4.3.4. Vivant et innovation

En abordant les relations entre vivant et innovation, nous voulons montrer l'évolution des rapports de force entre les acteurs impliqués. Qu'ils appartiennent à des services techniques interprofessionnels ou non, les techniciens sont conduits à modifier leur démarche de travail ou au moins à les remettre en question. Les syndicats de défense des fromages abondance, beaufort et reblochon, portent une attention particulière à l'ensemencement. L'abondance a investi beaucoup d'argent et collabore avec l'Institut technique du gruyère pour la recherche d'un ferment dit "spécifique" ; le beaufort a fait le choix d'une présure naturelle sur recuite, privilégiant ainsi "un ensemencement naturel" ; le reblochon a aujourd'hui son ferment, "un ferment sauvage du reblochon de Savoie" selon un technicien "dont il faut préserver les souches sauvages présentent naturellement dans le lait". Les syndicats produisent un discours sur la nécessité de sauvegarder les fondements de la spécificité des fromages au lait cru où l'ensemencement en est l'un des principaux enjeux : malgré la modernisation des ateliers, la mécanisation de la transformation fromagère, la codification des modes de production, les syndicats revendiquent "la tradition dans la modernité", "le maintien des savoir-faire ancestraux et la prise en compte des nouvelles normes", "le respect de l'authenticité des fromages et l'amélioration de la qualité par des innovations technologiques".

Ils élaborent un discours patrimonial qui leur permet de repenser des liens à l'espace, au temps et aux hommes, qu'ils soient d'ici ou d'ailleurs. Nous allons développer deux exemples illustrant la réification de la convocation du patrimoine pour reconstruire de nouvelles relations entre tradition et modernité et entre technique et vivant.

Même si les coopératives de la zone beaufort ont adopté des technologies modernes, notamment le soutirage sous vide, elles les ont, selon un responsable professionnel, "adaptées afin de préserver la spécificité du fromage ; il s'agit de protéger la diversité et de renforcer l'autonomie du système beaufort." Toutes les coopératives ont également dû se mettre en conformité avec la nouvelle réglementation, telle que la marche en avant qui veut que le produit ne repasse jamais par le même endroit, évitant ainsi des déplacements inutiles du transformateur et la rencontre inopportune de plusieurs produits à des stades différents. Les coopératives d'aujourd'hui sont bien différentes de celles d'hier ; on ne peut nier les profondes modifications qu'ont subies les instruments, les méthodes, les ingrédients. Philippe Mustar a d'ailleurs publié un article très éclairant d'une part sur le rôle de l'INRA dans cette évolution et d'autre part sur la façon dont les acteurs du beaufort ont su s'approprier les innovations jusqu'à n'octroyer qu'une place marginale à l'INRA dans la mémoire collective locale et dans les textes de promotion. Il écrit ainsi que

‘"l'INRA est bien au coeur du processus de “ relance du beaufort ” et non pas sur ses marges. Les chercheurs de l'Institut ne jouent pas un rôle “ d'assistance technique ” auprès des producteurs : ils conçoivent et construisent l'innovation. Mais pourquoi les textes marginalisent-ils l'INRA ? Pourquoi cette “ non-reconnaissance ” ? Les acteurs locaux interrogés par les auteurs de ces articles sont-ils ingrats ? Non ! C'est pour les meilleures raisons du monde que l'INRA est “ oublié ”. L'argument de vente du beaufort met en avant la tradition, la nature, le terroir... Dire ou avouer que le beaufort que l'on trouve chez nos fromagers est un produit de “ haute-technologie ” serait largement contre-productif. Si les producteurs “ limitent ” le rôle de l'INRA, c'est qu'ils ont parfaitement intégré les arguments de vente mis en avant il y a 30 ans (alors que leurs pères commençaient à abandonner les alpages, à nourrir les vaches avec des fourrages achetés dans les plaines et à pasteuriser le lait) par les premiers rapports des chercheurs. Les articles académiques que nous avons cités158 sont basés sur des entretiens avec des producteurs de beaufort ; les chercheurs ne sont pas interrogés. Pour les auteurs de ces textes, les chercheurs ne sont pas des “ acteurs ” ; en ne leur reconnaissant pas cette qualité d'acteur, on s'empêche de leur attribuer toute vision et tout rôle stratégique" (1995 : 106-107).’

