2.3. Etude de la latéralité et des performances manuelles chez les jumeaux

Il est habituel d’admettre dans la population générale occidentale l’existence de 6 à 10 % de gauchers. Les différences observées tiennent pour beaucoup à la diversité des méthodes utilisées pour évaluer la gaucherie. On distingue en fait deux types d’évaluation, les unes basées sur des épreuves réalisées par le sujet, les autres sur des questionnaires. Les questionnaires les plus utilisés comportent de 10 à 20 questions ; celui d’Annett, 1970, en comporte 12 (Annexe B).

L’usage d’un questionnaire est pertinent chez l’adulte, malgré le problème posé par le poids relatif des différentes questions. Par contre, chez l’enfant, il est préférable de juger les performances lors d’activité diverses et les batteries d’épreuves sont nombreuses. Le tapping, notamment, concorde assez bien avec les questionnaires pour distinguer droitiers et gauchers. (Porac et Coren, 1981) [118].

Il faut noter que la dominance oculaire et celle du membre inférieur sont à distinguer de celles de la main sans qu’il y ait forcément correspondance.

L’étude des jumeaux montre une augmentation du nombre de gauchers par rapport à la population générale. Springer et Searlman (1980) [147], faisant un récapitulatif des études antérieures, retiennent des taux de gaucherie allant de 6 à 19.3% chez les dizygotes , de 8.3 à 31% chez les monozygotes, tandis que dans les mêmes études, les taux de gaucherie chez les enfants non issus de grossesses multiples allaient de 4.3 à 9.6 %..

Si une incidence plus grande de la préférence manuelle gauche peut être retenue chez les jumeaux comme chez les sujets de sexe masculin (Coren, 1994 [38] ; Davis et Annett, 1994 [49]), il n’apparaît pas, par contre, de différence significative entre monozygotes et dizygotes dans la plupart des études.

La constatation, par la plupart des auteurs, de taux de gaucherie plus importants chez les jumeaux que dans la population générale sans différence marquée entre monozygotes et dizygotes, notamment en ce qui concerne le pourcentage de paires discordantes pour la latéralité, tend à prouver l'impact de facteurs non génétiques et peut-être liés à la gémellité dans le déterminisme de la latéralité.

Pour expliquer la fréquence des couples de jumeaux monozygotes discordants, René Zazzo avançait une division tardive du blastocyste, alors qu’un début de différentiation droite-gauche de l’embryon se serait déjà opéré (hypothèse de l’image en miroir développée en 1928 par Newman [110]) ; Cette hypothèse suppose donc plus de discordances chez les monozygotes monochorioniques, dont la division est plus tardive, que chez les dichorioniques. Or l’étude de Derom et al., notamment, (1996) [53], portant sur 375 paires de monozygotes, montre qu’il n’en est rien : la discordance intra-paire pour la manualité est la même chez les monochorioniques et chez les dichorioniques. Ceci doit conduire à l’abandon de cette hypothèse : la latéralité en miroir chez les jumeaux monozygotes ne peut être la conséquence d’une division tardive de l’embryon, comme d’autres études, portant sur un nombre moins important de jumeaux, tendent également à le prouver (Karras-Sokol et al., 1995 [86] ; Carlier et al., 1996 [31]).

La théorie d'Annett suppose que chez les jumeaux le déplacement à droite de la distribution de la préférence manuelle serait moins important, de même que chez les garçons. Dans ses observations les moyennes établies sur les différences entre les mains des jumeaux et des singletons étaient trouvées significativement plus faibles chez les jumeaux, et également plus faibles chez les garçons (Annett, 1970) [2].

Pour Annett l'expression du gêne RS+ dépendrait de facteurs liés aux rythmes de la maturation cérébrale en fin de grossesse ( différents chez les filles et les garçons et chez les jumeaux dont la croissance est ralentie par rapport aux singletons).

L’étude de Carlier et al., 1996 [31], montre que les ressemblances intra-paires ne sont pas plus importantes chez les monozygotes que chez les dizygotes, aussi bien en ce qui concerne la latéralité que le niveau de performances. D’autre part, cette étude ne montre aucune différence entre monochorioniques et dichorioniques pour la direction de la latéralité (droite ou gauche), dont les auteurs vérifient ici qu’elle varie légèrement en fonction des tâches. Les moyennes des différences intra-paires concernant les performances et la latéralité ne différent pas significativement entre monochorioniques et dichorioniques : comme on l’a déjà dit, aucun effet chorion n’a été observé.

La mise en évidence de ressemblances pour les tâches concernées (tapping et épreuve de pointillage) entre les germains élevés ensemble (Carlier et al., 1994 [30]), est en faveur de l’influence de l’environnement, même si ces ressemblances apparaissent moins importantes que chez les jumeaux.

L’impact de l’environnement sur la préférence et les performances manuelles fait intervenir plusieurs facteurs, parmi lesquels des facteurs relatifs à l’éducation et à la morale aussi bien qu’à l’entraînement et à la pratique. Ces facteurs, tout comme les facteurs psychologiques, sont susceptibles d’intervenir différemment dans la situation gémellaire.

En résumé de l’étude de la latéralité manuelle chez les jumeaux, on retiendra l’incidence de la préférence manuelle gauche plus grande que chez les germains, sans qu’on puisse mettre en évidence de ressemblance intrapaire plus importante chez les monozygotes, ni de différence entre monochorioniques et dichorioniques, en ce qui concerne les performances manuelles ou le degré de latéralité.