La pratique ethnographique repose sur des entretiens et des observations, participantes ou pas, et une longue durée sur le terrain de la recherche. En outre, notre démarche s'appuie d'une part sur une comparaison entre les discours des informateurs et leurs pratiques techniques et symboliques telles que nous pouvons les observer, d'autre part sur une confrontation entre les catégories vernaculaires et scientifiques, notamment sur le vivant (animal, lait, fromage, microbes) et enfin sur une mise en relation des faits observés avec le fonctionnement global de la société. Toutefois, on peut se demander dans quelle mesure les textes ethnographiques, c'est-à-dire les modalités d'objectivation utilisées par l'anthropologue pour rendre compte d'une certaine réalité à laquelle il "participe", pourraient être considérés comme dotés d'un caractère scientifique et aptes à traduire cette même réalité de façon objective.
L'anthropologie se distingue des autres disciplines par sa méthode d'investigation particulière : en effet, ce qui fonde la légitimité de cette discipline, c'est l'expérience de terrain, mais devons-nous soutenir, à l'instar de François Laplantine, que "l'ethnographe est celui qui doit être capable de vivre en lui la tendance principale de la culture qu'il étudie" (1996 : 20) ? L'ethnologie articule deux types d'activité : une activité visuelle, puisque l'ethnographe doit savoir voir, regarder, observer, et une activité linguistique où l'ethnologue décrit, narre, puis analyse. "La spécificité de l'investigation ethnographique doit être cherchée dans le dispositif de l'enquête, qui donne son originalité à ce qu'il est convenu d'appeler aujourd'hui l'approche anthropologique des phénomènes sociaux et culturels. Dans la notion d'enquête ethnographique, il y a celle d'enquête directe conduite par l'ethnologue dans le contexte d'une relation vécue à un terrain" (Bonte, Izard, 1991 : 470). Nous avons choisi d'explorer la dimension culturelle et patrimoniale des productions fromagères, en apportant une vision globale du produit, de son système de production, de sa fonction sociale et de sa signification selon les catégories d'acteurs concernées. Ces objets du vivant se prêtent particulièrement bien à ce type d'investigation dans la mesure où ils s'appuient sur un ensemble de connaissances, de pratiques techniques et d'usages spécifiques à mettre en relation avec l'ordre culturel dans lequel ils s'insèrent. Laurence Bérard et Philippe Marchenay soulignent que l'expérience prouve l'apport d'une description fine, reposant sur une observation attentive et répétée, dans le décodage des logiques techniques et des relations qu'elles entretiennent avec les logiques sociales (1998d). En effet, explorer sous l'angle anthropologique les modalités de transmission des savoirs et des savoir-faire, le poids accordé à certaines pratiques, les modes de gestion du vivant et en particulier du vivant invisible tel que les ferments, les présures et les ambiances microbiennes dans les caves d'affinage, permet de mieux comprendre les raisons des choix effectués, tant dans les règlements techniques que dans les démarches de promotion et de valorisation.
Aller sur le terrain, s'en imprégner, n'est pas toujours chose facile. L'observation participante est le principe méthodologique prépondérant de l'ethnographie : cette mise en parenthèse de soi, de son idiosyncrasie et de son héritage culturel n'est pas aisée, et soulève de nombreuses questions épistémologiques, concernant en particulier la position de l'ethnologue28 : est-il en situation d'empathie ou partage-t-il une expérience à laquelle il donne sens à partir de ses propres schémas d'interprétation ? L'immersion de l'ethnologue dans la culture qu'il étudie pour la comprendre occupe une place importante dans la démarche et à partir de notre propre expérience, nous tenterons de dégager quelques éléments de réflexion, qui seront repris et approfondis dans la partie consacrée plus spécifiquement à l'anthropologie appliquée et impliquée.
Ces questions se posent de façon similaire à propos de l'intégration au sein du GIS.