Depuis l'apparition du terme, le patrimoine s'est élargi à de nouvelles catégories d'objets. Cette notion polysémique intéresse de nombreuses recherches et s'est élargie à de nouveaux objets (Bérard, Marchenay, 1995) pour prendre en compte aujourd'hui non seulement le bâti monumental (cathédrale, château), mais également un ensemble d'éléments - bâtis et non bâtis - du patrimoine rural (habitats vernaculaires, lavoirs, paysages, produits du terroir, savoir-faire). Les objets patrimoniaux sont fortement sollicités tant par les politiques publiques dans le cadre du développement local que par des groupes d'acteurs engagés dans la valorisation du patrimoine (Rautenberg, 1998). La construction patrimoniale est un acte volontariste et collectif, réunissant un ensemble d'acteurs aux logiques et stratégies diverses, susceptible de conduire à une modification du statut des produits patrimonialisés (Faure, 1996).
Le doctorat de sociologie et anthropologie proposé ici s’inscrit dans les travaux de recherche menés par l’équipe du Centre de recherche et d’études anthropologiques de l’Université Lumière Lyon II dont les activités sont centrées sur l’anthropologie du patrimoine et qui privilégie une approche comparative. Le patrimoine apparaît comme l’un des principaux opérateurs des recompositions sociales et culturelles et se présente comme l’instrument des reconstructions de la mémoire collective et identitaire en lien avec l’espace et le temps. Ainsi, nous analyserons dans cette perspective la manière dont des acteurs élaborent des stratégies de mise en valeur des ressources locales. La notion de patrimoine est un point d’articulation de l’individuel et du collectif et le processus de patrimonialisation devient alors une véritable construction d’un objet médiatique grâce auquel des expériences, des idées, des valeurs vont être projetées dans le social. Ce doctorat s'inscrit également dans les travaux menés par l'antenne CNRS APSONAT "Ressources des terroirs" : cette équipe de recherche développe une approche ethnologique des productions agricoles et alimentaires locales et traditionnelles, s'attachant à identifier le système de production, la fonction sociale et la signification des ces produits pour les acteurs concernés et explore différents thèmes tels que l'évolution de tradition, le contenu du lien au lieu et l'évaluation de l'antériorité des produits. Ces productions occupent une place particulière dans la communauté qui les a fait naître ou les a adoptées, mais également plus généralement dans notre société. Elles font l'objet depuis quelques années d'un vaste mouvement de patrimonialisation – attribution à ces produits d'un statut de patrimoine – qui mobilise un nombre croissant d'acteurs. Ces procédures de patrimonialisation s'accompagnent ici d'une gestion très complexe de l'objet, sujet à modification, aménagement, reconstruction et amenant des interrogations tout à fait spécifiques à cette catégorie de patrimoine.
En 1993 était organisé un séminaire19 à l'Université Lumière Lyon II sur "La patrimonialisation du vivant : variétés, races, produits". L'objectif était d'encourager le dialogue entre des acteurs qui sont confrontés à la problématique de la patrimonialisation, impliqués dans la mise en oeuvre de politiques concernant la gestion du patrimoine vivant, chercheurs, gens de terrain, professionnels. Cette journée a été l'occasion d'une réflexion sur cette catégorie du patrimoine ne rentrant pas dans les définitions communes des objets patrimoniaux et a permis de jeter les bases d’une réflexion plus large sur le patrimoine vivant. Laurence Bérard et Philippe Marchenay soulignent que "ces ressources locales sont des lieux d'articulation privilégiés entre le biologique et le social. Elles combinent, à l'intérieur d'un large cadre et selon des degrés d'intensité variable, l'appartenance à un lieu géographique, un ancrage historique, des usages locaux, des savoirs, des pratiques techniques, des attitudes et des représentations qui leur sont propres" (1994 : 87). La recherche que nous avons menée pour le Diplôme d'Etudes Approfondies, réalisée dans le cadre d'un programme européen sur Les produits de terroir en Europe du Sud : caractérisation ethnologique, sensorielle et socio-économique de leur typicité ; Stratégies de valorisation (1998d), dont Laurence Bérard et Philippe Marchenay étaient les coordonnateurs, a permis de mettre en évidence le processus de changement de statut des fromages abondance et raschera (Piémont, Italie) à partir de l'analyse de l'élaboration de l'AOC (critère de production, établissement de la zone de production). L'insertion de ce travail dans un programme européen, visant d'une part à mieux comprendre ce qui fait la spécificité des productions agricoles et alimentaires locales et traditionnelles et d’autre part, à analyser la façon dont cette spécificité s’inscrit dans une perspective de protection et de valorisation, a permis de mettre en perspective les résultats avec d'autres approches et d'autres situations. Ces recherches ont fait ressortir la complexité de ces productions, dont la dimension culturelle peut prendre une coloration identitaire plus ou moins marquée selon la force avec laquelle les sociétés locales se les approprient et les revendiquent. L'approche anthropologique du programme s'est intéressée aux processus de patrimonialisation auxquels sont confrontés ces produits et a souligné la dynamique dans laquelle ils s'inscrivent, souvent associés à tort à l'inertie et à l'immobilisme. Ainsi, les résultats des recherches ont montré que de nouveaux acteurs, professionnels, techniciens, institutionnels, interfèrent dans le processus de patrimonialisation, aboutissant à une véritable construction sociale de ces productions.
Depuis la fin des années quatre-vingt, les séminaires et les programmes de recherche sur la qualité des produits agricoles se multiplient. L'Institut National de la Recherche Agronomique (INRA), et plus spécifiquement le Département Systèmes Agraires et Développement (SAD), a engagé en 1993 une Action Incitative Programmée (AIP) intitulée "La construction sociale de la qualité". L'objectif était de faciliter et de promouvoir l'articulation des approches biotechniques et investigations socio-économiques. Des chercheurs en sciences humaines, ethnologues, géographes, y ont également participé. Les résultats ont permis d'établir un cadre de propositions pour un programme de recherche sur la qualité dans l'agro-alimentaire. Dans le prolongement de cette première phase, le département SAD, en collaboration avec le CIRAD/TERA et le CNEARC, a organisé en 1998 un cycle de trois ateliers de recherche sur le thème "Systèmes agro-alimentaires localisés et construction de territoire". A partir de l'idée que les produits et les savoir-faire, dont la qualification se fait en référence à un territoire, contribuent à la spécification et à l'ancrage des liens locaux entre acteurs, trois catégories d'objets ont été privilégiées pour l'analyse : (i) les savoirs spécifiques et les compétences des acteurs locaux, (ii) les configurations organisations et institutionnelles et (iii) les règles d'action et les formes d'évaluation. Les discussions ont permis d'explorer les questions qui se posent lorsque sont mises en relations ces trois catégories.
L'organisation de ces différents séminaires est d'une part la preuve du nouvel intérêt que présente ce champ de recherche, car fort peu investi jusqu'à présent par la recherche agronomique et dessine d'autre part les nouveaux enjeux de la recherche et développement.
Organisé par la DRAC et le CREA sur ce thème dans le cadre du Programme Pluriannuel en Sciences Humaines, le 2 mars 1993 à Lyon, intitulé “ Lieux et territoires du patrimoine ”.