Introduction

Nous avons préparé le doctorat de sociologie et anthropologie dans le cadre d'une Convention Industrielle de Formation par la Recherche (CIFRE), dont le contrat s'étalait du 01 juin 1997 au 31 mai 2000. Créées en 1981, les CIFRE sont gérées par l'Association Nationale Recherche et Technologie (ANRT), sous l'autorité du Ministère de l'Education Nationale, de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche. Elles ont pour but d'attirer un grand nombre de jeunes diplômés, généralement des ingénieurs, vers une formation complémentaire, à vocation industrielle, et dans ce but, rendre compatibles formation par la recherche et début de carrière en entreprise. A ce jour, près de 8000 conventions ont été signées, dont 50% avec des PME-PMI. S'engager dans une démarche CIFRE, c'est accepter de répondre à une double exigence : d'une part une exigence industrielle1, c'est-à-dire dégager des éléments opérationnels et applicables ; d'autre part une exigence universitaire, sanctionnée par la soutenance d'un doctorat. Le Livret d'accueil adressé au bénéficiaire d'une convention CIFRE le met en garde sur la principale difficulté de la démarche : "savoir concilier les modes de pensée de deux mondes parfois très différents et faire le lien entre les demandes de l'un et les désirs de l'autre (...) et parfois être amené à gérer des "conflits" nés de conceptions différentes". Nous verrons au cours de ce travail les difficultés que nous avons rencontrées et la manière dont nous avons tenté de les résoudre.

La convention s'est appuyée sur un partenariat entre le Centre de Recherches et d'Etudes Anthropologiques de l'Université Lumière Lyon 2, dont les travaux portent principalement sur l'anthropologie du patrimoine en privilégiant une approche comparative, et l'Union des producteurs de beaufort, dans le cadre des travaux du Groupement d'Intérêt Scientifique des Alpes du Nord. Le GIS Alpes du Nord, basé à Chambéry (Savoie), est régi par une convention dont les signataires sont des organismes de recherche (INRA2, CEMAGREF3, ITG4), des organismes de développement (Chambres d'Agriculture de Savoie, Haute-Savoie, Isère, SUACI Montagne5 ; Chambre Régionale d'Agriculture Rhône-Alpes) et des organismes économiques (Association des Appellations Fromagères des Territoires Rhônalpins). Il est intitulé "Groupement de Recherche et de Diffusion de connaissances sur la qualité des pratiques, des produits et des systèmes d'exploitation pour une agriculture partenaire du développement du Massif Alpin" (article 2 de la convention). Les travaux du GIS sont organisés selon trois axes : Axe "Qualité des produits dans les filières de fromages alpins", Axe "Activité agricole et qualité de l'environnement", Axe "Valorisation et transfert de résultats". Ce doctorat s'inscrit dans l'axe "qualité des produits dans les filières de fromages alpins" : les recherches de cet axe portent principalement sur la caractérisation du lait cru entier (composition bactériologique et chimique des laits), sur l'influence des conditions de productions du lait sur les caractéristiques des fromages affinés et sur la définition de l'image des fromages auprès des producteurs et des consommateurs.

Etant donné l'originalité du cadre de ce doctorat, nous avons mis en place un comité de thèse pluridisciplinaire, composé de 10 membres : Laurence Bérard (CNRS), Denis Cerclet (Université Lyon II, CREA), Jean-Baptiste Coulon (INRA, GIS), Claire Delfosse (Université Lille 1, LGH), Agnès Hauwuy (SUACI-GIS), Philippe Fleury (SUACI-GIS), Philippe Marchenay (CNRS), Jean-Baptiste Martin (Université Lyon II, CREA), Michel Rautenberg (Université Lille 1, CLERSE), Christine de Sainte-Marie (INRA). Le comité de thèse s'est réuni environ deux fois par an et a assuré le suivi scientifique de la thèse. D'après la convention CIFRE, le temps de travail était partagé à 70% en entreprise et 30% à l'université. Au-delà de ce cadre formel, nous avons assisté à des séminaires de recherche, à l'Université et dans des centres de recherche, et participé aux activités de recherche et développement du GIS Alpes du Nord (comités de pilotage de l'Axe "Qualité des produits dans les filières de fromages alpins", comités scientifiques du GIS, cellule technique de l'AFTAlp, etc.). Basée à Chambéry (Savoie) dans les locaux du GIS Alpes du Nord durant toute la durée du contrat, notre implication était réelle avec toutes les questions épistémologiques que ce cadre de travail pouvait susciter.

Nous proposons dans un premier temps d'exposer le contexte et les enjeux de recherche au travers des interrogations soulevées par le Groupement d'Intérêt Scientifique des Alpes du Nord. De cette façon, nous voulons introduire l'origine de la problématique et l’articulation entre le questionnement social et le questionnement scientifique. Le cadre de travail exige de consacrer plusieurs pages aux conditions d'émergence des interrogations et des attentes locales pour les relier à la problématique anthropologique. En effet, différents paramètres sont à l'origine de la délimitation du terrain de recherche et du choix des produits – supports. Ceux-ci seront donc explicités dans une première partie et c'est à la croisée de ces deux registres que nous avons élaboré dans un second temps notre problématique de recherche, portant sur les processus de patrimonialisation des productions fromagères d'Appellation d'Origine Contrôlée dans les Alpes du Nord. Cette problématique s'inscrit dans un champs particulier de l'anthropologie que nous présenterons avant de développer les deux hypothèses principales de recherche sur lesquelles s'appuie l'ensemble de notre analyse.

Enfin, ce travail doctoral ne saurait être complet et rigoureux de notre point de vue sans d'une part un chapitre consacré à une réflexion épistémologique sur l'implication de l'ethnologue dans son dispositif de recherche et sur les conditions d'objectivation, et d'autre part s'il n'apportait pas des pistes concrètes pour l'utilisation des résultats dans une perspective de développement. Dans une convention CIFRE, l'ethnologue est responsable de la traduction opérationnelle de ses conclusions et il nous a ainsi paru indispensable de l'insérer dans la rédaction du doctorat afin que l'ensemble du travail effectué durant trois ans soit évalué, sans se limiter au seul exercice de problématisation.

Notes
1.

On notera la terminologie employée, qui témoigne de l'orientation des travaux de recherche, tournés principalement vers l'industrie. Cette situation pose la question de l'évolution des métiers de la recherche, des débouchés et de la conception par l'Etat de l'application de résultats. Les ethnologues sont particulièrement sensibles à cette terminologie, dans la mesure où ils sont aujourd'hui de plus en plus sollicités par des syndicats de produits, des associations, des structures culturelles. Cette terminologie reflète l'absence des Sciences de l'Homme et de la Société dans ces dispositifs.

2.

Institut National de la Recherche Agronomique.

3.

Centre d'Etudes sur le Machinisme Agricole et du Génie Rural Eaux et Forêts.

4.

Institut Technique du Gruyère.

5.

Service d'Utilité Agricole à Compétences Interdépartementales.