3. L’aide au « trans-faire » en EPS, pour la transmission d’une posture

La nécessité de se recentrer sur l’EPS
Les deux éléments fondamentaux repérés, comme le principe pédagogique de l’aide au « trans-faire », se révèlent digne d’intérêt pour ce qui est de l’EPS. Donner corps à ce principe suppose tout à la fois un examen des contenus enseignés et une intervention de l’enseignant. Ces deux dimensions occupent une place centrale dans les écrits dont l’examen a conduit au repérage d’une intuition fédératrice pour ce qui est de l’EPS. On s’en rend compte, notamment, à la lecture du plan expérimental que P. Parlebas et J. Vivès ont donné à connaître en 1969. Celui-ci a servi de matrice aux expérimentations concernant le transfert et l’EPS dont la Revue EPS a rendu compte par la suite. Or, les données ainsi retenues conduisent à considérer que l’aide au « trans-faire » requiert, de façon première, une analyse des contenus de savoir ou d’enseignement. Il s’avère qu’il est plusieurs approches généralistes des contenus, visant à leur mise en cohérence en vue d’aider au transfert. Quatre types d’approches ont été repérés, dont les promoteurs sont : L. D’Hainaut, J.-L. Phelut et P. Gillet, M. Develay, C. Bastien. Leur examen révèle, en premier lieu, qu’on a affaire à des approches diverses, voire hétérogènes. Cela peut susciter un approfondissement de la mise en regard ébauchée. Il convient cependant de se rappeler que celle-ci n’a d’autre raison que l’ambition de donner corps au principe de l’aide au « trans-faire », pour ce qui est de l’EPS. Elle est ainsi à différer : elle est à opérer en fonction du cas particulier de l’EPS. Il convient donc de se recentrer sur l’EPS.

Le repérage de quatre approches de nature à contribuer à l’aide au « trans-faire »
La question se pose, dès lors, des données à considérer pour opérer cette nouvelle centration sur l’EPS. Les écrits relatifs à cette discipline d’enseignement ont rarement le transfert pour objet central ; il est moins rare, cependant, que la question du transfert y soit évoquée ou mentionnée. Une sélection est ainsi à effectuer parmi les productions qui concernent l’EPS et ont trait au transfert. Celles à retenir pour réfléchir à l’aide au « trans-faire » doivent présenter deux caractéristiques. Il s’agit, d’une part, qu’elles traitent explicitement de l’aide au transfert. Il sied, en outre, qu’elles soient de nature à concerner l’ensemble des activités physiques pratiquées en EPS. Quatre approches ont alors été retenues. Deux d’entre elles ont rapport à la recherche sur les apprentissages moteurs. L’une émane de J.-P. Famose et M. Durand, l’autre de R.A. Schmidt. Deux autres ont plus directement trait au statut de l’EPS en tant que discipline d’enseignement. J. Le Boulch et P. Parlebas en sont les tenants respectifs. Celle de J. Le Boulch conduit à s’interroger quant à l’interface entre autonomie motrice et autonomie dans l’apprentissage moteur. Celle de J.-P. Famose et M. Durand, comme celle de R.A. Schmidt, a donné lieu à des expérimentations qui en ont montré les limites. L’approche de P. Parlebas, quant à elle, invite à approfondir l’examen des situations motrices au regard de la psychomotricité et de la sociomotricité. Il demeure que ces différentes approches se révèlent toutes dignes d’intérêt lorsqu’on les envisage au regard de la question de l’aide au « trans-faire ».

La perspective du sextant de fortuneet la possibilité de son dépassement
On est alors conduit à envisager une alternative : s’agit-il de tenter une mise en synergie des approches en présence ou de trancher en faveur de l’une d’entre elles ? Elles se révèlent différentes, sinon opposées, quant à leurs fondements théoriques. Elles sont aussi susceptibles d’occasionner des propositions de contenus à enseigner peu compatibles. Il s’avère cependant possible de les combiner au plan pragmatique. Elles peuvent ainsi constituer le matériau pour élaborer un sextant de fortune en vue d’une aide au « trans-faire ». Cela, cependant, peut ne pas être jugé très satisfaisant. Est-il pour autant judicieux de mettre les approches en présence en compétition ? Il s’avère en fait que chacune correspond à un regard particulier porté sur le transfert. On peut envisager qu’il en va d’un phénomène général puisqu’on fait la même observation pour ce qui est des approches généralistes. On est alors conduit à s’intéresser au champ de pertinence de chaque approche relative à l’EPS. On observe alors que chacune autorise la mise en cohérence d’un regard sur l’homme, sur la motricité, sur l’apprentissage et sur le transfert. Ainsi envisagée, chaque approche constitue un tout cohérent qui signifie sa particularité. Cette dernière, cependant, est toute relative. Chaque approche correspond à un tout dont la structure est similaire, voire identique à celles des trois autres. On peut penser, là encore, suite à l’examen des approches généralistes, qu’on a affaire à un phénomène relativement général. On suppute alors qu’il y a là possibilité de dépasser la perspective du sextant de fortune.

