3.2.4.3. Les différents modes de fabrication

Nous proposons de présenter conjointement les modes de fabrication à la ferme et en fromagerie du reblochon, permettant de mieux faire ressortir les différences dans les différentes phases de la transformation.

Les fermiers se lèvent vers 5 heures le matin et commencent par s'occuper des reblochons en salle de séchage : ils les retournent un par un, chaque jour pendant 8 jours suivant la fabrication.

Vers 6 heures commence la traite. Aujourd'hui, les fermiers ont très largement adopté les machines à traire et les pipe-laits, déversant directement la production dans la cuve. Les pipe-laits sont apparus il y a 40 ans au moins. Selon les fermiers, "l'utilisation des pipe-laits est en partie à l'origine de la disparition de la flore, mais elle facilite beaucoup le travail." Avec une quarantaine de vaches, la traite dure environ une heure. Dans les coopératives, la fabrication a lieu le matin avec le mélange des laits de deux traites, c'est-à-dire que la traite du soir est réfrigérée à 4°C dans un tank et mélangée le lendemain matin avec du lait frais. Les exploitations laitières ont également adopté très tôt les machines à traire et les pipe-laits. Dès les premiers litres déversés dans la cuve, le fermier99 ensemence, c'est-à-dire qu'il ajoute des ferments dans le lait. Depuis mars 1998, le service technique du SIR produit et commercialise un ferment dit "spécifique" du reblochon. La majorité des exploitations fermières l'utilisent aujourd'hui, après des débuts difficiles. Changer de ferments a des conséquences sur l'ensemble des phases de la fabrication. Ainsi, les fermiers n'ont pas complètement abandonné l'utilisation des yaourts, apparu à la fin des années soixante-dix : en effet, certains combinent encore yaourts du commerce et ferment du SIR et modifient progressivement leurs pratiques. Un changement de ferment influence notamment la qualité de la pâte. Du coup, pour maintenir la qualité du produit, chaque fermier essaye de modifier l'alimentation animale, le volume de présure, les temps de caillage, etc. Une productrice fermière nous expliquait que "pour 415 litres de lait, elle met 5 ferments du SIR [qui se présente sous forme de yaourt prêt à l'emploi] et 4 yaourts Baïko [une marque du commerce]. On avance à tâtons pour ne pas prendre trop de risques." Dans les fruitières, les fromagers n'ont pas encore adopté aussi largement ce nouveau ferment. Toutefois, un grand nombre de coopératives appartiennent à des groupes industriels qui fabriquent et vendent leurs propres ferments.

A la fin de la traite, lorsque tout le lait est en cuve, c'est le moment de l'emprésurage. En coopérative, il doit intervenir dans un délai de 24 heures après la traite la plus ancienne. Etant donné que le lait est conservé à 10° C environ, il doit être chauffé jusqu'à atteindre 30 à 35° C, température d'emprésurage. De même, il arrive qu'en production fermière le lait soit réchauffé d'un ou deux degrés car le temps de la mise en cuve fait baisser la température du lait trait. Le volume de présure dépend des caractéristiques du lait : en moyenne, on met 30 cl de présure pour 100 litres de lait. Mais selon ce que recherche le fromager, un fromage plus ou moins dur, avec une pâte plus ou moins onctueuse, il peut jouer sur les doses de présure pour obtenir le produit voulu. La présure aujourd'hui – et depuis plus de 40 ans – est achetée sous forme industrielle, prête à l'emploi.

message URL photo20.jpg
Photo 20 – Fabrication du reblochon. Dans un atelier fermier, la présure se trouve sous forme liquide prête-à-l'emploi. Le producteur doit savoir doser le volume nécessaire en fonction de la qualité du lait et de ses variations possibles (Vallée de Thônes, 1998, M. Faure).

Ensuite, le temps de caillage comprend le temps de prise du gel et le durcissement du gel. Cette phase dure en moyenne une heure, mais elle varie selon le type de fromage que l'on recherche, selon la qualité du lait et la période de l'année. Selon un fermier, "le « vieux lait » [c'est-à-dire du lait de fin de lactation] caille moins vite, c'est différent du lait « plus frais ». On change toujours la présure, il faut s'adapter à chaque période." Ces variations nécessitent un long apprentissage pour être en mesure de contrôler l'emprésurage et pour sentir au toucher l'état de coagulation de lait. Toutefois, les fromagers ne touchent pas à chaque fabrication le caillé : ils ont l'habitude de connaître quotidiennement la qualité du caillage selon sa durée. Il y accorde beaucoup plus d'attention aux périodes de transition, notamment au passage à l'herbe au printemps. Le gel ainsi constitué est enfin tranché à l'aide d'un instrument appelé tranche-caillé. Nous avons observé que les fermiers tranchent d'abord en croix puis en huit ou en arc de cercle.

message URL photo21.jpg
Photo 21 – Fabrication du reblochon. Après un temps de maturation et de caillage, le producteur découpe le caillé à l'aide d'un tranche-caillé en faisant des arcs de cercle et des gestes en forme de huit (Vallée de Thônes, 2000, M. Faure).
message URL photo22.jpg
Photo 22 – Fabrication du reblochon. Après le décaillage, les grains sont brassés à l'aide de la poche (pelle – en plastique aujourd'hui – utilisée par les fromagers) pour les séparer et s'assurer de la qualité du caillé (Vallée de Thônes, 2000, M. Faure).

