3 - Dona Musique ou le Double professionnel : Don Juan

Le tome 1 des Fantasiestücke in Callots Manier paru à Pâques 1814 comprenait : Jacques Callot. Ritter Gluck. Kreisleriana 1- 6. Don Juan

Don Juan était paru antérieurement dans Allgemeinen Musikalischen Zeitung Mars 1813 n° 13 sans nom d'auteur

Dans Le Chevalier Gluck , le bourgogne partagé suscitait le dialogue entre un inconnu de rencontre et le narrateur. Est-ce le champagne, le sommeil qui fait percevoir au narrateur une étrange musique dans sa chambre d'hôtel à Bamberg? C'est la réalité (pas seulement celle de la fiction), le fait que l'hôtel soit attenant à l'Opéra qui permet au narrateur, " voyageur enthousiaste", de passer de l'ivresse et du sommeil à l'ouverture de Don Giovanni . Une simple porte en tapisserie, en effet, sépare la chambre de l'hôtel et la loge dite des étrangers. Le petit corridor joue curieusement le rôle d'une lorgnette, à la taille du corps humain, longue vue qui abolit la distance, comme le gland de sonnette figurait la mise en place du spectacle, et annonçait un peu à la manière d'un reflet dans un miroir, la sonnette de théâtre.

A l'étroit, si anxieux dans la chambre étouffante, le Voyageur - qui écrit à Théodore - lui confie qu'il se trouve seul et libre dans l'opéra Don Juan et peut s'identifier à ce chef d'oeuvre si parfaitement représenté. Le Chevalier Gluck disait avoir assisté à une représentation de Don Juan , représentation qui avait déçu son attente, et il n'avait pu aller au bout de l'ouverture expédiée sans esprit ni bon sens. La représentation de Don Juan à Bamberg, au contraire, offre au narrateur le bonheur rare d'une parfaite exécution aussi fidèle que possible à l'esprit de Mozart.

Don Juan constitue un exemple de dualité, et les relations des personnages entre eux, les enjeux mis en scène, le chant lui-même dans son rapport avec l'orchestre sont autant de variations sur la simultanéité de mouvements contradictoires. ‘"Le conflit de la nature humaine avec les puissances occultes et fatales qui l'assiègent, et méditent sa ruine se manifestent aux yeux de mon esprit."’ 20 Leporello, le second de Don Juan, remplace son maître et s'identifie à lui. Otto Rank part du même point de vue, quand il étudie Don Juan et réunit sous un même titre son étude du Double (1914), et des réflexions inspirées par Don Giovanni (1922) 21

Dans l'histoire de Don Juan , c'est Donna Anna, le personnage central, figure du Double, de l'Ombre, dans une sorte de chassé croisé d'apparitions multiples. Le motif du Double s'incarne dans la cantatrice qui est à la fois le personnage voulu par Mozart, et son propre personnage.

L'existence même d'Anna, qui semble ne pas avoir de lieu propre, figure cette dualité : Elle est à la fois sur scène - l'espace physique et concret où se passe Don Juan -, et dans la loge du spectateur (le Voyageur enthousiaste ).

‘Schon oft glaubte ich dicht hinter mir einen zarten , warmen Hauch gefühlt, das Knistern eines seidenen Gewandes gehört zu haben : das liess mich wohl die Gegenwart eines Frauenzimmers ahnen, aber ganz versunken in die poetische Welt, die mir die Oper aufschloss, achtete ich nicht darauf. Jetz, da der Vorhang gefallen war, schauete ich nach meiner Nachbarin. - Nein - keine Worte drücken mein Erstaunen aus: Donna Anna, ganz in dem Kostüme, wie ich sie eben auf dem Theater gesehen, stand hinter mir, und richtete auf mich den durchdringenden Blick ihres seelenvollen Auges. 22 ( DJR, p. 60)’

Le "narrateur-relais", dans sa façon de raconter, semble introduire la problématique et l'indécidibilité du réel/irréel. La façon dont "Dona Anna" s'introduit dans la loge peut avoir une explication rationnelle, quand le rideau s'abaisse après le premier Acte. Les interrogations du narrateur ne durent pas pourtant, et ne constituent pas, comme l'établit Todorov dans la définition qu'il donne du fantastique23, le thème du récit. L'hésitation de pure forme fait rentrer dans le réel, à côté d'une réalité matérielle ( La cantatrice, qui n'aura pas d'autre nom dans le récit que son nom de scène, Dona Anna, ne peut être simultanément en scène et dans la loge) une réalité psychique, pour utiliser le terme de Freud.

