A partir de cette description, nous proposons de dégager quelques thèmes principaux pour analyser l'expérience CIFRE au sein d'un programme de recherche et développement à la lumière d'ouvrages théoriques publiés sur cette question. Nous souhaitons montrer l'intérêt de l'implication pour la recherche. Les références bibliographiques sont peu nombreuses ; toutefois certaines réflexions apparaissent parfois sous forme d'invitation au changement, de préconisation ou d'avertissement sur les risques d'une anthropologie appliquée. Ainsi, Guy Pallotin, ancien président de l'INRA, rappelait que "pour des raisons conjoncturelles, la science européenne s'est historiquement constituée à l'écart de la religion et de la philosophie. En libérant la pensée scientifique des cosmogonies antérieures, cette séparation a marqué une étape essentielle et représenté un facteur de dynamisme incontestable. Mais elle a également contribué à accréditer chez les chercheurs l'idée selon laquelle la recherche de l'objectivité devait les conduire à se tenir à l'écart des préoccupations de la société, idée qui nourrit aujourd'hui encore une bonne conscience absentéiste assez largement répandue. Or cette position n'est aujourd'hui plus tenable235".
Dans une autre perspective, Vidal nous fait part de sa réflexion : "Au Rwanda des hommes mêlés à d'autres expérimentent et mettent en cause leur perception, ils ne vivent pas en solitaires détenant chacun un fragment d'idéologie dont le savant élaborerait l'encyclopédie. Mais les anthropologues non plus ne pensent pas seuls : eux aussi bricolent les idéologies d'ailleurs avec les idéologies d'ici" (1978 : 121).
La sociologie des sciences montre que tout travail scientifique s'intègre dans un cadre social et culturel donné. "Les recherches alimentent autant qu'elles mobilisent des « réseaux socio-techniques » associant laboratoires, entreprises, responsables politiques et institutions. Dans ces réseaux émerge la demande sociale, produit d'une traduction à laquelle participe activement le chercheur lui-même, avec ses valeurs et ses stratégies propres" (Albaladejo, Casabianca, 1997 : 8). Roger Bastide écrivait en 1971, dénonçant les écueils d'une Anthropologie Appliquée sans conscience, que "l'anthropologue est de plus en plus appelé à remplir dans les pays dits en voie de développement, une tâche pratique, à substituer l'action planifiée aux contraintes de la tradition, à faire triompher le rationalisme dans des continents qui avaient jusqu'ici d'autres formes de connaissances, mythiques, religieuses ou purement empiriques, à aider les groupes « communautaires » des paysans dispersés de par le monde à devenir des groupes « sociétaires » par l'urbanisation, par la rationalisation de l'économie traditionnelle et surtout par les programmations. Mais il est appelé à remplir cette tâche à l'intérieur du modèle dominant, qui est le modèle cartésien, c'est-à-dire à tirer son Anthropologie appliquée de son Anthropologie scientifique (...). Nous pouvons nous demander si en réalité ces fins que l'on assigne à l'action humaine dans le contrôle des forces sociales ne sont pas les fins d'une culture " (1971 : 7). Son propos nous invite à reconsidérer la démarche de l'anthropologie à la lumière de notre expérience, en particulier l'idée d'une empathie méthodologique à laquelle il semble nous inviter : est-elle possible ? Est-elle même souhaitable ?
Paillotin G., 1997 - "Préface", in Albaladejo C. Casabianca F. (eds), La recherche-action. Ambitions, pratiques, débats, Etud. Rech. Syst. Agraires Dév., 30, p. 5.