2.5. Diagnostics de zygosité et de chorionicité

2.5.1. Diagnostic de zygosité

Chaque jumeau a le droit de savoir quelle relation l’unit à son co-jumeau. Encore faut-il qu’il en ait le désir et souvent il cherche plutôt à conforter sa croyance personnelle, plus importante, d’un point de vue psychologique, que le diagnostic réel. Toutefois, sur le plan médical, il peut être intéressant de connaître ce diagnostic, dans le cas de maladies héréditaires par exemple ou si on envisage une greffe.

Dans le cadre de recherches s’appuyant sur la méthode des jumeaux, ce diagnostic est essentiel.

Cependant quand la croyance des sujets est différente du diagnostic que l’on est en mesure de faire, la loi Huriet-Sérusclat, dans son application, pose un problème éthique : la restitution des informations n’est pas forcément la meilleure façon de prendre en compte le but final qui est le respect des personnes dans leur intégrité. René Zazzo [165] (Le paradoxe des jumeaux, 1984, p90-91) conseille de prendre en compte “ la valeur que les enfants et les parents attachaient à l’identité ou la non-identité qu’ils proclamaient ”, l’important étant de ne pas “ détruire la nature intime de la fraternité, la remplacer par une autre ”, portant atteinte du même coup à l’identité du sujet.

Plusieurs méthodes sont utilisées pour établir le diagnostic de zygosité :

