Au sein des coopératives fabriquant du beaufort sont présentés différents objets agricoles anciens, des panneaux retraçant son histoire, des tablettes qui expliquent sa fabrication. L'histoire de la coopérative de Beaufort-sur-Doron montre le cheminement qui a poussé au développement des points de vente et des salles de visites. Cette coopérative, créée en 1957, transforme chaque année près de 9 millions de litres de lait en fromage beaufort. Le point de vente date de 1972, imposé par le président de la coopérative aux administrateurs, peu convaincus par cette initiative. L'investissement était lourd et l'accueil de visiteurs n'apparaissait pas comme une priorité ; à l'heure actuelle, on ne conçoit plus une coopérative sans un point de vente et quelques objets et panneaux exposés aux touristes. En 1998, la vente directe à la coopérative représentait 15% de la production ; ceci peut paraître peu, pourtant 15% correspond à 127 tonnes de fromage ou 3000 meules de beaufort de 43 kg ou 1,3 millions de kg de lait transformé. Le nombre de visiteurs est difficile à évaluer ; toutefois, le directeur estime qu'environ 100 000 personnes par an s'y rendent, et parfois achètent en ressortant. Les touristes, potentiels consommateurs mais incontestables messagers, peuvent observer la fabrication fromagère derrière une baie vitrée, lire des panneaux sur l'agriculture du Beaufortain et sur les caractéristiques du fromage, et se représenter la vie des agriculteurs de montagne188 à partir de la reconstitution "authentique" d'un chalet d'alpage, où ne manque aucun objet évocateur du lieu et du métier, tel que la baratte, le chaudron ou le tranche-caillé en bois. Les visiteurs peuvent également assister à la projection d'un film d'une trentaine de minutes, seule prestation payante, présentant les activités agricoles du Beaufortain. Les responsables de la plupart des coopératives ont rapidement compris l'intérêt d'une telle démarche : la communication auprès des consommateurs, dans le cas d'une petite production comme le beaufort, passe essentiellement, voire exclusivement, par la relation directe, et les zones de production sont les vitrines de promotion des produits. Les lieux où sont accueillis les touristes sont décorés et les objets du passé sont mis en scène pour leurs donner du sens. Michel Rautenberg distingue deux types de patrimoine suivant l’usage collectif qui en est fait : le patrimoine en activité, celui qui est productif économiquement, et le patrimoine éteint, fait d’objets exposés au public, dont la fonction n’en est pas moins importante, mais essentiellement symbolique (1997). Les coopératives transformatrices de beaufort associent ces deux types de patrimoine. Les responsables se sont rendu compte néanmoins que l'exposition ne suffisait plus : les touristes recherchent le contact et les relations directes avec les producteurs. Fort de ce constat, la coopérative de Saint-Sorlin d'Arve, en Moyenne Maurienne, propose des journées portes ouvertes durant les vacances de février, où quelques producteurs de lait expliquent leur métier et font déguster le beaufort à des touristes curieux. Toutefois, ces manifestations sont ponctuelles et limitées dans le temps et dans l'espace. Certains guides assurent les visites ; mais demeure le problème de savoir qui les forment pour présenter la production de beaufort. Selon un responsable du syndicat,
‘"ça, c’est un gros problème : qui doit faire les visites ? Il y a des ateliers en fait – je crois à beaufort – ils avaient essayé de mettre en place des guides, en fait ça ne marche pas. Quand c’est des guides professionnels, les gens n’adhèrent pas. Il leur faudrait quelqu’un de la coopérative qui fasse la visite, ou un producteur, qui dise « voilà moi je fais ceci, cela, sur mon exploitation », si c’est un guide comme quand on visite un musée, ça ne leur convient pas. Donc ils ont abandonné le système. C’est vrai qu’ils font des visites succinctes, c’est surtout quand ce sont des groupes professionnels (agricoles ou autres professions). Là il y a une visite, par exemple à Beaufort, le directeur de la coopérative assure lui-même la visite." ’Malgré d'une part un réel intérêt porté aujourd'hui à cette forme de communication et d'autre part la volonté de développer l'accueil et la relation directe sur les lieux de production, les aménagements des coopératives de la zone beaufort témoignent encore du poids de la dimension écrite dans la promotion et de la distance à parcourir pour une réelle appropriation du passé historique de ce système de production. Nous reviendrons plus longuement sur cette dernière idée car elle est au coeur des enjeux de la construction patrimoniale des productions fromagères dans les Alpes du Nord.
Un gros effort a notamment été fait pour accueillir des visiteurs durant l'hiver 1992, année des Jeux Olympiques d'Albertville.