Un technicien du service technique interprofessionnel qui indiquait à ce propos "qu'on a apporté de la technique à ce qui existait déjà, on n'a rien changé à la tradition" vient conforter l'analyse de l'auteur. Conscient des implications de ces collaborations, Mustar ajoute que "les chercheurs INRA ne participent pas seulement à la création d'un nouveau fromage mais aussi à celle d'une nouvelle organisation de la production. Ils participent à la recomposition de toute une société montagnarde" (1995 : 107).

Les fromagers du beaufort fabriquent leur propre présure, une présure naturelle sur recuite dont nous avons décrit la préparation dans notre ethnographie. Cette pratique, contraignante par rapport à l'utilisation d'une présure industrielle, offre l'avantage d'être difficilement copiable et a révélé la flore naturelle présente dans tous les ateliers de transformation. Cette flore peut provenir des thermomètres en bois, de l'ambiance, des mains des fromagers, etc. Mais il s'agit bien d'un ensemencement naturel dans la mesure où les fromagers n'ajoutent pas artificiellement de ferments dans le lait. Un technicien du service interprofessionnel nous a confié "qu'en outre, la flore était très différente d'un atelier à l'autre puisque les fromages eux-mêmes étaient différents. Et à chaque fois que l'on prépare une nouvelle présure, même si l'on doit repartir de souches sélectionnées, en particulier les lactobacilles helveticus et lactice, au bout de quelques jours, de 6 ou 7 repiquages, c'est la flore de la coopérative qui reprend le dessus." Depuis les années soixante, période de relance du beaufort, une longue réflexion a été menée sur l'ensemencement et l'emprésurage, en particulier avec l'INRA. Nous avons interrogé des techniciens, des fromagers, parfois à la retraite, pour mieux comprendre ce qui a conduit les responsables professionnels à choisir la présure naturelle sur recuite. Cette technique est ancienne et on la retrouve dans diverses productions. Dans le cas du beaufort, de nombreuses expérimentations ont été menées sur les technologies de fabrication, les levains en fromagerie, les soins en caves, etc. A cette période, n'importe quelle orientation était envisagée et envisageable, même celle de pasteuriser ou thermiser le lait pour le beaufort. Ces essais, menés par l'INRA, ont montré les atouts sensoriels du lait cru par rapport à la pasteurisation, puisque que la thermisation fait disparaître la flore sauvage des enzymes qui contribuent à la plénitude de l'arôme et du fruité du fromage" (Mustar, 1995 : 97). Et c'est sur la base de ces multiples expériences, à tous les stades de la production, articulant connaissances scientifiques et savoir-faire vernaculaires, que la technique de la présure naturelle sur recuite a été retenue. Difficilement copiable, elle répond parfaitement aux exigences sanitaires, économiques et culturelles de la production ; elle est aujourd'hui un atout pour le beaufort. Cette pratique requiert beaucoup d'expérience car les fromagers manipulent une matière vivante instable : en effet, le sérum d'une fabrication précédente, après avoir bouilli, est coupé avec de l'aisy ou du vinaigre. Le vinaigre est un élément stable dont on connaît précisément la composition physico-chimique. En revanche, l'aisy est un mélange de recuite et de vinaigre : son taux d'acidité est variable, il faut donc que le fromager soit à même de juger de sa qualité. Selon un technologue fromager, la fabrication de l'aisy correspond à la production domestique du vinaigre. En outre, l'ensemble de cette fabrication réclame un lent et long apprentissage car les Ecoles d'Industrie laitière n'enseignent pas ces particularités technologiques. C'est pourquoi quand un nouveau fromager arrive dans une coopérative, il ne fabrique pas avec de la présure naturelle sur recuite. Il se familiarise progressivement à la transformation du beaufort et utilise dans un premier temps une présure industrielle et des ferments classiques. "Pour leur transmettre les savoirs, il faut un suivi par semaine, il faut aider les nouveaux fromagers à interpréter les analyses" souligne un technicien, "tout est simplifié au maximum pour qu'ils ne s'embarrassent pas de choses complexes ; il faut qu'ils prennent le temps de fromager, d'apprendre, de maîtriser le vivant ; la première année, on leurs donne de la présure directement et pas de levains." Par ailleurs, ces nouveaux fromagers suivent différentes formations et sont parrainés par un ancien "à qui on demande de leur inculquer les bases." Cette forme d'encadrement est généralisée dans les coopératives, en atelier de transformation et en cave, puisqu'il y a un chef fromager et un chef caviste. Ce n'est donc que dans un second temps que les techniciens du service technique interprofessionnel les initient à la fabrication de cette présure. Ainsi qu'un fromager le soulignait, "l'essentiel est d'avoir des présures actives", car les bactéries dégénèrent au bout d'un certain temps et perdraient donc de leur activité. La gestion de ce vivant périssable – car la présure doit être renouvelée tous les 15 jours – et variable est un révélateur des compétences des fromagers. D'ailleurs, le responsable du service technique est spécialement attentif à la diffusion de ces savoirs et savoir-faire, lui-même ancien fromager : nous n'avons pas pu obtenir un entretien facilement et il était particulièrement délicat d'évoquer ces pratiques techniques. Et si les techniciens du beaufort regrettent que les ENIL n'enseignent pas cette technologie – "qui ne croyaient pas au succès du beaufort à l'époque", ils ne souhaitent pas pour autant aujourd'hui "diffuser ces savoirs : ceux qui veulent s'installer sont pris en charge de l'intérieur." Le toucher-fromager, tout comme "l'odorat, se cultive, comme la sensibilité aux autres formes d'expressions culturelles, il s'éduque, se socialise, se civilise, a une histoire" (Rasse, 1991 : 15). On notera enfin que, si la présure naturelle sur recuite est une obligation dans la fabrication, l'emploi d'aisy ne l'est pas159. Les fromagers ont la possibilité d'utiliser du vinaigre pour couper le sérum, mais étrangement nombreux sont ceux qui préfèrent conserver l'aisy. Les différents entretiens que nous avons menés montrent que les fromagers attachent d'une part de l'importance à ce savoir-faire très spécifique, c'est une manière de se reconnaître entre eux, et d'autre part ils jugent meilleur le sérac que l'on fabrique à partir des matières grasses recueillies en surface lorsque l'on utilise de l'aisy plutôt que du vinaigre. Mais un technicien nous a précisé que pour l'instant aucune étude ou analyse scientifique n'avait prouvé l'incidence de l'aisy sur le fromage.