‘Ich fühlte die Notwendigkeit, sie anzureden, und konnte doch die, durch das Erstaunen, ja ich möchte sagen, wie durch den Schreck gelähmte Zunge nicht bewegen. Endlich, endlich fuhren mir, beinahe unwillkürlich, die Worte heraus : "Wie ist es möglich, Sie hier zu sehen?" worauf sie sogleich in dem reinsten Toskanisch erwiderte, dass, verstände und spräche ich nicht Italienisch, sie das Vergnügen meiner Unterhaltung entbehren müsste, indem sie keine andere , als nur diese Sprache rede. -Wie Gesang lauteten die süssen Worte. (...). -- Es war Donna Anna unbezweifelt. Die Möglichkeit abzuwägen, wie sie auf dem Theater und in meiner Loge habe zugleich sein können, fiel mir nicht ein. So wie der glückliche Traum das Seltsamste verbindet, und dann ein frommer Glaube das Ubersinnliche versteht, und es den sogenannten natürlichen Erscheinungen des Lebens zwanglos anreiht, so geriet ich auch in der Nähe des wunderbaren Weibes in eine Art Somnambulism, in dem ich die geheimen Beziehungen erkannte, die mich so innig mit ihr verbanden, dass sie selbst bei ihrer Erscheinung auf dem Theater nicht hatte von mir weichen können.24 DJR, p. 60, 61) ’

Le monde fantastique se confond avec le monde du rêve, et le narrateur, quand il se raconte, analyse l'état qui l'animait comme une sorte de somnambulisme. Le scénario fantasmatique et la rêverie à laquelle s'adonne le narrateur ont comme point de départ bien réel la représentation de Don Giovanni . Le rôle prêté à Theodor, correspondant du narrateur anonyme, est celui d'un tiers privilégié qui justifie la construction du scénario.( La place de l'analyste? ). La création d'Hoffmann figure ici les rapports secrets et bien réels qui unissent le narrateur à Dona Anna (On pense à Dona Musique dans Le Soulier de satin de Paul Claudel), rapports si étroits que même son apparition sur scène n'a pu la séparer de lui. Avant d'être le personnage d'Anna, elle est toute la musique, et croit saisir dans le chant et exprimer les secrets du coeur que ne peut exprimer aucun langage. Elle se reconnaît dans le musicien qui, pour le lecteur n'aura pas d'autre existence que d'être un narrateur sans nom. La jeune femme ne chante pas seulement le rôle de Dona Anna, elle a interprété la musique du narrateur. Nous voyons donc que Anna, double "professionnel", à la fois ouvre au narrateur "les perspectives nouvelles d'un monde fantastique" par la médiation de sa voix dans Mozart, et aussi, dans une autre transformation, échange son rôle primitif avec celui que le narrateur lui propose. ‘"Wie, du herrliche, wundervolle Frau - - du - du solltest mich kennen?"’

‘Ging nicht der zauberische Wahnsinn ewig sehnender Liebe in der Rolle der *** in deiner neuesten Oper aus deinem Innern hervor? - Ich habe dich verstanden : dein Gemüt hat sich im Gesange mir aufgeschlossen! - Ja, (hier nannte sie meinenVornamen) ich habe dich gesungen, so wie deine Melodien ich sind."25 (DJR, p. 61) ’

