Introduction

Face au problème constitué par la fugacité des paroles et la difficulté d’en conserver la trace, l’homme a inventé diverses solutions ; on peut comprendre l’écriture comme l’une des manifestations de sa créativité dans ce domaine.

Alors que le langage apparaît comme l’expression d’une propriété du cerveau, propre à l’espèce humaine, l’expression écrite apparaît plutôt comme une invention sociale dont la réalisation met en jeu de multiples fonctions et nécessite un apprentissage, effectué par référence au langage oral, et l’acquisition d’habiletés diverses.

L’étude des différences individuelles, portant sur l’écriture, nous est apparue une approche intéressante, pour saisir les liens possibles de ce comportement complexe et d’un certain nombre de facteurs.

Dans l’hypothèse, notamment, de l’intervention de facteurs génétiques, nous avons choisi d’étudier l’écriture de jumeaux.

L’étude des jumeaux, pour comprendre l’origine des différences individuelles, n’est pas récente puisqu’elle date des travaux de Galton ; mais c’est à Siemens que l’on doit la première description explicite de la méthode, comparant monozygotes et dizygotes, en 1924 ([140] cité par Spitz et Carlier [144]).

Depuis, la méthode a beaucoup évolué : elle tient compte aujourd’hui des limites afférentes à l’un de ses postulats, relatif à l’action identique de l’environnement pré et postnatal sur la différenciation intra-paire chez les jumeaux ; dans ses applications récentes, elle intègre, notamment, des variations de l’environnement prénatal, en distinguant jumeaux monochorioniques et dichorioniques.

Dans l’étude de certaines pathologies, sous dépendance d’un gêne majeur, les techniques de génétique moléculaire ont aujourd’hui remplacé la méthode des jumeaux. Elle reste indiquée, toutefois, quand la transmission des affections est plus probablement polygénique et quand le rôle de l’environnement dans la manifestation des troubles est important.

Nous avons ici choisi d’utiliser la méthode des jumeaux, mais nous n’avons pas limité notre étude au seul test de l’hypothèse de l’intervention de facteurs génétiques. En effet, nous pensions que de tels facteurs pouvaient intervenir sur certaines fonctions sollicitées dans l’élaboration de l’écriture et ne pas intervenir sur d’autres. Pour ces dernières, l’environnement intra-utérin pouvait ou non jouer un rôle, ce que nous comptions vérifier. D’autres facteurs ont également été pris en compte, certains relatifs à la situation gémellaire (souffrance néonatale, croyance des jumeaux, facteurs psychologiques) d’autres plus généraux (âge, sexe, niveau scolaire…).

Dans le travail présenté ici, nous n’avons considéré que l’aspect grapho-spatial de l’écriture, que nous avons caractérisé par un certain nombre de paramètres, objectivés, après numérisation des écritures, par un logiciel de traitement d’images.

Cependant, dans une première partie, nous présentons l’écriture dans son ensemble, de manière très générale.

Nous nous sommes attachée à son histoire, pour mieux comprendre son origine. Puis nous avons envisagé ses différents aspects, et leur perturbation, pour en comprendre les mécanismes et dégager des liens entre les paramètres que nous nous proposions d’étudier et différentes fonctions cognitives. A cet effet, nous avons intégré ici des connaissances acquises par ailleurs, lors de l’analyse des composantes graphiques et spatiales de l’écriture de patients atteints de la maladie d’Alzheimer. Cette étude, que nous avons effectuée dans le service de Neuropsychologie, dirigé par le Docteur Bernard Croisile à l’Hôpital Neurologique de Bron, nous a paru importante pour préciser les liens des paramètres que nous mesurons, avec des facteurs visuo-constructifs, attentionnels et mnésiques et, de façon plus générale, pour mieux cerner les dimensions prises en compte dans l’étude de l’écriture des jumeaux

L’étude de l’écriture étant effectuée chez des jumeaux, nous avons ensuite tenté de définir la situation gémellaire, ou plutôt de distinguer différentes situations à prendre en compte, tant sur le plan de l’anatomie et de la génétique que de la psychologique.

Après avoir présenté, de manière détaillée, nos hypothèses et la méthode dite des jumeaux, nous abordons, dans une seconde partie, la méthodologie propre à notre travail, dans le cadre d’une recherche effectuée chez l’enfant au Laboratoire Génétique Neurogénétique Comportement (GNC) de l’Université René Descartes (Paris V), alors URA CNRS 1294, devenu depuis UPR 9074 CNRS à Orléans.

Nous exposons les résultats de cette étude, réalisée en deux temps. Le second temps de l’étude porte plus spécialement sur l’effet du type de chorion sur les différents paramètres.

L’étude chez l’enfant nous ayant montré l’intérêt d’analyser des écritures plus différenciées, nous abordons, dans une troisième partie, l’étude de l’écriture d’adultes. Cette dernière étude a été réalisée à Lyon, au Laboratoire de Neuropsychologie de l’Hôpital Neurologique et au Laboratoire d’Etude et d’Analyse de la Cognition et des Modèles (LEACM) à l’Université Lyon2.

Des études antérieures, portant sur la préférence manuelle et la latéralité, impliquées dans l’écriture, n’ont pas permis de mettre en évidence une ressemblance significative des jumeaux monozygotes, pas plus qu’une différence en fonction du type de chorion. Par ailleurs, l’acquisition de l’écriture par l’enfant fait envisager l’intervention de nombreux facteurs environnementaux. Nous ne pouvions donc pas espérer des résultats massivement en faveur de l’hypothèse concernant l’intervention d’un facteur génétique dans l’écriture, avec une ressemblance intra-paire des monozygotes plus grande que celle des dizygotes pour tous les paramètres.

Cependant, en étudiant les différents paramètres de l’écriture isolément ou selon leur regroupement à travers une analyse factorielle, nous pensions pouvoir envisager des influences diverses, notamment l’influence de facteurs génétiques, s’exerçant sur certaines fonctions de notre cerveau, en rapport avec un ou plusieurs paramètres de l’écriture. Nous espérions, en particulier, des résultats concernant le facteur de spatialité dont des études antérieures nous avaient montré l’importance dans l’écriture.

Par ailleurs, l’effet de l’environnement intra-utérin semblant s’exercer sur certaines fonctions cognitives, touchant à l’efficience intellectuelle, dans le sens d’une ressemblance intra-paire plus grande des monozygotes ayant partagé un chorion unique, nous pensions également pouvoir retrouver cet effet, sur certains paramètres.

L’étude de l’écriture, chez l’enfant, nous a apporté de nombreuses informations, surtout concernant l’influence, à distance, de l’environnement intra-utérin. Mais c’est surtout l’étude chez l ‘adulte qui s’est révélée très productive et riche en enseignements concernant les effets possibles de plusieurs facteurs sur l’écriture et leur responsabilité dans les différences individuelles que l’on constate.