Ainsi les modes de transmission retenus par le service technique interprofessionnel privilégient l'acquisition à la fois des connaissances, des valeurs et des prescriptions sociales liées au système de production et au métier de fromager. Les propos du responsable du service technique, selon lequel "les jeunes qui sortent de l'école ne sont pas sensibilisés à ces spécificités et – outre les caractéristiques techniques – il faut intégrer des considérations plus larges, c'est souvent difficile car ils ne connaissent pas l'histoire, ils ne savent pas d'où vient le beaufort" témoigne de l'attention accordée à la transmission de la dimension immatérielle du beaufort. Les techniciens ont aujourd'hui une légitimité forte et reconnue par les fromagers, dont ils croient et valorisent les compétences. De façon générale, la fabrication requiert beaucoup d'expérience pour pouvoir juger du meilleur moment où le fromager devra arrêter de chauffer ou de décailler, de même que le caviste doit être attentif à l'évolution des fromages car c'est en cave que les problèmes émergent. Aujourd'hui, le travail et les savoir-faire des cavistes sont reconnus, ils sont plus légitimes, notamment grâce à l'intérêt que portent aujourd'hui les techniciens à cette activité. D'après un technicien, "avant, le travail en cave était presque méprisé, c'était souterrain, dans l'humidité, alors qu'aujourd'hui un bon caviste peut rattraper beaucoup d'erreurs, en particulier les cuites et les gerçures sur les fromages". Ainsi, le service technique travaille maintenant de façon plus soutenue avec les cavistes et les techniciens sont formés à cette activité pour être à même de conseiller, contrôler et améliorer la qualité des produits finaux même si pour l'instant il n'y a pas de technicien – caviste à proprement parlé160. Un technicien reconnaissait que "les cavistes ont longtemps été ignorés jusqu'à que se pose la question de la robotisation des caves : à ce moment-là, tout le monde s'est rendu compte de l'importance des cavistes et de leur savoir-faire." Un second technicien ajoute que "leur travail était auparavant un peu méprisé mais les choses changent." D'ailleurs, les fromagers et les cavistes participent – ou sont au moins présents – au moment du classement technique des fromages : il s'agit d'un classement interne effectué conjointement par des techniciens du beaufort et de l'ITG, qui permet de noter – en interne et de façon confidentielle – les fromages en trois catégories A, B et C.