Les coopératives ont mécanisé la transformation, ainsi qu'il leur est autorisé dans le décret d'appellation. Le soutirage en reblochon laitier se fait par soutirage sous vide, c'est-à-dire que le caillé est directement aspiré dans la cuve et déversé dans les moules sur la table de moulage. En revanche, les fermiers déposent une toile de lin sur la cuve, laissant de ce fait le petit lait à la surface, qu'ils retirent au seau, et les grains de caillé au fond.

message URL photo23.jpg
Photo 23 – Fabrication du reblochon. Le lactosérum est en partie évacué au seau : le producteur dépose une toile de lin sur la cuve pour séparer les grains de caillé du petit-lait et plonge le seau pour récupérer le liquide. Celui-ci est souvent versé aux animaux car il est encore riche en matière protéique. En transformation industrielle, le caillé est soutiré sous vide et directement versé dans les moules. (Vallée de Thônes, 2000, M. Faure).

Une fois cette opération réalisée, le moulage est manuel : il s'agit de presser les grains de caillé ensemble et de remplir les moules de façon homogène.

Les fromages sont retournés une à deux fois durant l'égouttage sur la table de moulage ; c'est à ce moment là que sont apposées les plaques de caséine, rouges pour le reblochon laitier et vertes pour le reblochon fermier. Enfin, des poids de 1,5 à 2 kg sont posés sur les fromages moulés pour accélérer l'égouttage jusqu'à la traite suivante en production fermière, c'est-à-dire durant 6 heures environ.

message URL photo24.jpg
Photo 24 – Fabrication du reblochon. La table de moulage est préparée soigneusement en étendant une grande toile de lin sur les moules micro-perforés. Les poids qui serviront ensuite au moulage sont rangés sur le bord de la table (Vallée de Thônes, 2000, M. Faure).

En production industrielle, le pressage doit également être réalisé à l'aide de poids de 1,5 à 2 kg mais peut varier dans la durée selon le type de matériel utilisé pour le moulage. En effet, le moulage mécanique accélère l'égouttage par rapport à un moulage manuel, ainsi la durée de pressage peut être inférieure en laitier. Durant le pressage, les tables de moulage sont recouvertes d'une toile cirée pour éviter que la température baisse trop rapidement.

message URL photo25.jpg
Photo 25 – Fabrication du reblochon. Les grains de caillé sont déposés dans les moules et le producteur les rassemble et les presse pour homogénéiser la taille des fromages. On note à droite de la photographie que le petit-lait s'écoule lentement (Vallée de Thônes, 2000, M. Faure).
message URL photo26.jpg
Photo 26 – Fabrication du reblochon. Après un premier retournement, le producteur appose la plaque de caséine (verte en fermier et rouge en laitier) au milieu du fromage pour qu'elle soit bien visible (Vallée de Thônes, 2000, M. Faure).
message URL photo27.jpg
Photo 27 – Fabrication du reblochon. Les poids d'environ 1 kilogramme sont déposés sur les fromages pour favoriser l'égouttage (Vallée de Thônes, 2000, M. Faure).

Le saumurage suit la phase de pressage. Les fromages sont déposés dans la saumure durant deux heures environ. Jusque dans les années soixante-dix, certains fermiers salaient encore à sec, c'est-à-dire qu'ils prenaient un fromage dans une main et le frottaient de façon homogène avec l'autre main. Mais l'augmentation des volumes de production ne permet plus aujourd'hui de maintenir cette pratique. Le saumurage libère du temps pour d'autres activités. En outre, le salage par saumure est plus régulier, plus homogène sur le fromage, ce que préfèrent les affineurs de reblochon100.

La saumure est un mélange d'eau et de sel, environ 1 kg de sel pour 5 litres d'eau. Les fermiers ajoutent de "l'acide", un produit acheté à l'UPRF "pour éviter que les reblochons glacent : la saumure rend les fromages brillants et un peu gluants". La saumure est renouvelée une fois par mois et il faut chaque jour vérifier le taux de sel et la température. Selon la qualité de la saumure, les fromages peuvent être laissés plus ou moins longtemps. Les fromages sont poussés au fond de la bassine à l'aide d'une grille qui les empêche de flotter à la surface. Ils sont ensuite séchés pendant 8 jours, retournés tous les matins, et lavés au bout de 8 jours.

message URL photo28.jpg
Photo 28 – Fabrication du reblochon. Après la phase d'égouttage et de pressage, les fromages sont plongés dans un bain de saumure pendant plusieurs heures (Vallée de Thônes, 1998, M. Faure).
message URL photo29.jpg
Photo 29 – Fabrication du reblochon. Les reblochons passent ensuite une semaine en salle de séchage, puis affinés durant une dizaine de jours (Vallée de Thônes, 1999, M. Faure).

Les observations menées en suivi de fabrication montrent une homogénéité dans les pratiques de transformation. Même si la production fermière est diversifiée, même si la transformation industrielle est plus mécanisée, ces différentes fabrications sont relativement homogènes. D'ailleurs, les professionnels reconnaissent "qu'aujourd'hui, les reblochons se ressemblent beaucoup, il y peu de différences."

Notes
99.

Nous utilisons le masculin, toutefois aujourd'hui la division sexuelle du travail a beaucoup évolué, même si les femmes ne s'occupent toujours pas de l'élevage. Les hommes par contre sont passés de l'étable à la cave d'affinage puis à la fabrication. Les femmes s'occupent toujours de la fabrication, elles sont à l'origine du développement de l'agro-tourisme. Les hommes sont responsables de la commercialisation sur le marché ou des relations commerciales plus généralement.

100.

Nous reviendrons plus longuement sur la place des affineurs dans le système de production du reblochon car ils jouent un rôle important et se sont imposés récemment.