3.2. production de l’écrit : le modèle de Hayes & Flower

La schématisation générale du processus de production présentée précédemment rend mieux compte de la production orale que de la production écrite. Pour rendre compte de la production écrite, nous allons présenter le modèle de Hayes & Flower (1980) :

message URL IMG003.gif
Schéma 3 : Modèle de Hayes & Flower (1980) adapté par Fayol (1996).

Ce modèle comporte trois composantes : l’environnement de la tâche, les connaissances conceptuelles, situationnelles et rhétoriques (mémoire à long terme du scripteur), et enfin le processus d’écriture à proprement parler.

L’environnement de la tâche correspond aux éléments externes au scripteur qui influencent le processus d’écriture, y compris le but du texte et la consigne. Une fois que le processus d’écriture a commencé, la portion de texte qui a déjà été écrite entre dans les composantes de l’environnement.

La deuxième composante concerne les connaissances conceptuelles, situationnelles et rhétoriques : pour produire un texte écrit qui vise un public spécifique, il est nécessaire d’avoir une connaissance de ce public ; pour écrire sur un thème, il faut avoir des connaissances sur ce thème ; pour écrire dans un genre spécifique, il faut avoir des connaissances sur le standard du type textuel. Une connaissance de la grammaire et de plans d’écriture est également requise.

La dernière composante, le processus de production écrite à proprement parler se décompose en planification conceptuelle qui gère la sélection et l’ordre de présentation de l’information, la mise en texte, qui correspond à la phase de génération de phrase, et enfin la phase révision/édition qui procède à l’évaluation et éventuellement aux corrections du texte.

Si l’on compare ce modèle à celui présenté précédemment, on remarque que globalement, ils ne manifestent pas de différences importantes. Deux précisions sont à apporter toutefois.

La première différence à prendre en compte par rapport au modèle présenté précédemment, est liée au caractère permanent de l’écrit opposé au caractère éphémère de l’oral et a pour conséquence d’inclure dans l’environnement immédiat le texte déjà produit. Cet élément autorise la relecture de ce qui a déjà été produit et à s’appuyer sur cet indice pour élaborer la suite du texte. La différence est donc que dans le cas de l’oral, il existe bien ce que Levelt appelle discourse record mais dont la trace est gardée en mémoire au lieu de constituer un trace physique comme c’est le cas dans la production écrite, le caractère “physique de cette trace facilitant le monitoring et la révision.”

La seconde différence que le modèle ne laisse pas apparaître, d’une grande importance, concerne le rythme de production spécifique à chacun des deux modes : à l’oral, Fayol (1997 : 11) donne comme rythme moyen d’élocution entre 150 et 200 mots/minute, alors que l’écrit serait de 5 à 8 fois moins rapide et en conclut qu’ :

‘ ‘“à l’écrit, la moindre contrainte temporelle et l’absence de destinataire présent autoriseraient une sélection plus lente et plus réfléchie des mots ainsi qu’une recherche de précision et d’explication afin de pallier le caractère décontextualisé de la production” ’(Fayol 1997 : 15).’

En théorie, dans la condition écrite, le scripteur peut utiliser à loisir tout le temps de planification qu’il souhaite. L’exemple extrême de ce temps de planification très élastique est illustré par un personnage de Camus dans La Peste : petit employé de Mairie, Grand a pour ambition d’écrire le roman le plus parfait qui soit. Ce souci de perfection l’empêche de poursuivre son entreprise au delà de la première phrase du roman qui est planifiée et replanifiée :

‘ ‘“Grand continuait cependant de parler et Rieux ne saisissait pas tout ce que disait le bonhomme. Il comprit seulement que l’oeuvre en question avait déjà beaucoup de pages, mais que la peine que son auteur prenait pour l’amener à la perfection lui était très douloureuse. “Des soirées, des semaines entières sur un mot... et quelquefois une simple conjonction.”’ (Camus 1947:98). ’

Tout le passage décrit avec quelle minutie Grand sélectionne un item lexical, abandonne l’idée, s’interroge sur l’effet que produira tel ou tel mot, bref, la planification de cette première phrase prend des mois, des années, ce qui n’est évidemment pas concevable dans la situation d’oral.

La difficulté de cette gestion semble diminuée à l’écrit en raison du moindre rythme de production, ce qui joue un rôle sans doute essentiel dans l’explication des différences constatées entre les deux modes. Nous allons tenter de comprendre comment le locuteur/scripteur récupère en mémoire le lexique, puisque c’est ce processus et le produit qui en résulte qui va nous occuper en priorité dans les analyses développées dans les parties 3 et 4.