La pluri-activité dans les zones de montagne est ancienne, en particulier dans les Alpes. Pour comprendre sur quoi repose la dimension culturelle des productions fromagères et leur patrimonialisation, on ne peut ignorer les activités non agricoles des agriculteurs. Leurs différentes activités professionnelles ne se distinguent pas en plusieurs identités ; la culture professionnelle des agriculteurs de montagne correspond à un ensemble de compétences, de savoir-faire et de participation à des réseaux locaux. Dans le tableau qui suit est présentée la répartition en pourcentage du statut des chefs d'exploitation (CE) en Savoie et Haute-Savoie selon le régime maladie.
Canton 73 | CE exclusif | CE non exclusif | Canton 74 | CE exclusif | CE non exclusif |
Aiguebelle | 64 | 36 | Abondance | 75 | 25 |
Aime | 58 | 42 | Alby sur Chéran | 82 | 18 |
Aix les Bains centre | 92 | 8 | Annecy Centre | 72 | 28 |
Albens | 79 | 21 | Annemasse Nord | 87 | 13 |
Albertville Nord | 46 | 54 | le Biot | 73 | 27 |
Beaufort | 49 | 51 | Boëge | 77 | 23 |
Bourg Saint Maurice | 45 | 55 | Bonneville | 83 | 17 |
Bozel | 39 | 61 | Chamonix Mt B. | 83 | 17 |
Chambéry | 79 | 21 | Cluses | 81 | 19 |
La Chambre | 43 | 57 | Cruseilles | 94 | 6 |
Chamoux sur Gelon | 68 | 32 | Douvaine | 92 | 8 |
Le Châtelard | 69 | 31 | Evian les Bains | 83 | 17 |
Les Echelles | 69 | 31 | Faverges | 81 | 19 |
Grésy-sur-Isère | 55 | 45 | Frangy | 87 | 13 |
Lanslebourg Mt Cenis | 42 | 58 | Reignier | 89 | 11 |
Modane | 38 | 62 | La Roche sur F. | 82 | 18 |
Montmélian | 77 | 23 | Rumilly | 87 | 13 |
La Motte-Servolex | 76 | 24 | St Gervais les B. | 81 | 19 |
Moutiers | 46 | 54 | St Jeoire | 77 | 23 |
Le Pont de Beauvoisin | 69 | 31 | St Julien en G. | 91 | 9 |
La Rochette | 53 | 47 | Sallanches | 70 | 30 |
Ruffieux | 74 | 26 | Samoëns | 79 | 21 |
St Genis sur Guiers | 72 | 28 | Seyssel | 89 | 11 |
St Jean de Maurienne | 39 | 61 | Taninges | 69 | 31 |
St Michel de M. | 41 | 59 | Thônes | 86 | 14 |
St Pierre d'Albigny | 81 | 19 | Thonon les Bains | 82 | 18 |
Ugine | 49 | 51 | Thorens Glières | 89 | 11 |
Yenne | 76 | 24 | Annecy N-O | 83 | 17 |
Albertville Sud | 61 | 39 | Annecy le Vieux | 82 | 18 |
Grésy sur Aix | 76 | 24 | Annemasse Sud | 92 | 8 |
La Ravoire | 76 | 24 | Scionzier | 80 | 20 |
St Alban Leysse | 53 | 47 | Seynod | 82 | 18 |
Drumettaz Clarafond | 63 | 37 | |||
Cognin | 70 | 30 | |||
(Source : MSA) |
Dans un premier temps44, il est indispensable de définir le terme de pluri-activité et de le comparer à la notion de diversification : il faut préciser que ces deux notions ne sont toutefois pas l'objet d'une définition positive directement inscrite dans le code rural. Mettre sur le même plan pluri-activité et diversification révèle une évolution de l'agriculture : vendre ses produits à la ferme ou la faire visiter, est-ce être double-actif ? Quelle est la limite entre la pluri-activité et la diversification ? A partir des travaux d'interprétation45, on peut dire que la diversification en agriculture correspond à l'exercice par les agriculteurs de plusieurs activités qui relèvent de la sphère de la définition juridique de l'activité agricole (vente directe de produits à la ferme, accueil de touristes pour des visites). A l'inverse, la pluri-activité correspond à l'exercice d'activités autres qu'agricoles. La pluri-activité en agriculture s'appliquerait ainsi à l'exercice simultané ou successif par une même personne, d'une part d'une activité agricole46 et, d'autre part, d'une ou plusieurs autres activités professionnelles non agricoles47.
