3.2.4.6. La commercialisation du reblochon

A l'heure actuelle, 90% de la production de reblochon sont commercialisés en grande et moyenne surface, mais les circuits en amont s'organisent autour de plusieurs opérateurs. Les grossistes-affineurs occupent une place prépondérante dans le système, mais ils se sont imposés relativement récemment dans le système. En effet, c'est à partir des années 1850-1860 que le reblochon connaît un essor important que l'on peut expliquer d'une part par l'émigration des montagnards vers les villes pour trouver du travail dans les usines, d'autre part par le développement des voies de communication – et on notera à ce propos l'ouverture de la ligne de chemin de fer Annecy-Paris via Aix-les-Bains en 1866 – et enfin sans doute le tourisme¹⁰⁹ qui commença à se développer dans les années qui suivirent. Au lendemain de la première Guerre Mondiale, le reblochon représentait une bonne valeur d'investissement puisqu'il se commercialisait à bon prix en France mais également dans les pays limitrophes, en Suisse et en Italie : s'installer comme négociant assurait une rentabilité rapide et intéressante de l'investissement. On assiste durant la première moitié du XXème siècle à une augmentation de la production (développement des fruitières et installation de producteurs fermiers dans l'avant-pays savoyard) parallèlement à l'apparition de nouveaux débouchés. L'installation de grossistes-affineurs allège la charge de travail en cave, activité lourde pour les producteurs dont les volumes de production augmentent.

Une particularité subsiste dans la Vallée de Thônes. Le marché du mercredi au Grand Bornand¹¹⁰ (Vallée de Thônes) est le lieu où se retrouvent chaque semaine producteurs et affineurs. Les producteurs se regroupent toujours à la même place, ils sont sur le marché avec les autres commerçants mais ils ne vendent pas aux consommateurs. Traditionnellement, les grossistes achetaient aux enchères les fromages. Aujourd'hui, les enchères ont disparu, il n'y a toutefois toujours pas de contrat écrit. Les producteurs vendent en général aux mêmes grossistes mais chaque mois, cette relation commerciale peut être remise en cause. Entre producteur et grossiste existe une sorte de contrat moral ou de confiance : certains grossistes continuent à acheter les reblochons d'une même famille d'une génération à l'autre même si la qualité des fromages n'est pas la meilleure. D'ailleurs, comprendre les critères du prix d'achat est chose complexe : le prix ne dépend pas que de la qualité du produit, mais des relations établies au cours des années, basées sur la confiance, sur la reconnaissance des savoir-faire. Ce système de vente sur le marché se perpétue alors qu'il serait plus simple de faire venir directement les grossistes sur l'exploitation. Or, deux raisons principales expliquent cette pérennité : d'une part, le marché est le lieu où tous les producteurs fermiers de la vallée se retrouvent chaque semaine ; c'est un lieu fort de sociabilité ; en outre, ils peuvent comparer les produits, connaître parfois les prix de vente et discuter de l'évolution de la production. D'autre part, et c'est sûrement la raison essentielle, ce sont "les patrons qui se déplacent" ; selon les fermiers, "si les affineurs achetaient directement dans les fermes, ce serait les ouvriers qui viendraient en camion." De cette manière, les producteurs estiment "qu'ils gardent une forme de pouvoir par rapport aux affineurs."

Aujourd'hui, il y a des ventes en blanc (lavés), semi-affiné (maximum une semaine de cave) et affiné (15 jours de cave). "Avant, il y a encore 40 ans, les producteurs affinaient plus chez eux", mais avec l'augmentation des volumes de production, la charge de travail est trop importante. Toutefois, les producteurs reconnaissent que "c'est mieux d'affiner, car on peut suivre le produit. Le problème avec les affineurs, c'est qu'on ne voit pas comment évolue notre produit ; on a des retours, mais un mois après, les fromages sont déjà loin."