5.2.4. L'accueil : pour quoi faire ?

Cette question est essentielle dans la problématique. Pourquoi les producteurs fermiers et laitiers et les responsables de coopérative investissent-ils dans l'accueil des visiteurs ? Qu'attendent-ils en retour ? Comment ont-ils réfléchi cette activité ? Le questionnement central de cette seconde partie vise à comprendre dans quelle mesure l'accueil – sous certaines formes - peut renforcer le processus de patrimonialisation. Les entretiens menés auprès de ces acteurs mettent en lumière ce qui les a conduits vers l'accueil et la manière dont ils l'ont mis en oeuvre. Nous savons par ailleurs que les agriculteurs des Alpes du Nord sont sensibilisés au tourisme et à la rencontre de l'Autre. La pluri-activité peut être une des explications dans la mesure où, contrairement à l'image que l'on se fait parfois des zones de montagne reculées, les vallées n'étaient pas isolées du reste du monde : elles étaient des lieux de circulation intense et de passage d'un pays à l'autre, vers la Suisse et l'Italie notamment. Les agriculteurs eux-mêmes avaient le plus souvent une seconde activité, saisonnière ou permanente, activité qui a évolué avec le temps : ils étaient bergers, peigneurs de chanvre, enseignants ou autres colporteurs ; puis, avec le développement des grandes ascensions, alpinistes, guides ; avec l'installation des industries électro-chimiques ou métallurgiques sont apparus les ouvriers – paysans ; aujourd'hui, beaucoup sont moniteurs de ski, perchmen, pisteurs, accompagnateurs en moyenne montagne. Ceci montre que le développement de l'accueil sur des lieux de production ne s'est pas fait par hasard mais qu'il est bien le fruit d'une histoire particulière dans les Alpes.

Recevoir c'est aussi apprendre et connaître. Mais "accueillir avec faste, c'est voir sa réputation s'étendre, portée par des voyageurs jusqu'à des terres lointaines : tel est aussi un des termes, une des raisons de l'échange" (Picon, 1999 : 422). Toutefois, on peut se demander si le fait d'accueillir chez soi, ou l'hospitalité de façon générale, ne correspond qu'à une manière pacifique de montrer son pouvoir et de transmettre et diffuser sa culture ou si, à partir du moment où il y a échange, ce moment de rencontre dans la vie sociale peut se comprendre comme un « phénomène social total » (1973 : 147) pour reprendre l'expression de Marcel Mauss. Cette hypothèse nous guidera dans notre analyse de la médiation dans les processus de patrimonialisation et de la construction d'une culture professionnelle des agriculteurs de montagne.