Discussion générale et conclusion

Notre étude visait une meilleure connaissance de l’écriture, notamment de son organisation grapho-spatiale. Nous souhaitions mettre en évidence la responsabilité de divers facteurs, pour mieux comprendre l’origine des différences individuelles dans l’écriture et en premier lieu nous souhaitions tester l’hypothèse d’un éventuel facteur génétique.

La plus grande ressemblance des monozygotes comparée à celle des dizygotes, qui apparaît lors de l’étude chez l’adulte, est en faveur d’un tel facteur.

Chez l’enfant les écritures trop proches du modèle et trop contraintes par l’apprentissage ne nous permettaient pas d’apprécier une plus grande ressemblance des monozygotes par rapport aux dizygotes, qui, très souvent se ressemblaient également beaucoup, pour l’ensemble des paramètres. De plus, nous étions gênée par le manque de puissance des tests statistiques, du fait des effectifs réduits, aussi bien dans l’étude préliminaire que dans l’étude de l’effet chorion. Toutefois, on retenait comme possible, une plus grande ressemblance des monozygotes pour le facteur d’extension ou d’appropriation de l’espace, dans l’écriture, pour lequel on trouvait une ressemblance significative des garçons monozygotes.

Cependant, l’étude de l’effet chorion chez l’enfant nous a montré l’existence d’un effet du type de chorion pour certains paramètres en rapport avec l’appropriation de l’espace (notamment les marges et la vitesse) et avec la direction des lignes. Cet effet va dans le sens d’une plus grande ressemblance des monochorioniques, par rapport aux dichorioniques, et peut donc être responsable d’une majoration de la ressemblance des monozygotes.

L’étude chez l’adulte montre une plus grande ressemblance des monozygotes par rapport aux dizygotes, en particulier pour les éléments de spatialité, principalement les indices de direction et de positionnement dans la page : marges, hauteur du texte, positionnement de la signature.

L’effet du type de chorion peut intervenir notamment dans la ressemblance concernant les marges et la direction des lignes.

D’autres facteurs sont susceptibles d’influencer les résultats.

Les variations des paramètres avec l’âge ou le sexe n’influencent pas les différences intra-paires des jumeaux, puisqu’ils ont le même âge et le même sexe et que l’âge et le sexe sont distribués de façon identique dans les groupes. Par contre la différence d’âge peut majorer les différences chez les germains, même si les âges sont voisins.

On note également que les monozygotes partagent plus souvent les mêmes activités et ont des professions et des niveaux d’études souvent voisins, ce qui peut être à l’origine d’une plus grande ressemblance.

D’autres facteurs encore, peuvent influencer les différences intra-paires :

Ces facteurs sont susceptibles d’intervenir dans la plus grande ressemblance des monozygotes, ou la plus faible ressemblance des germains par rapport aux dizygotes.

On note en effet une plus grande ressemblance des monozygotes pour la rapidité et la pression moyenne, or le lien de la rapidité et de la pression est plus important avec la ressemblance dans les choix et les comportements qu’avec le diagnostic, même si la ressemblance comportementale, plus importante chez les monozygotes, est elle même en lien avec le diagnostic.

Par ailleurs on remarque que les jumeaux se ressemblent plus pour la juxtaposition de l’écriture (sans différence significative entre monozygotes et dizygotes, mais une moyenne des différences intra-paires légèrement plus petite chez les dizygotes) que les germains qui différent considérablement. Or plusieurs facteurs sont susceptibles d’interviennent sur la juxtaposition :

Ces deux derniers facteurs risquent d’augmenter les différences intra-paires des germains, très rarement scolarisés ensemble, et dont l’attachement n’est pas aussi important que celui des jumeaux, du moins en ce qui concerne les monozygotes, comme nous l’avons vu.

Il n’est pas toujours facile de cerner les facteurs qui interviennent dans la relation gémellaire, ni leur mode d’action ; en particulier, on retiendra de cette étude la complexité des liens entre les jumeaux, dont on peut penser qu’elle intervient sur l’expression écrite, qui est aussi “ écriture de soi ” ; or, s’il semble que la relation des monozygotes soit proche, cela paraît très variable chez les dizygotes, notamment au fil du temps. En particulier, on remarque chez l’adulte que la distanciation des dizygotes est souvent importante, plus importante que chez les germains, si on considère la fréquence des visites par exemple ; de même, le choix de la profession diffère autant, voire plus, chez les dizygotes que chez les germains, alors que le niveau d’études des dizygotes est plus souvent le même ou voisin que celui des germains.

S’il apparaît que la plus grande ressemblance des monozygotes, par rapport aux dizygotes, peut être rapportée à d’autres facteurs qu’un facteur génétique, le fait le plus troublant pour interpréter cette ressemblance, demeure la mise en évidence, chez l’enfant, d’un effet du type de chorion pour les paramètres en rapport avec la spatialité. Malgré tout, l’ensemble des résultats chez l’adulte plaide plutôt en faveur de l’existence d’un facteur génétique ; même si intervient un effet du type de chorion, cela ne concerne, vraisemblablement, qu’un nombre restreint de variables.

L’effet de facteurs intervenant différemment chez monozygotes, dizygotes et germains, l’incidence du niveau d’études, de la profession, de la relation entre les jumeaux, du déroulement de la scolarité, dont on a montré les variations en fonction de l’appartenance aux trois groupes, nous incite cependant à apporter des restrictions et des limites à l’utilisation de la méthode des jumeaux.