Selon les statistiques de la Mutualité Sociale Agricole, la pluri-activité des chefs d'exploitation en Savoie est nettement visible. Si l'on opère un tri des cantons en dessous de 50% de "chef d'exploitation exclusif", onze cantons ressortent : Albertville Nord, Beaufort, Bourg-Saint-Maurice, Bozel, La Chambre, Lanslebourg-Mont-Cenis, Modane, Moutiers, Saint-Jean-de-Maurienne, Saint-Michel-de-Maurienne, Ugine. L'ensemble de ces cantons fait partie de la zone d'appellation beaufort. Les chefs d'exploitations non exclusifs dépendent d'un autre régime que le régime agricole : ils sont souvent pluri-actif permanents, c'est-à-dire qu'ils travaillent toute l'année dans les industries installées dans le bas des vallées. Dans le cas de la Haute-Savoie, si l'on s'en tient aux statistiques, la pluri-activité ne semble pas évidente.
Avant d'aller plus loin, précisons que, d'après l'Observatoire économique et social de la Mutualité sociale agricole, en 1996, 84% des chefs d'exploitation en Haute-Savoie ne sont pas pluri-actifs et 62% en Savoie. Au-delà de ces chiffres, on constate que la diversification des activités agricoles est plus développée en Haute-Savoie qu'en Savoie : l'accueil à la ferme couvre un grand nombre d'exploitations. Cette situation peut s'expliquer par le fait que les agriculteurs ne sont pas simplement producteurs de lait, mais également transformateurs : ainsi ils peuvent vendre leurs productions en vente directe sur leurs exploitations. A l'inverse, en Savoie, la spécialisation en production laitière est plus forte, et ce sont les coopératives qui commercialisent les produits. Les agriculteurs sont pluri-actifs car ils ont une activité à l'extérieur, saisonnière ou permanente, telle que perchman en station, moniteur de ski ou ouvrier en usine. Au regard des chiffres, on constate que le taux de pluri-activité est fort48 dans les zones de collecte des coopératives à beaufort et dans les vallées industrielles où subsistent des entreprises.
Il n'est pas dénué de sens de s'interroger sur la question de la pluri-activité et/ou de la diversification en agriculture.
Les définitions de ces deux notions méritent d'être nuancées et nous allons mettre en évidence les limites de ces définitions au regard de l'évolution des activités agricoles. En effet, certains agriculteurs ont mis en place sur leur exploitation de nouvelles prestations ou productions dont la qualification juridique paraît délicate, car il s'agit de juger du lien plus ou moins ténu avec l'exploitation agricole49. Si l'on prend pour exemple un agriculteur qui produit du lait et le transforme en fromage sur son exploitation et qu'il propose un accueil à la ferme avec hébergement qui lui permet de vendre directement une partie de ses produits, il est plus facile de comprendre l'ambiguïté des textes juridiques. Dans ce cas précis, en droit social, les activités agricoles par relation sont intégrées au régime social agricole, alors que le droit fiscal a une définition beaucoup plus stricte : ces activités agricoles par relation génèrent, selon l'administration fiscale, des recettes qui relèvent de la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux. "Dans ces conditions, un exploitant agricole qui met en place des activités touristiques sur son exploitation peut être considéré comme exerçant des activités agricoles sur le plan civil mais être traité comme un pluri-actif sur le plan fiscal, puisqu'il ne peut relever de la seule fiscalité agricole pour l'ensemble de ses activités"50.
La complexité juridique à laquelle les agriculteurs souhaitant développer des activités agro-touristiques doivent faire face, est sans doute un frein à la diversification des activités agricoles, alors que l'on se rend compte de l'augmentation de la demande en ce sens de la part des touristes.
Il convient de préciser que n'avons pas approfondi ces questions juridiques autant qu'elles le mériteraient. Toutefois, il paraît intéressant de prendre en considération cette situation car nous nous sommes aperçus au cours des enquêtes de terrain que les questions liées à la pluri-activité et à la diversification étaient problématiques, très ancrées culturellement dans cette région.
Se référer notamment au supplément du n° 845 Chambres d'agriculture, "Les aspects juridiques, fiscaux et sociaux du tourisme rural", juin 1996, 120 p.
Entendue au sens de l'article L. 311.1 du Code Rural.
Ces autres activités peuvent être des activités professionnelles indépendantes, telles que commerçant, artisan, industriel, profession libérale ou des activités salariées en vertu d'un contrat de travail (dans les secteurs publics ou privés, agricoles ou non agricoles).
De l'ordre de 50 à 60%.
Dans ce cadre sont définies les activités agricoles par nature et les activités agricoles par relation, correspondant aux activités exercées soit dans le prolongement de l'acte de production, soit ayant pour support l'exploitation. Ces précisions de définition ne contribuent pas forcément à éclaircir l'ambiguïté des textes.
Chambres d'Agriculture, supplément au n° 845, "Les aspects juridiques, fiscaux et sociaux du tourisme rural", juin 1996, p. 11.