6. Conclusion

La question du transfert se révèle centrale au plan de la réflexion à l’apprentissage et à l’éducation. Elle suscite le débat technique, si on considère qu’il convient de transférer pour apprendre. Elle relève de l’accomplissement d’une exigence, si on envisage qu’un apprentissage n’a de portée éducative que s’il peut être transféré. Elle renvoie, en tout état de cause, au noeud Gordien du problème de l’utilité sociale de l’Ecole : à quoi servirait l’Ecole si on n’y apprenait pas ou si ce qu’on n’y apprenait ne valait qu’en son sein ? On comprend alors que la réflexion au transfert court le risque de la dérive : elle peut occasionner une spéculation ne conduisant guère qu’à satisfaire un fantasme pédagogique. La prise en compte de deux courants de pensée s’opposant et intéressant directement l’Ecole contribue à démonter les mythes afférents à la question du transfert. Elle autorise à émettre deux hypothèses de nature à concilier l’exigence du transfert d’apprentissage et la réalité des apprentissages. La première signifie que le transfert d’apprentissage porte sur des « micro-expertises », la seconde qu’il est fonction du contexte d’acquisition. Elles ont été envisagées au plan des performances obtenues par trois groupes d’élèves : aux épreuves de l’évaluation nationale CE2 ainsi qu’à deux épreuves sollicitant la motricité de façon accrue. La démarche a autorisé l’étude des liens entre distributions de performances pour un groupe d’élèves et la comparaison de ces relations en fonction des groupes d’élèves.

Les résultats expérimentaux obtenus se révèlent accréditer les deux hypothèses examinées. Ils indiquent que l’élève peut utiliser des parties différentes de ce qui sous-tend la performance à une épreuve pour en réaliser d’autres. Il est alors question de contributions utiles, voire nécessaires, mais non suffisantes à leur réalisation. Ils signifient aussi que leur utilisation effective est fonction du contexte d’apprentissage, au sens large, en lequel l’élève a été placé. Ils donnent en outre à penser qu’il en va d’un phénomène relativement général : ils concernent les épreuves d’une évaluation nationale CE2 ainsi que des épreuves mettant à contribution la motricité de façon essentielle. Ces résultats suggèrent que l’enseignant peut effectivement oeuvrer pour aider l’élève au transfert d’apprentissage. Différentes propositions, pour ce faire, émanent de chercheurs en psychologie cognitive ou en sciences de l’éducation ainsi que du courant de l’éducation cognitive. Il demeure que celles-ci ne peuvent fonctionner à vide ; les résultats expérimentaux obtenus, de plus, signifient la nécessité d’un examen des contenus d’enseignement pour un enseignement en vue du transfert d’apprentissage.

La vérification des hypothèses examinées fait, en définitive, apparaître deux éléments indissociables à partir desquels il s’agit de penser une pédagogie « transférogène ». Encore s’agit-il, pour le pédagogue, de ne pas se laisser obnubiler par la seule exigence du transfert d’apprentissage. Ainsi B. Charlot2210 indique-t-il que « ‘le fait humain implique peut-être de l’hétérogénéité définitive, de l’altérité radicale, du non énoncé temporaire et du non énonçable à jamais, un résidu irréductible, bref [...] de l’intransférabilité.’ » P. Mendelsohn2211 annonce pour sa part : ‘« Il est bien utile que certaines procédures très automatisées restent fortement liées aux contextes dans lesquels elles ont prouvé leur efficacité. Elles s’appliquent ainsi avec économie mais elles en paieront le prix et seront difficilement transférables [...] Il est aussi très avantageux que d’autres méthodes, comme le dénombrement d’objets, forment des ensembles de micro-expertises très souples, très économiques et donc facilement transférables. ’»

Il demeure que l’expérimentation présentée signifie deux éléments incontournables pour qui veut aider l’élève au « trans-faire », à faire au-delà à partir de ce qu’il a acquis.

Notes
2210.

Charlot (B.), Op. Cit., p. 86

2211.

Mendelsohn (P.), Op. Cit., p. 19