2.3.5.2. Interdisciplinarité ou pluridisciplinarité : effets sur la discipline

La convention de travail qui régit les activités de recherche et développement du Groupement d'intérêt scientifique des Alpes du Nord s'appuie sur plusieurs disciplines, scientifiques ou techniques et des organismes de développement : ainsi "l'interdisciplinarité, c'est accepter d'une part l'ingérence externe d'autres disciplines qui donnent un avis fondé sur d'autres référents et d'autre part des acteurs qui réagissent avec leurs logiques propres" est-il précisé dans le programme d'action 1999 discuté au sein des instances décisionnaires du GIS, le conseil scientifique et le conseil de groupement.

Depuis la création du GIS, ces acteurs ont acquis une expérience interdisciplinaire, avec des automatismes langagiers et méthodologiques. L'arrivée d'une nouvelle discipline, l'anthropologie, dont la démarche de travail est mal connue, au sein de travaux axés sur des approches en sciences exactes, ne peut pas ne pas avoir d'impact sur elle. Bien qu'étant une convention industrielle de formation par la recherche, une thèse demeure par essence très disciplinaire, très académique, dont les canons sont difficilement modifiables. Au bout du compte, elle sera évaluée par l'université. Les retombées industrielles pour l'entreprise partenaire ne sont pas prises en considération en tant que telles dans l'évaluation.

Par ailleurs, l'étude sur "la composante image de la qualité des fromages" s'insère dans l'axe "Qualité des produits", qui développe une approche pluridisciplinaire et non interdisciplinaire : les différents travaux partagent comme finalité l'idée de définir la notion de "qualité globale", ou en tout cas d'apporter des éléments de réflexion sur les moyens de la définir. Notre recherche s'est greffée tardivement sur le programme du GIS, elle n'a donc pas été réellement pensée dans l'interdiscipline. En outre, l'un des enjeux de la fin du programme de recherche et développement29 repose sur la réalisation d'une synthèse de l'ensemble des travaux menés depuis le début de la convention. De façon récurrente s'est posée la question de savoir comment l'approche anthropologique pouvait s'insérer dans cette synthèse, par ailleurs déjà particulièrement difficile à penser entre les autres disciplines, pour finalement décider que "l'intégration à tout prix" n'était pas souhaitable30.

D'une manière générale, participer à ce programme provoque de torsions, des déformations, des tensions, sur la discipline, qui conduit à l'apparition de stratégies de résistance, qui permet aussi de mettre en lumière les limites de notre approche : l'interdisciplinarité est-elle possible si chaque discipline impliquée n'est pas légitime et forte ? Faire connaître la démarche anthropologique, pour qu'elle gagne son autorité, a nécessité de passer du temps à vulgariser, expliciter et surtout à appréhender les acteurs de terrain comme des détenteurs potentiels de solution, de connaissances, de savoir-faire. Le GIS s'appuie sur un partenariat diversifié, exigeant d'être à l'écoute des interrogations et de prendre en considération les attentes, les craintes, les sollicitations.

Dans ce cadre, la mise en place d'un comité de thèse pluridisciplinaire, puisque composé d'ethnologues (universitaires, chercheurs CNRS, décideur public), d'ingénieurs R&D du GIS, de chercheurs INRA (zootechnicien, agro-économiste) et de géographe, était un moyen de limiter les risques de rupture entre les disciplines : les discussions et les controverses qui sont apparues au fil du travail doctoral ont souligné le bien-fondé de ce comité de thèse. Plusieurs membres de ce comité sont également présents dans le comité de pilotage de l'axe afin de ne pas isoler les deux comités. Cette formule est en elle-même une tentative d'interdiscipline et a sans doute contribué à une meilleure intégration de l'ethnologie au sein du GIS.

Notes
29.

Les conventions GIS sont signées pour 5 ans, avec des possibilités de prolongations : le GIS 2 se termine à la fin de l'année 2000.

30.

Ces réflexions ont fait l'objet de très nombreuses discussions au sein du GIS Alpes du Nord, et plus particulièrement au sein de l'équipe de l'axe "Qualité des produits dans les filières de fromages alpins".