Pour une acquisition fondamentale, valant au plan de la « vie physique » en EPS
Il sied alors de réfléchir au fond commun des approches relatives à l’EPS au regard de la question des « micro-expertises » ou du contexte d’acquisition. La conclusion est la suivante : l’apprentissage ou le transfert, dans la logique de l’une des approches retenues, est adhésion actualisée, contextualisée, à un point de vue quant à l’homme et à la motricité. Ainsi l’aide au « trans-faire » au regard de chaque approche des contenus de l’EPS en présence conduit-elle à accroître l’acuité de la perception de ce point de vue. Elle est ainsi de nature à autoriser une acquisition fondamentale quant au transfert ainsi qu’en ce qui concerne la « vie physique » en EPS. Il est cohérent de considérer cette acquisition fondamentale en tant que posture. C’est-à-dire comme position à l’égard de la pratique de l’activité physique. La posture envisagée s’ancre avant tout dans le vécu qu’occasionne cette pratique. Celle-ci est cependant censée occasionner la mise en place d’un rapport particulier à celle-là. L’aide au « trans-faire » peut ainsi permettre au sujet de percevoir, puis de concevoir que la pratique physique est activité humaine. Il s’agit dès lors de donner la possibilité à l’élève de repérer que cette pratique est de nature à faire partie de sa vie. Aussi l’hypothèse élaborée à partir des enjeux relatifs à la question de la « vie physique » tient-elle. Il est clair que les différentes conceptions relatives à la « vie physique » en EPS ont l’ambition de donner à l’élève l’envie de pratiquer l’activité physique. La pression liée aux enjeux ou à l’institution semble cependant conduire la plupart de leurs tenants à passer sous silence la question du transfert. On peut penser, dès lors, qu’ils ne se donnent pas les moyens que justifie pourtant la fin qu’ils ont fixée.

L’intérêt particulier de l’approche de P. Parlebas
On défend ainsi que la question de la « vie physique » en EPS appelle la transmission d’une posture qui procède de l’aide au « trans-faire ». On estime ainsi que la réponse à cette question ne se limite pas à faire entrer un peu la vie dans l’école, pour que celle-là devienne école de la vie. Il est en fait question d’une éducation au travers de la pratique des activités physiques qui constituent le support de l’EPS. Il semble cohérent d’avancer que cette éducation appelle l’aide au « trans-faire ». Cette dernière court le risque de se heurter à deux obstacles qui peuvent être de taille. Le premier tient à la perspective du sextant de fortune à laquelle peut renvoyer une tentative de mise en synergie des différentes approches relatives à l’EPS. Le second est relatif au modèle unique que peut contribuer à véhiculer la mise à l’oeuvre exclusive d’une approche. C’est ainsi que l’approche de P. Parlebas revêt un intérêt tout particulier : elle autorise tout à la fois à penser l’unité et la pluralité des regards sur l’homme, sur la motricité, sur l’apprentissage et sur le transfert. Cela paraît tenir à l’angle d’attaque adopté quant à la question du transfert. Celui-ci est envisagé au plan de l’interaction entre l’individu, l’acteur, et le produit de l’homme, le système objectif de l’activité physique.

La « vie physique » en EPS : pour construire le corps par le biais de la motricité ?
Cette approche pourrait peut-être, alors, autoriser l’élaboration d’un sextant véritable, permettant tout à la fois de penser la motricité en termes d’aptitudes, de schémas de réponse, voire d’affectivité et d’opérativité. Toujours est-il que la question de la « vie physique » semble bien requérir une résolution qui s’enracine en un vécu relatif à la pratique de l’activité physique. Mais celui-ci doit-il pour autant être seulement conçu comme une compréhension « agie » ? On peut espérer qu’il autorise une prise de distance sur la pratique de l’activité physique suffisante pour que le sujet pense son activité physique au regard de sa vie, voire de la vie. Là encore, il n’est pas forcément question de transfert automatique ou spontané. Aussi convient-il de réfléchir à la manière d’aider l’élève à cette mise à distance. Cela semble suggérer une perspective interdisciplinaire. Peut-être s’agit-il dès lors d’aider l’élève à construire son corps. Si on se fie à D. Le Breton, « ‘le corps est l’interface entre le social et l’individuel, la nature et la culture, le physiologique et le symbolique’ »1844. Ainsi envisagé, le corps paraît correspondre à une représentation qu’a la personne d’elle-même et des autres, d’elle-même par rapport aux autres. Les activités physiques en tant que fait de culture invitent à cette rencontre entre ce qu’autrui a produit et ce qu’on peut s’approprier. Il semble être question d’une construction pour la vie, par la vie. La « vie physique » en EPS aurait ainsi pour objet de construire le corps par le biais de la motricité...

Notes
1844.

Le Breton (D.), La sociologie du corps, Paris : PUF, collection : « Que Sais-Je ? », 1994, p. 118