Le souci de la langue traverse tout le texte. Anna ne connaît que l'italien, le pur toscan. Le narrateur ne parle ni ne comprend l'italien, mais la langue d'Anna devient pour lui une pure musique, "ces douces paroles résonnèrent à mon oreille comme un chant mélodieux". A l'intérieur de sa propre langue, le narrateur , c'est à dire Hoffmann, cherche une autre langue qui puisse à travers les mots faire entendre le chant de l'italien. ‘"Wie gern setzte ich dir, mein Theodor, jedes Wort des merkwürdigen Gesprächs her, das nun zwischen der Signora und mir begann; allein, indem ich das, was sie sagte, deutsch hinschreiben will, finde ich jedes Wort steif und matt, jede Phrase ungelenk, das auszudrücken, was sie leicht und mit Anmut toskanisch sagte"’ 26

Le récit comprend trois parties : la première partie, sans titre, s'attache à la représentation et aux commentaires à la table d'hôte. La deuxième partie porte un titre, Dans la loge des étrangers n°23. Il est minuit, et le narrateur croit entendre la voix de Théodore et un léger bruit froisser la portière de tapisserie. Le narrateur retourne dans la salle déserte : le texte d'Hoffmann, dans une mise en abîme, montre "JE" assis à une petite table, avec deux flambeaux, un verre de punch devant lui, se préparant à recréer, par l'écriture, "le monde inconnu et lointain des esprits" où il lui a été donné de pénétrer, porté par la musique.

‘Ich lehne mich, ihm den Rücken wendend, über der Loge Rand, und sehe in das verödete Haus, dessen Architektur, von meinen beiden Lichtern magisch beleuchtet, in wunderlichen Reflexen fremd und feenhaft hervorspringt. Den Vorhang bewegt die das Haus durchschneidende Zugluft. - Wie wenn er hinaufwallte? wenn Donna Anna, geängstet von grässlichen Larven, erschiene?- "Donna Anna!" rufe ich unwillkürlich : der Ruf verhallt in dem öden Raum, aber die Geister der Instrumente im Orchester werden wach - ein wunderbarer Ton zittert herauf; es ist als säusle in ihm der geliebte Name fort! Nicht erwehren kann ich mich des heimlichen Schauers, aber wohltätig durchbebt er meine Nerven"27 ( DJR, p. 65) ’

Nous avons déjà rencontré le dédoublement avec Dona Anna, sur scène et dans la loge du narrateur. Le Texte à son tour se dédouble, puisque, dans le vide de la salle, "Je" écrit à l'attention de Théodore (qui porte le prénom de Hoffmann), les réflexions que lui dicte le double de la représentation. Le Texte de la première partie, correspondant à la représentation réelle, partagée avec les profanes, convives de la Table d'hôtes, est au passé (temps du récit); le Texte n°2 est au présent, commentaire allégorique de Don Juan , et aussi regard sur sa propre écriture. " Je voudrais en peu de mots - aussi clairement que je puis le faire, à cette heure où les pensées dont mon âme déborde défient tout langage - te dire comment se présente à mon esprit, dans la musique et sans aucun recours au texte qu'elle revêt, l'affrontement des deux natures engagées dans cette lutte : Don Juan et Dona Anna." ( M1, p. 41 )

La musique joue un rôle privilégié dans l'expression de la dualité.28Avant de décrire la dualité, "Je" s'est installé devant le cadre vide qui limite son regard, et c'est à l'intérieur du cadre - importance de la portière, du bord de la loge, du rideau de scène- qu'il peut transformer le réel matériel en une réalité psychique.

Dona Anna, "revisitée", est le Double féminin de Don Juan. Elle est la flamme du divin qui brûle en Don Juan. 29 "Dona Anna sert de pendant (dem Don Juan entgegengestellt ) à Don Juan; elle est comme lui douée des plus hautes faveurs de la nature. De même que Don Juan était à l'origine un homme d'une beauté et d'une vigueur admirable, elle est une femme divine, dont l'âme pure est restée vierge des atteintes du démon. Tous les efforts de l'enfer ne peuvent consommer que sa perdition terrestre."

Au travers de Dona Anna, ce que voit Hoffman, c'est la fiancée de Satan, chère aux Romantiques. Anna est destinée par le Ciel à révèler à Don Juan la part divine de sa propre nature et en l'arrachant au désespoir de ses vains efforts, à le sauver par l'amour même dont Satan s'est servi pour le corrompre.

