont pris acte que très récemment de cela1843. On perçoit dès lors l’intérêt du principe pédagogique de l’aide au « trans-faire », au faire au-delà. Il convient de s’enquérir du moyen autorisant à lui donner corps, pour ce qui est de l’EPS.

Notes
1841.

Meirieu (P.), Relecture d’une démarche et genèse d’un colloque, in : Develay (M.), Meirieu (P.), Le transfert de connaissances en formation initiale et en formation continue, Actes du colloque organisé à l’université Lumière Lyon 2, 29 septembre – 2 octobre 1994, Lyon : CRDP, Documents, actes et rapports pour l’éducation, 1996, p. 7

1842.

Le Boulch (J.), Le corps à l’école au XXI e siècle, Paris : PUF, collection : Pratiques Corporelles, 1998, p. 113

1843.

Develay (M.), Meirieu (P.), Mendelsohn (P.), Vermersch (P.), Lévine (J.), Le transfert : ce qui échappe aux modèles, in : Meirieu (P.), Develay (M.), Op. Cit., p. 20