2.3.5.3.1. L'écriture pour le GIS Alpes du Nord

Les finalités du GIS 2 sont d'apporter de nouvelles connaissances sur l'ensemble des fonctions de l'agriculture, de traduire une partie de ces connaissances en outils utilisables par les acteurs agricoles, de suivre et d'analyser des opérations de terrain destinées à tester les relations entre partenaires permettant de leur proposer des démarches de travail extrapolables sur d'autres territoires, de disposer d'un lieu de regroupement, de débat et de cohérence entre les signataires sur le fonctionnement des actions de recherche et développement. La démarche de travail défendue par le GIS s'appuie sur l'idée que les différents partenaires du projet interviennent à toutes les étapes, de la transformation des questions et problèmes du terrain en problématique de recherche, mais aussi encore lors de la construction et la diffusion des connaissances et des outils. Les programmes ne se font pas en marge des structures professionnelles du développement agricole mais avec leur participation : "associer les acteurs locaux à la recherche signifie donc que nous accordons dans notre démarche scientifique un droit de regard et de décision à ces acteurs ; ceci est un choix méthodologique qui s'explique par le fait que nous avançons par une succession de tests / validations auprès des acteurs comme auprès de nos objets de recherche" souligne le document présenté au comité scientifique du GIS en janvier 1999.

Dans cette perspective, deux questions se posaient quant à l'intégration de notre recherche dans le GIS et à son appropriation par les responsables interprofessionnels : d'une part, il s'agissait d'évaluer si la rédaction du document de thèse pouvait satisfaire l'ensemble des partenaires, c'est-à-dire en d'autres termes si ce document était intelligible pour tous ; d'autre part, souhaitant faire participer les professionnels à l'avancement de la recherche, le GIS envisageait d'organiser des restitutions régulières durant les trois années de travail, interrogeant ici la façon dont des hypothèses de recherche – et non des hypothèses d'action - pouvaient être exposées et discutées avec ces acteurs. Concernant la première question, nous avons finalement opté en 1999, après de longues discussions, pour la réalisation de deux documents écrits : la thèse et un document technique. La rédaction de ce document ne va pas de soi pour l'ethnologue formé à la recherche et à l'écriture de textes scientifiques destinés à un public spécialisé, d'autant qu'il s'agit de diffuser des résultats et de réfléchir à des préconisations : l'ethnologue éprouve des réticences à intervenir directement sur ce qu'il y a de plus complexe, la culture. Concernant la seconde question, nous avons réalisé dès l'hiver 1998 des restitutions de nos travaux auprès des syndicats de défense des fromages abondance, beaufort et reblochon afin d'encourager l'appropriation des résultats et de réfléchir aux différentes formes de valorisation de la recherche. Mais nous nous interrogions sur la façon de restituer dans un langage compréhensible pour des non-ethnologues et de rendre compte du travail en dépassant la restitution ethnographique : en d'autres termes, quelle forme donner aux restitutions ? L'enseignement universitaire forme à la problématisation. Mais comment faire pour "déproblématiser" ? Comment expliquer l'intérêt du détour anthropologique pour l'analyse du phénomène concerné ? Cette situation a réclamé du temps et de la réflexion pour produire un discours intelligible pour les responsables professionnels. Nous avons tenté dans un premier temps de présenter la problématique de thèse : quelles questions l'ethnologue se pose-t-il et sur quelles hypothèses de recherche s'appuie-t-il ? La complexité du vocabulaire anthropologique et notre incapacité à ce moment-là d'expliciter clairement ce qui nous avait conduit de la question agricole à la question scientifique n'ont pas permis un échange réellement constructif avec les professionnels agricoles. Mais cette expérience a mis en lumière les points de cristallisation de la discussion. A partir de là, nous avons retravaillé la présentation et mis en forme différemment les résultats et les réflexions anthropologiques que nous proposions au débat. Les lacunes de notre formation initiale ont réclamé plus d'investissements pour répondre aux attentes et pour s'adapter à cette situation.

En effet, nous étions face à une situation inédite. Les ethnologues revendiquent un devoir de restitution de leurs recherches aux personnes rencontrées, aux "informateurs privilégiés". Mais qu'en est-il dans la réalité ? Comment restituent-ils leur travail ? La restitution correspond-t-elle seulement à l'envoi du document écrit, document scientifique, mémoire universitaire ? D'un point de vue méthodologique, la question de la restitution pose problème : restituer, n'est-ce pas échanger, expliciter, donner à comprendre, faire l'effort de changer de vocabulaire pour rendre le discours anthropologique compréhensible à des non-spécialistes ? Mais pour remplir cet objectif, s'il s'agit véritablement de celui que l'on se fixe, il est nécessaire de se donner les moyens d'y arriver et surtout d'accepter les risques et les écueils inhérents à cette démarche. Ainsi, la réflexion épistémologique s'impose pour rendre compte des conditions de l'objectivation de ce qui diffusé.