La ruine de Don Juan devient la mort de Dona Anna. Dona Anna est l'âme de Don Juan, âme morte à toute espérance terrestre, qui s'éteint avec lui. "Je" perçoit et transmet cette double mort, qui , pourtant, n'est exprimée que par de mystérieuses harmonies et des corrélations dans la musique de Mozart. La mort du héros suivie nécessairement de la mort de l'ombre transporte le narrateur dans un monde délivré.

‘Es schlägt zwei Uhr! - Ein warmer elektrischer Hauch gleitet über mich her - ich empfinde den leisen Geruch feinen italienischen Parfums, der gestern zuerst mir die Nachbarin vermuten liess; mich umfängt ein seliges Gefühl, das ich nur in Tönen aussprechen zu können glaube. Die Luft streicht heftiger durch das Haus - die Saiten des Flügels im Orchester rauschen - Himmel! wie aus weiter Ferne, auf den Fittichen schwellender Töne eines luftigen Orchesters getragen, glaube ich Annas Stimme zu hören : "Non mi dir bell'idol mio!" - Schliesse dich auf, du fernes, unbekanntes Geisterreich - du Dschinnistan voller Herrlichkeit, wo ein unaussprechlicher, himmlischer Schmerz, wie die unsäglichste Freude, der entzückten Seele alles auf Erden Verheissene über alle Massen erfüllt! Lass mich eintreten in den Kreis deiner holdseligen Erscheinungen! Mag der Traum, den du bald zum Grausen erregenden, bald zum freundlichen Boten an den irdischen Menschen erkoren - mag er meinen Geist, wenn der Schlaf den Körper in bleiernen Banden festhält, den ätherischen Gefilden zuführen. 30 ( DJR, p. 70 )’

Il semble que dans l'analyse que fait Hoffmann de Don Giovanni Dona Anna tienne la première place, sorte de Double privilégié de Don Juan. Des critiques contemporains privilégient le couple Don Juan/Leporello, Double qui cherche à supplanter son Maître.

La fin est présentée sous forme de dialogues qu'on pourrait dire d'ombres sans visage : un homme faisant claquer le couvercle de sa tabatière, une figure de mulâtre, un insignifiant. Une conversation à la table d'hôtes constitue ainsi l'épilogue. Nous apprenons avec "Je" que "La signora est morte cette nuit, à deux heures précises". ‘Signora ist heute morgens Punkt zwei Uhr gestorben..’ ( M1, p. 54 - DJR, p. 71 )

La mort a le dernier mot.

Notes
20.

"Der Konflikt der menschlichen Natur mit den unbekannten, grässlichen Mächten, die ihn, sein Verderben erlauernd, umfangen, trat klar vor meines Geistes Augen" ( Reclam, 1993, p. 56 . L'édition de référence utilisée sera indiquée par DJR )

21.

Titre original: Don Juan und Der Doppelgänger . Les deux études ont été réunies dans la traduction française en 1932. Les deux études ont pour Rank une étroite corrélation entre elles."Dans l'une comme dans l'autre, il est question de problèmes, remontant aux origines les plus reculées de l'homme, qui continuent à exercer sur l'art une influence de premier plan. Nous nous efforcerons de démontrer que cette influence découle d'un sentiment profondément ancré dans l'âme humaine, à savoir : les relations de l'individu avec son propre Moi et la menace de sa destruction complète par la mort, que l'homme essaye d'annihiler par toute cette série de Mythes basés sur la croyance en son immortalité que la religion, l'art et la philosophie lui offrent pour le consoler." Avant-propos de 1932.

22.

"J'avais déjà cru sentir plusieurs fois , derrière moi, une haleine douce et chaude, et distinguer le frôlement d'une robe de soie. Cela me fit bien soupçonner la présence d'une femme; mais, absorbé par la vision poétique que le drame faisait surgir, je n'y arrêtai pas mon attention. Quand, à la fin de l'acte, on eut baissé le rideau , je me détournai pour voir ma voisine... Non!... Aucun mot ne saurait exprimer ma surprise: Dona Anna , revêtue du même costume sous lequel elle venait de paraître en scène, était auprès de moi, et de son oeil expressif, fixait sur moi un regard pénétrant." ( M1, p. 36 )

23.