Le service technique du syndicat interprofessionnel du reblochon a également mis au point un ferment dit "spécifique" à la zone reblochon, qui doit être "suffisamment polyvalent pour que tous les transformateurs puissent l'utiliser" selon le responsable. Le SIR a donc investi dans une machine pour produire des souches lentes pour ensemencer le lait à reblochon et permettre aux producteurs de ne pas dépendre des yaourts du commerce. "L'objectif est d'autonomiser le service technique et de préserver un écosystème microbien spécifique". Les essais ont débuté au mois de février 1998 : l'utilisation de ce ferment en fabrication fermière a posé quelques problèmes, les fromages étaient secs et durs. Mais les producteurs étaient très intéressés par cette démarche car les yaourts du commerce avaient une souche rapide et ils n'étaient pas assurés de leur régularité. En outre, les fermiers sont embarrassés d'expliquer dans le cadre des visites à la ferme notamment qu'ils utilisent des yaourts du commerce : un producteur fermier a souligné qu'utiliser le ferment du SIR, "c'est mieux pour l'image de marque du reblochon, plutôt que de mettre des yaourts, mais comment expliquer aux gens que les laits sont plus neutres, qu'ils sont propres, et qu'on est donc obligé d'ajouter des ferments ?" A l'inverse, employer un ferment spécifique leur semblait beaucoup plus légitime. Mais ce ferment avait été sélectionné à partir de fabrications fruitières et de fabrications fermières à gros quotas, "il était polyvalent, très rapide et efficace et nécessitait donc un moulage parfait et rapide sinon le caillé risquait de s'assécher trop vite".

Les producteurs fermiers ont une gestion du temps plus souple, ce ferment était trop rapide pour leur mode de fabrication. Depuis le 26 mars 1998, le service technique a mis au point un nouveau ferment, qui devrait être plus adapté à la fabrication fermière. Mais on peut se demander dans ce cas s'il conviendra à la production fruitière. En fait, un technicien du service nous a dit que "le principe était de satisfaire le plus grand nombre, ce qui ne signifie pas la totalité. Ceux à qui le ferment ne convient pas pour sa fabrication devront soit adapter leur mode de production pour prendre en compte la spécificité du ferment, soit utiliser un autre ferment". Le service technique a acquis une nouvelle légitimité et ses compétences sont reconnus au-delà des producteurs fermiers et des transformateurs fruitiers. En effet, plusieurs affineurs - grossistes ont signé une convention avec le STSIR, de même des collaborations sont envisagées avec certains industriels laitiers. Ces conventions permettent notamment de contrôler et de suivre des fromages dont les producteurs ne sont pas adhérents du STSIR. Les activités du service technique s'inscrivent directement dans une volonté de relocaliser les savoirs, les modes de production, de réinvestir les domaines d'action qui permettent de renforcer le lien au lieu. La révision du décret et l'élaboration du nouveau cahier des charges confortent cette idée car les principaux changements, objets de nombreux débats, vont dans le sens d'une concentration sélective des éléments identitaires, susceptible à la fois d'améliorer la qualité intrinsèque des fromages et de préserver le lien au lieu à destination des touristes. Le fait de s'orienter vers 50% de foin de la zone161 est un élément significatif de cette évolution.

Le fait d'avoir mis en place un service technique interne à un système de production, montre que les normes ont été intégrées, prises en compte, qu'elles ont favorisé la modernisation des exploitations, même si cela n'a pas été sans conséquence. En fait, la normalisation a été appropriée par les syndicats, ils l'ont reprise à leur compte et ont entrepris de personnaliser les normes, les techniques, les pratiques, les produits. Nous pouvons dire qu'en quelque sorte, les interprofessions, par ces choix, sont entrées dans une logique de reconstruction du local. Les services techniques apparaissent comme des interfaces entre les savoirs techniques et les savoirs vernaculaires, car capables de prendre en considération la spécificité, d'avoir une réflexion sur la valorisation des compétences de l'ensemble des acteurs. L'action traditionnelle efficace (Mauss, 1973 : 371-372) met en oeuvre des moyens matériels et des connaissances d'ordre physique, chimique, etc. Ainsi que le souligne Sigaut, "l'action efficace hic et nunc exige toujours plus et autre chose que les descriptions qu'on peut en faire. Ou autrement dit, il ne suffit jamais de savoir comment on fait pour savoir faire : pour passer de l'un à l'autre, il faut un minimum d'expérience, c'est-à-dire d'apprentissage" (1999 : 521). Progressivement, les interprofessions se réapproprient des activités jusque là assurées par des organismes extérieurs. Elles réhabilitent les savoirs technico-scientifiques auprès des producteurs et renforcent la légitimité des savoirs vernaculaires auprès des techniciens qui y prêtent plus d'attention. Les services techniques internes s'appuient sur une pratique de terrain et des contacts directs et ils apportent des réponses adaptées au contexte local.

