Chapitre 1
"Le divin Hoffmann"

Les textes d'Hoffmann peuvent apparaître aussi bien comme un point d'arrivée - ils se réfèrent eux-mêmes à des textes antérieurs ( Chamisso ou Jean- Paul ), à des archétypes primitifs,- que comme un point de départ, dans la mesure où ils inscrivent dans la littérature un modèle qui sera repris d'une part comme exemple et référence ( Freud ), d'autre part comme un thème soumis à des variations dans la littérature fantastique.

Sans entrer dans le détail d'une imitation largement commentée et recensée d'Albert Béguin à Pierre Georges Castex, nous pouvons retenir deux exemples significatifs, celui de Baudelaire en tant que critique, et celui de Gautier, en tant que représentant de récits sur le Double.

Baudelaire reconnaît dans celui qu'il appelle "le divin Hoffmann", "l'admirable Hoffmann", un catéchisme de haute esthétique et salue le comique de La Princesse Brambilla .

La réception d'Hoffmann devient la mise en abîme obligée de tous les auteurs français : Onuphrius 6( Gautier 1832 ) résume dès les premières pages du récit qui porte son nom l'utilisation qui est faite des nouvelles d'Hoffmann: Onuphrius, peintre, est lecteur d' Hoffmann, et Gautier le présente comme un personnage sorti des contes d'Hoffmann.

‘Vous l'auriez mis dans une chambre carrée et blanchie à la chaux sur toutes ses parois, et vitrée de carreaux dépolis, il aurait été capable de voir quelque apparition étrange tout aussi bien que dans un intérieur de Rembrandt inondé d'ombres et illuminé de fauves lueurs, tant les yeux de son âme et de son corps avaient la faculté de déranger les lignes les plus droites et de rendre compliquées les choses les plus simples, à peu près comme les miroirs courbes ou à facettes qui trahissent les objets qui leur sont présentés, et les font paraître grotesques ou terribles.
Aussi Hoffmann et Jean-Paul le trouvèrent admirablement disposé; ils achevèrent à eux deux ce que les légendaires avaient commencé. L'imagination d'Onuphrius s'échauffa et se déprava de plus en plus, ses compositions peintes et écrites s'en ressentirent ( p.72, 73 )’

Admirateur d'Hoffmann, lecteur d'Hoffmann, Onuphrius ne fait que reproduire les admirations de Gautier et ses lectures.

Le titre du récit est déjà un hommage à Hoffmann:

Onuphrius ou les vexations fantastiques d'un admirateur d'Hoffmann

Sans doute faut-il prendre "vexation" au sens de tourment, torture. Nous aurons l'occasion de revenir sur le terme "fantastique" dans son rapport avec la fantasmagorie.

Jacintha elle-même, le jeune modèle du peintre Onuphrius, porte le nom de l'héroïne de La princesse Brambilla , le conte d' Hoffmann.

L'ironie du narrateur dans le récit de Gautier souligne sans doute la mise à distance du récit, mais aussi son aspect théâtral. Onuphrius/Gautier prend la défroque laissée par le héros d'Hoffmann.

A force d' être lecteur d'Hoffmann, le personnage de Gautier tombe dans un état de somnambulisme et de catalepsie.

Les références aux personnages d'Hoffmann voués à tourner une ronde fantastique autour d'Onuphrius qui n'ose se regarder le soir dans une glace, s'entrecroisent avec la référence à Peter Schlemihl.

‘Quand il était seul dans son grand atelier, il voyait tourner autour de lui une ronde fantastique, le conseiller Tusmann, le docteur Tabraccio, le digne Peregrinus Tyss, Crespel avec son violon et sa fille Antonia, l'inconnue de la maison déserte et toute la famille étrange du château de Bohême; c'était un sabbat complet, et il ne se fût pas fait prier pour avoir peur de son chat comme d'un autre Mürr. (p. 74 )’

La réception d'Hoffmann prend des aspects différents selon les auteurs, et à l'intérieur même de l'oeuvre de l'auteur.

Notes
6.

Gautier, Récits fantastiques , GF Flammarion 1981