5.2.2.1. Participer à des visites à la ferme

Pour argumenter notre analyse, nous nous appuierons tout d'abord sur des entretiens et des observations menés auprès des producteurs laitiers et fermiers qui offrent un accueil à la ferme. Nous avons assisté à 17 visites à la ferme, dont 7 en payant la place et agissant comme les touristes174, 5 en ayant un entretien un jour et une visite un jour suivant, 5 en ayant un entretien avant et après la visite avec le producteur. Treize visites ont eu lieu sur des exploitations fabriquant du reblochon175, une de l'abondance176 et trois sur des exploitations laitières177. Nous avons suivi les visites, parfois anonymement pour s'assurer que la présence de l'ethnologue ne fausse pas le discours. Nous avons testé plusieurs modes d'opération pour étudier les visites à la ferme. La place de l'ethnologue posait un problème, et d'autant plus que nous venions du SUACI Montagne, service de chambres d'agriculture. Toutes ces précautions peuvent paraître superflues. D'après notre expérience, nous ne pouvons écarter l'idée que, selon l'interlocuteur, le discours de l'agriculteur est susceptible de changer avec la présence d'une personne étrangère au groupe. Est-ce que, après les visites effectuées, cette attention portée à la perturbation que peut engendrer la présence d'une personne étrangère était justifiée178 ? La réponse à cette question ne peut être catégorique, car bien souvent les agriculteurs oublient cette présence au cours de la visite. Mais le fait de prendre des notes la rappelle. En outre, les agriculteurs prévenus de notre travail sont intrigués et parfois inquiets de la destination des notes qui ont été prises. Les ethnologues - et sans aucun doute pas seulement eux - se trouvent régulièrement dans la situation où on leur demande si ce qu'ils ont entendu et noté correspond à ce qu'ils attendaient : à plusieurs reprises, les agriculteurs ont sollicité notre avis à la fois sur le fond et la forme de leur prestation. Enfin, soulignons que les agriculteurs nous ont explicitement demandée que certaines choses ne soient pas mentionnées, mais nous reviendrons plus tard sur ce point car il mérite que l'on s'y attarde ; nous verrons qu'il est en partie révélateur de l'évolution actuelle du métier d'agriculteur de montagne.

Du point de vue méthodologique, l'observation participante a pris tout son sens au cours de ces visites : ce type d'observation, indispensable mais insuffisant pour valider la recherche ethnologique, doit permettre au chercheur de s'imprégner de la culture et des pratiques qu'il étudie. François Laplantine, en référence à la construction du phénomène social total développée par Mauss, souligne que "l'intégration de l'observateur dans le champ de l'observation" (1996 : 21) n'est pas un obstacle épistémologique. En effet, l'ethnologue ne doit pas tenter d'éviter son implication ou les contacts directs. A notre sens, cette situation fait émerger de nouvelles informations, elle enrichit la recherche, elle laisse place à l'inattendu. Cette dernière idée est essentielle car, comme l'avait noté P. Francastel, "on ne voit que ce que l'on connaît, ou du moins ce que l'on peut intégrer à un système cohérent" (1970 : 60) : ainsi, être en situation, participer et observer peut permettre de palier cette lacune, surtout en prenant en considération les catégories et les représentations vernaculaires.

Notes
174.

Afin de réellement passer inaperçue, nous avons utilisé les transports en commun des villages où avaient lieu les visites, pour ne pas être remarquée en arrivant sur l'exploitation, notre voiture étant immatriculée 73, toutes les autres étant immatriculées 95, 59, 61, 28 ou 41 le plus souvent. Toutefois, pour une visite, nous n’avons pu prendre le car pour nous rendre sur une exploitation et le producteur était intrigué par notre présence, mais n'a pas semblé perturbé dans la présentation de sa ferme.

175.

Vallée de Thônes : Grand Bornand, La Clusaz et Manigod.

176.

Vallée d'Abondance : Châtel.

177.

Vallée du Giffre et vallée Verte, Haute-Savoie.

178.

Il est utile de préciser que notre présence pouvait également perturber les touristes : quand on arrive sur une exploitation, que l'on sert la main des agriculteurs, que l'on discute et que l'on prend des notes, les touristes se posaient forcément des questions. Toutefois, ceci ne s'est pas vérifié car dans tous les cas, les questions, les remarques, la curiosité semblaient être les mêmes.