Ces deux exemples mettent en lumière la façon dont le patrimoine est convoqué pour reconstruire les liens entre tradition et modernité162 et entre technique et vivant. Les syndicats élaborent un nouveau contenu – fait de compromis – aux liens aux lieux, aux temps et aux hommes, au travers de dispositifs de médiations entre différentes catégories d'acteurs et "d'objets hybrides" (Bourg 1996). Le processus de patrimonialisation permet d'exprimer une expérience, une manière d'habiter et d'être-au-monde (Ricoeur 1986). La distinction effectuée par les techniciens entre ce qu'ils considèrent comme traditionnel, c'est-à-dire un passé qui persiste dans le présent, et ce qu'ils jugent moderne, associé à la mécanisation, est finalement relayée par une virtuosité intellectuelle où "l'interprétation du passé est conduite en fonction de critères rigoureusement contemporains" (Pouillon, 1975 : 160). L'ensemble des recherches menées par l'INRA, l'ITG et les différents syndicats d'appellation d'origine contrôlée, montre que la tradition, loin d'être la persistance du passé dans le présent transmise de générations en générations, "est une réponse, trouvée dans le passé à une question formulée dans le présent" (Lenclud, 1994 : 33). L'idée selon laquelle "nous choisissons ce par quoi nous nous déclarons déterminés, nous nous présentons les continuateurs de ceux dont nous avons fait nos prédécesseurs" (Pouillon, 1975 : 208) nous éclaire sur la façon dont la construction patrimoniale permet d'octroyer de nouvelles significations et légitimités aux savoirs et aux savoir-faire dans la gestion des caractéristiques du vivant.

Notes
158.

Mustar cite notamment H. de France, 1990 – "Rationalité économique de l’agriculture paysanne. Réflexion d’ensemble et étude de cas du beaufort", Economie et humanisme, n°311, pp. 4-20.

159.

On pourra se référer au chapitre 3.2.3.4. Fabriquer du beaufort pour le détail de la production de présure naturelle sur recuite et de l'aisy.

160.

Toutefois, on notera qu'au sein du laboratoire de l'UPB, certains techniciens souhaitent approfondir les études sur la technologie d'affinage et travailler sur les formes d'ensemencement à partir des souches déjà identifiées par l'INRA de Poligny. Mais cette évolution est sujette à discussions car d'autres ne veulent pas diffuser et faire connaître l'écosystème microbien du beaufort, par crainte d'encourager les contre-façons.

161.

Dans le décret de 1956, rien n'était spécifié, puis, progressivement, dans le cadre des révisions du règlement intérieur, au moins 25% du foin devait provenir de la zone.

162.

On notera que H.-P. Jeudy associait le développement de l'ethnologie régionale à l'apparition de nouveaux objets patrimoniaux, ainsi qu'à l'approche renouvelée des liens entre tradition et modernité. Ainsi selon lui, "cette alliance “ retrouvée ” entre la tradition et la modernité est renforcée par le rôle croissant de l'ethnologie régionale car les nouvelles idées sur le patrimoine dépendent de plus en plus de l'essor de l'ethnologie. On aurait pu croire qu'au contraire une démarche ethnographique conduirait à développer un passéisme culturel en s'investissant surtout dans la découverte de traditions oubliées. L'ethnologie permet à de nouvelles conceptions du patrimoine de se fonder sur une dynamique de la mémoire collective. C'est elle qui assure le contrôle de l'éclatement d'une logique de la conservation en une pluralité de modes d'investigation culturelle. Elle rompt avec le déterminisme de la monumentalité tout en proposant un cadre scientifique et prospectiviste à la genèse des “ nouveaux patrimoines ”" (1986 : 16-17).