1.2. Modélisation

L'étude de l'écriture d'un point de vue neurophysiologique repose, pour beaucoup, sur des travaux assez anciens, avec notamment en 1929, l'énoncé par Saudek d'une quinzaine de lois du mouvement graphique [135].

Plus récemment, on trouve les travaux de Callewaert (1962) [26], Périot et Brosson (1957)[113], De Bose (1971)[51] ; et plus proche de nous, ceux de François Michel à Lyon (1971, 1972, 1976) [103][104][105]. L'ensemble de ces études s'intéresse essentiellement aux corrélations positives qui existent entre la vitesse absolue et la longueur du fil graphique ou le degré de liaison de l'écriture, également au caractère de stabilité de certaines données comme le temps d'écriture d'un mot, même lors de l'écriture mentale du mot, ou la pression, en rapport avec la vitesse instantanée.

Depuis quelques années, des travaux portant sur la reconnaissance de l'écrit ont amené à une analyse plus approfondie de l'écriture. Plusieurs approches ont été proposées, comme celle de Dooijes et al. (1991) [55], Crettez et al. (1994 et 1995) [40-41]. Ce dernier accorde une place particulièrement importante dans la caractérisation de l'écriture à l'orientation et à la densité spatiale du graphisme. L'étude des paramètres de la géométrie fractale (Le Méhauté, 1990) [92] a permis une première classification des écritures (Vincent et al., 1995) [154]. Elle a permis, en outre, d'objectiver la lisibilité de l'écriture, (Mandelbrot , 1984) [99] et le "degré d'implication" du scripteur (Vincent, Faure, 1996) [155].

Les travaux conduits récemment au Laboratoire de Neuropsychologie de l’Hôpital Neurologique à Bron, avec des moyens informatiques de traitement de l'image numérisée, ont permis des études multifactorielles de l'écriture, confirmant, notamment, les relations entre la vitesse et la longueur du fil graphique, et définissant des facteurs principaux de l'organisation grapho-spatiale de l'écriture. Elles permettent de dégager des profils particuliers de scripteurs, en regard notamment d’un facteur dit “ horizontal ” ou d’appropriation de l’espace, qui concerne avant tout les paramètres de dimension et de disposition dans la page, et d’un facteur “ vertical ” ou d’implication, où interviennent la dimension fractale et la pression (Faure, 1992, 1994,[62-63] ; Faure, Michel, 1995)[65].

En ce qui concerne la compréhension des mécanismes de l'écriture, le mode d'approche le plus intéressant est dû à l'apport de la psychologie cognitive basée sur l'analogie avec des modèles de traitement de l'information de type modulaire et hiérarchique (Morton, 1980 [106] ; Ellis, 1982 [57] ; Barry et Seymour, 1988 [7] ; Shallice, 1988 [139]).

Du point de vue cognitif, le langage apparaît comme l’expression d’une propriété du cerveau propre à l’espèce humaine, tandis que l’expression écrite apparaît plutôt comme une invention sociale. L’acquisition de l’écriture, aujourd’hui, par l’enfant, correspond à des apprentissages effectués par référence au langage oral. On ne s’étonne donc pas que les modèles d’organisation cognitive de l’écriture dérivent de ceux du langage. Il en va de même de l’organisation linguistique. Ainsi :

On reconnaît à l'organisation de l'écriture, comme à celle du langage, trois articulations :

Les modèles de l'écriture s’inspirent du modèle double-voie de lecture (Morton et Patterson, 1980 [107], Coltheart et al., 1993 [36]). Ils supposent l'existence de deux systèmes fonctionnant indépendamment mais en parallèle:

  1. une voie phonologique (conversion des phonèmes en graphèmes)
  2. une voie lexicale (reconnaissance du mot dans son ensemble au niveau du lexique orthographique de sortie). Cette voie n'implique pas forcément une médiation sémantique , on parle alors de voie lexicale directe.

Ces voies sont schématisées sur la figure 1, ci-après .

Figure 1. Modèle des processus impliqués en écriture et en épellation sous dictée
Figure 1. Modèle des processus impliqués en écriture et en épellation sous dictée

L'atteinte de la voie phonologique est à l'origine d'une agraphie phonologique qui respecte l'orthographe des mots familiers qu'ils soient réguliers, irréguliers ou ambigus, alors que l'écriture de non-mots est impossible ; souvent les erreurs produites ne respectent pas la prononciation du mot cible. Au contraire, une atteinte de la voie lexicale (agraphie lexicale) affecte l'écriture des mots irréguliers et ambigus. Les erreurs sont phonologiquement correctes et il y a souvent un effet de régularisation orthographique.

En aval de ces voies, on reconnaît, dans le cas de l'écriture manuscrite, trois systèmes sous-jacents :

  1. Le buffer graphémique, sorte de mémoire de travail commune à différents mécanismes d'exécution périphérique qui maintient les représentations orthographiques abstraites. Son atteinte est à l'origine d'erreurs pour toutes les modalités d'entrée ou de sortie et pour toutes les catégories de mots, produisant des néologismes imprononçables par addition , omission ou substitution de lettres, plus fréquemment pour les mots longs et plutôt dans la partie médiane.
  2. Un second système, allographique, concerne le choix de l'allographe dans l'écriture manuscrite uniquement. Sa perturbation est à l'origine de troubles dans la sélection de la forme des lettres, il peut y avoir substitution de lettres de forme voisine, erreur de choix entre majuscule et minuscule.
  3. Le transfert des informations allographiques se fait vers le système des patterns moteurs graphiques qui décide de l'enchaînement des traits, leur taille, leur position, programme l'exécution neuromusculaire. Une perturbation à ce stade est à l'origine d'erreurs de formation des lettres (omissions , substitutions de traits) ; c'est le domaine des agraphies apraxiques.

Dans l’hypothèse où demain d’autres technologies remplaceraient l’écriture, on peut très bien imaginer la perte des engrammes moteurs relatifs à l’écriture manuscrite au profit d’engrammes moteurs d’utilisation d’un clavier, par exemple .

Notes
1.

Elément sonore du langage parlé, qui constitue une unité distinctive, auquel correspond le graphème sur le plan de l’écriture. Le Français distingue 36 phonèmes.