Dans notre étude, nous pouvons regretter des effectifs trop réduits pour nous permettre des plans expérimentaux différents, qui nous auraient permis de traiter l’interaction de ces facteurs avec le diagnostic de zygosité.

Carlier et al.,1978 [28], et d’autres auteurs, (Kendler, 1983 [88]), à la suite de revues de la littérature, portant sur la mise à l’épreuve du postulat d’égalité des effets des environnements pré et postnataux chez les jumeaux monozygotes et dizygotes, pensent que lorsque des effets différents se manifestent, ils ne rendent pas compte de la totalité des différences observées entre monozygotes et dizygotes. Cependant, pour Hopper, 1992, [83] cette hypothèse a été insuffisamment testée.

En fait, le postulat paraît acceptable dans certains cas mais pas toujours et l’existence de facteurs pour lesquels les monozygotes sont plus souvent concordants que les dizygotes, avec le risque que ces facteurs interviennent dans la manifestation du caractère étudié, doit nous amener à faire des réserves.

Les progrès de la génétique moléculaire font que l’on peut, souvent, aujourd’hui, se passer d’utiliser la méthode des jumeaux dans les affections où un gêne à effet majeur est en cause. Cependant, en psychiatrie par exemple, les tentatives de localisation d’un tel gêne n’ont pas abouti ; les maladies mentales sont plutôt polygéniques, même si un gêne à effet majeur peut intervenir dans certaines familles. La méthode des jumeaux garde donc tout son intérêt. Cependant, de plus en plus, les résultats observés chez les jumeaux sont intégrés à des analyses portant sur différents types de parentés ; ce type de plan permet une meilleure discrimination des causes de la ressemblance familiale (transmission culturelle par imitation ou apprentissage social - environnement commun aux germains - environnement spécifique aux jumeaux) (Spitz et Carlier, 1996 [144]).

La complexification des modèles d’analyse, grâce aux progrès de l’informatique, et l’usage de variantes de la méthode, contribuent aussi à ce qu’elle soit toujours très largement utilisée, comme en témoigne, on l’a vu, de nombreuses études récentes.

Si nous pouvons, légitimement, avancer la possibilité d’un facteur génétique, intervenant dans l’écriture, au même titre que dans d’autres fonctions cognitives, nous manquons d’arguments pour mettre en avant un tel facteur en ce qui concerne la latéralité. Celle-ci a un terme tardif, au delà de la première année (Flament, 1975) [67] et même si on admet l’influence de facteurs génétiques, embryologiques et anatomo-physiologiques, on ne peut nier des facteurs relationnels, en lien avec des contraintes de l’environnement plus adapté aux droitiers et qui supposent des influences parentales et pédagogiques (Barbizet et Duizabo, 1977) [5], plus encore que pour l’écriture.

On peut penser (De Ajuriaguerra et Bouvelot-Soubiran, 1959 [50]) que la latéralisation façonne un ajustement au réel, qui se fait en faisant. La genèse de la latéralité à travers le psycho-social et le subjectif peut s’expliquer par une construction génétique par paliers successifs (Piaget, 1963) [115] où intervient l’exercice fonctionnel et des mécanismes de régulation (assimilation, accommodation) et on voit ici l’importance de l’environnement.

Si la question de la part qui revient à “ l’inné ” et à “ l’acquis ” a souvent été débattue, la plupart des auteurs s’accordent à penser, comme Freud à propos de l’hérédité et de l’étiologie des névroses, [71] qu’il faut distinguer “ les dispositions, dans lesquelles l’hérédité joue un grand rôle ; les causes concurrentes et les causes spécifiques ”.

Cependant, dans certains cas, et cela semble celui de la latéralisation, et, probablement aussi, de certains aspects de l’écriture, l’élaboration d’une fonction se fait plus en interaction avec le milieu, peut-être dès la vie intra-utérine.

Il a manqué à notre étude la recherche d’un éventuel effet chorion sur la latéralisation des paramètres pris en compte dans l’étude de l’écriture et en rapport avec la latéralité manuelle.

Nous serions aujourd’hui tentée d’approfondir cet aspect, et aussi de reprendre l’étude de l’écriture dans une perspective plus psychosociale, visant davantage les facteurs relationnels et les influences parentales et pédagogiques, voire culturelles, dont l’importance apparaît au premier plan.

En effet si on considère que l’écriture fixe moins une langue qu’une mémoire, une civilisation (Leroi-Gourhan, 1965) [93], la direction et la morphologie d’une écriture sont à étudier, avant tout, en fonction de l’environnement culturel où elle est née.

Une étude longitudinale de l’écriture nous paraîtrait également intéressante du fait des variations qu’on lui reconnaît au cours du temps, chez un même individu, en dehors de tout processus de détérioration.

L’écriture, comme le langage, est au service d’une pensée symbolique, et elle “ relève de la même aptitude de l’homme à réfléchir la réalité dans des symboles verbaux, gestuels ou matérialisés par des figures ” (Leroi-Gourhan, 1965).[93].

En cela, on ne peut s’attendre à quelque chose de définitivement fixé et il est légitime de se demander si une écriture est jamais construite. Elle reflète une réalité toujours changeante qui, à son tour, la façonne.