  1. Le sexe : En présence de jumeaux de sexes différents, on peut affirmer qu’ils sont dizygotes, mais à l’inverse devant des jumeaux de même sexe, on ne peut rien avancer.
  2. L’examen des annexes à la naissance : un placenta monochorionique permet d’affirmer que les jumeaux sont monozygotes ; par contre l’existence de deux masses placentaires ou d’un placenta dichorionique ne permet pas un diagnostic : il peut s’agir de jumeaux dizygotes mais également de jumeaux monozygotes, si le clivage de l’œuf s’est opéré très précocement car alors chaque embryon va fabriquer ses propres membranes (chorion et amnios). La séparation ou la fusion éventuelle des placentas ne dépend que du lieu d’implantation.
  3. Les marqueurs génétiques :
  • Le polymorphisme sanguin a pu être utilisé pour diagnostiquer la zygosité, faisant appel à la fois aux systèmes ABO et Rh mais également à de nombreux autres systèmes qui complexifient beaucoup la méthode : les paires discordantes pour un ou plusieurs systèmes sont dizygotes, celles concordantes, pour tous les systèmes, sont monozygotes, avec un risque d’erreur très faible (P.002 )
  • La technique d’analyse de l’ADN avec la méthode développée par Jeffreys et al., (1985) [85}] se révèle également une technique efficace : la probabilité d’un diagnostic erroné de monozygosité est inférieure à 1/10 000 ; par contre il existe un risque non négligeable de conclure à une différencedu faitd’une mauvaise lecture d’une bande, consécutive à un défaut d’amplification. De plus le coût de l’analyse avec cette méthode est important.
  • La technique utilisée dans le laboratoire de Génétique Neurogénétique et Comportement à Paris (URA 1294) utilise la méthode des marqueurs SSLP (Simple Sequence repeat Length Polymorphisms) ; il s’agit de détecter les polymorphismes concernant la longueur du fragment d’ADN.
    L’ADN est extrait des cellules épithéliales buccales ce qui nécessite simplement de demander à la personne de se rincer la bouche avec une solution sucrée. Cette méthode est donc moins lourde que la précédente qui nécessite un échantillon sanguin.
    Si on exclut la possibilité d’erreur dans l’analyse biologique, toutes les paires qui différent par un marqueur génétique permettent un diagnostic de dizygosité mais un seul marqueur ne permet pas d’avoir une certitude suffisante pour affirmer la monozygosité (deux dizygotes peuvent avoir le même génotype pour un marqueur donné). La méthode nécessite donc plusieurs marqueurs ; leur nombre tient compte du coût de l’analyse et de la probabilité d’erreur jugée acceptable.
  1. Les questionnaires : il s’agit là d’une méthode beaucoup moins onéreuse et dont la mise en œuvre est également plus simple, basée sur la ressemblance physique des jumeaux monozygotes. Utilisés avant l’usage des marqueurs génétiques, les questionnaires le sont encore largement car ils permettent un diagnostic relativement fiable de la zygosité, avec un risque d’erreur souvent inférieur à 5%.(Les erreurs portent généralement sur les monozygotes). On en connaît de nombreux, appliqués aux adultes, qui ont été validés dans différentes études (Cederlöf et al., 1961 [32] ; Nichols et al., 1966 [111] ; Sarna et al., 1978 [134] ; Magnus et al., 1983 [98] ; Lykken et al., 1990 [97]). Ces questionnaires ont l’inconvénient de ne pas être en Français. En France, Micheline Lévy a élaboré un questionnaire à partir de celui de Lykken, validé sur l’analyse de l’ADN avec la technique de Fowler (Fowler et al., 1988) [69] ; ce questionnaire est présenté en annexe (Annexe C). Dans l’ensemble il apparaît qu’un très petit nombre de questions suffit à établir le diagnostic : cinq pour Lykken et deux seulement pour Sarna. Le questionnaire de Magnus comporte également cinq points forts dont la corrélation avec le diagnostic, établi à partir de marqueurs génétiques, est presque aussi élevée que celle de l’ensemble du questionnaire. La réponse à la seule question “ alike as two drops of water ” permet de classer correctement 93,7% des 207 paires de jumeaux que comporte l’étude ; l’ensemble du questionnaire permet un classement correct pour 98% des paires. La validité de cette méthode est également démontrée chez l’enfant dans l’étude de Bonnelykke et al., (1989) [19]. Spitz et Carlier ont, pour leur part, adapté en français le questionnaire proposé par Goldsmith en 1991, [79] (Annexe D), validé par comparaison au diagnostic établi à partir des marqueurs SSLP (Spitz, 1994 [143], Spitz et al., 1996 [146]). Une classification correcte des jumeaux est obtenue dans 97.5% des cas, à partir d’une équation de régression logistique utilisant quatre variables seulement. Elles concernent :
    1. la texture des cheveux,
    2. la ressemblance :“ ni plus ni moins que des frères et sœurs du même âge ” ou davantage,
    3. l’évolution de la ressemblance, au fur et à mesure que les jumeaux grandissent,
    4. la confusion par des amis éloignés, prenant les jumeaux l’un pour l’autre. Il s’agit des questions 12, 18, 21e, et 24 du questionnaire de Spitz et Carlier, présenté en annexe (annexe G).
  1. Les dermatoglyphes : Les crêtes primaires se constituent entre la dixième et la dix-septième semaine de vie intra-utérine, puis se forment les crêtes secondaires (Coren, 1987 [37] ; Davee, 1992 [48]) . Aux environs de la vingtième semaine, les dermatoglyphes sont formés de manière définitive. Pendant le temps de la migration des cellules dermales, on admet une sensibilisation aux facteurs de l’environnement. Ensuite la structure des dermatoglyphes, en dehors de tout traumatisme, est immuable. Reed (1986) [120] propose un diagnostic à partir des dermatoglyphes, fondé sur une fonction discriminante établie à partir de l’étude des différences intra-paires. Les variables prises en compte sont nombreuses ; elles concernent le pied, la paume et les doigts de la main. L’association de l’index de Reed (Index d’Indiana, 1977 [121]) et de celui de Smith et Penrose, qui date de 1955, [142] permet un diagnostic correct pour environ 82% des jumeaux, ce qui représente un risque d’erreur qui demeure considérable.
  2. La croyance des parents et des jumeaux eux-mêmes ne suffit pas à établir le diagnostic. Toutefois, elle s’avère assez souvent exacte en ce qui concerne les dizygotes. Dans le cas de monozygotes, le diagnostic de chorion, quand il est connu, interfère avec celui de zygosité. En effet, les indications qui sont fournies aux parents à la naissance ne sont pas toujours claires. Certains termes sont ambigus ou mal compris, notamment le terme de “ poche ”, très utilisé, et qui, en principe, désigne la poche des eaux, c’est à dire l’amnios. Avec le sens de “ placenta ”, il donne une indication du type de chorion.

Le terme de dichorionique lui même est souvent mal interprété, compris comme attestant d’une grossesse dizygotique et de nombreux parents de jumeaux monozygotes sont persuadés d’avoir des dizygotes (42 % dans l’étude de Spitz, 1994, [143] dont très souvent des parents de monozygotes dichorioniques ).