3.2.2.4. Un projet collectif pour la vallée d'Abondance : une cave et un centre d'interprétation

Les producteurs fermiers sont regroupés au sein d'une association, l'APAF – Association des producteurs d'abondance fermier. L'adhésion à cette association n'est pas obligatoire. Créée en en 1992, elle a pour but d'assurer la liaison et la représentation de ses adhérents devant les différentes administrations et organismes professionnels, d'apporter à ses membres tous services dans l'intérêt de leur profession, d'assurer la discipline professionnelle dans l'intérêt général et de favoriser la mise en marché et la promotion de l'abondance fermier77. Dès sa création, des actions ont été mises en place, en particulier pour poursuivre l'amélioration de la qualité des fromages en portant leurs efforts sur la formation et les suivis techniques. En outre, l'APAF se donne pour objectif pour 1994 de réaliser une cave collective et envisage un point de vente jouxtant la cave. La création de cette association est intervenue 2 ans après l'obtention de l'appellation d'origine contrôlée : elle est née d'une volonté de redynamiser la production fermière de la vallée. Les producteurs se sont sentis dépossédés des attributs identitaires de leur fromage, la zone ayant été élargie par rapport à leur demande initiale et la production fermière pas suffisamment identifiée et valorisée selon eux (Faure, 1996). Il s'agissait en 1992 de réfléchir à un nouveau projet pour la production fermière et pour la vallée. Entre 1990 et 1993, le volume en abondance a globalement augmenté, passant de 291 à 562 tonnes. La production fermière a suivi cette progression parallèlement à la mise en place de l'appui technique. Les producteurs fermiers reconnaissent que "ce suivi a permis d'améliorer la qualité du fromage mais surtout sa régularité." Mais la fabrication fermière requiert de la part des agriculteurs de multiples compétences : élevage, production laitière, fabrication fromagère et soins aux fromages tout au long de l'affinage. L'augmentation des volumes de production, la durée de l'affinage (3 mois minimums), les investissements liés à la construction et à la mise aux normes des ateliers de transformation et des caves – souvent en vallée et en alpage – sont des contraintes importantes et représentent un frein pour le développement de la production. Ainsi l'idée d'une cave collective fermière a germé dans l'esprit des responsables fermiers. Cette cave a ouvert en 1993 mais elle connaîtra de nombreuses difficultés avant de s'imposer auprès des producteurs de la vallée : la production fermière révélant une part d'individualisme chez les agriculteurs, il ne va pas de soi de confier ses fromages à une tierce personne. Pour la construction de cette cave ainsi que pour la mécanisation des retournements, l'APAF a travaillé avec plusieurs affineurs et techniciens, français, suisses et italiens. Au-delà de cette cave, le reste du bâtiment, initialement prévu pour un point de vente, s'est progressivement transformé en un centre d'interprétation : il se compose de deux corps, l’un principal qui renferme les caves d’affinage et locaux techniques, l’autre les locaux administratifs, d’exposition et d’accueil. L'idée, proposée par un élu de la vallée de retour du Canada où les centres d'interprétation avaient déjà largement leur place dans le paysage culturel et patrimonial, s'est lentement imposée auprès des producteurs. Toutefois, le projet a été l'objet de nombreuses controverses à propos de concurrence entre les communes du canton, de problèmes de financement, de luttes de pouvoir entre acteurs locaux78. La Maison du val d'Abondance ou Centre d'interprétation doit permettre de "faire découvrir le pays à partir du fromage avec pour objectif de faire acheter, mieux comprendre, aimer et respecter la vallée, connaître l’abondance, un des maillons de la filière79". Ainsi, des groupes de travail se sont constitués et ont réfléchi à la manière de mettre en valeur des éléments de thématiques différentes : ils ont travaillé notamment sur l’alpage, l’histoire, le fromage, l’économie et la vie sociale, les données géographiques et le milieu physique, l’élevage et la race bovine locale, etc. Ce sont des fermiers, des érudits locaux, les curés de paroisses, les élus et des habitants de la vallée d’Abondance, qui se sont directement impliqués dans ce projet. Des excursions sont organisées pour "aller voir ce qui s’est fait ailleurs". Selon un responsable du service aménagement rural et développement local de la D.D.A.F. de Haute-Savoie, "les acteurs locaux sont passés d’un projet agricole à un projet culturel". Malgré toutes les difficultés rencontrées, ces acteurs ont été amenés à réfléchir au sens de leur système de production, à ce qu'ils souhaitaient mettre en avant, aux spécificités de leur produit et de leur métier.

Pour résumer, on peut dire que le système de production de l'abondance se caractérise d'une part par une composition professionnelle hétérogène mais dont les catégories sont encore bien distinctes, et d'autre part par une augmentation régulière du volume de production, surtout en abondance laitier. Selon le syndicat, "l'enjeu aujourd'hui c'est la zone". La zone d'appellation d'origine contrôlée est la troisième caractéristique à retenir, source principale des conflits : elle est très large par rapport à l'origine géographique du produit et permet aujourd'hui à de nouveaux acteurs de bénéficier d'un fromage AOC, en premier lieu les industriels laitiers qui l'intègrent dans leur "plateau de fromages savoyards".

Notes
77.

Statut de l'APAF.

78.

Nous avons détaillé les différentes phases de l'élaboration de ce projet dans le cadre de notre DEA, Spécificités, délimitation et stratégies de valorisation : le cas des fromages abondance et raschera, ainsi que dans le programme européen sur la Caractérisation ethnologique, sensorielle et socio-économique des produits de terroir en Europe du Sud, coordonné par L. Bérard et Ph. Marchenay, 1998d.

79.

Assemblée Générale de l’A.P.A.F., 1994.