Tzvetan Todorov, Introduction à la littérature fantastique , Poétique/Seuil,1970

24.

"Je sentais la nécessité de lui adresser la parole, et cependant je ne pouvais remuer ma langue glacée par la stupéfaction, je dirais presque par la terreur. Enfin ces mots sortirent comme involontairement de ma bouche : "Comment se fait-il que vous soyez ici?" A quoi elle répliqua aussitôt, dans le plus pur toscan, que si je ne parlais ni ne comprenais l'italien, elle se verrait privée du plaisir de mon entretien,attendu qu'elle ne savait pas d'autre langue. Ces douces paroles résonnèrent à mes oreilles comme un chant mélodieux (...). C'était Dona Anna à n'en pas douter. Il me vint à l'esprit de m'interroger sur sa présence simultanée en scène et dans la loge. Mais parfois lorsqu'un rêve heureux rassemble les choses les plus disparates, il arrive que nous ajoutions foi au surnaturel et que nous trouvions toute simple sa liaison avec les phénomènes dits naturels. C'est ainsi que, dans le voisinage de cette femme merveilleuse, je tombai dans une espèce de somnambulisme, grâce auquel je découvris les rapports secrets qui m'unissaient à elle si étroitement que même son apparition sur la scène n'avait pu la séparer de moi." ( M1, p. 44)

25.

"-- Comment! femme admirable, tu me connais donc?

-- Le rôle de la X ... dans ton dernier opéra, ce rôle où s'exprime toute l'adorable folie de l'amour infini, ne l'as-tu pas tiré de tes entrailles? Je t'ai compris; ton âme tout entière s'est révélée à moi dans l'harmonie de cette partition... Oui (ici elle prononça mon prénom) , je t'ai évoqué dans mon chant, je me retrouve moi-même dans tes mélodies." ( M1, p. 43)

26.

"Quel plaisir j'éprouverais, mon cher Théodore, à te transmettre ici mot pour mot, le dialogue mémorable qui s'établit entre la signora et moi. mais en essayant de transcrire en allemand ses propos, je trouve chaque mot rebelle et plat, chaque tournure pesante, pour rendre ce qui en toscan n'était que grâce et incomparable aisance." ( M1, p. 43 )

27.

"J'appuie les coudes sur le bord de la loge, et je contemple la salle déserte dont l'architecture, magiquement éclairée par mes deux flambeaux et rayée de reflets étranges, prend un aspect fantastique. Soudain le rideau tremble, agité par le courant d'air qui traverse la salle... S'il allait se lever! Si Dona Anna venait à paraître , poursuivie par d'horribles fantômes?..."Dona Anna!" ai-je crié malgré moi. Ce cri retentit et s'éteint dans l'espace désert, mais il a réveillé à l'orchestre les esprits assoupis des instruments. Un son vibre dans l'air et semble murmurer le nom adoré!...Je ne puis me défendre d'un sentiment d'effroi. Pourtant, ce frisson rafraîchit agréablement mes nerfs." ( M1, p. 47 )

28.

Cf. Otto Rank op cit. "Il n'y a que la musique qui, du fait de la souplesse de ses moyens d'expression, puisse traduire si parfaitement la simultanéité de ces deux sentiments contradictoires. Tandis que l'orchestre marque par les accords graves (le chant du convive de pierre) le pénible conflit qui pèse sur la conscience du héros, s'élèvent par-dessus cette voix dans des rythmes passionnés la nature indomptable et la joie voluptueuse du conquérant, avec une sensualité comme on la chercherait en vain dans toute la littérature si riche du Don Juan."(p. 123)

29.

On peut rapprocher cette lecture que fait Hoffmann de Don Juan de la croyance primitive à l'âme/ombre, compagne du corps qui lui survit après la mort . Cf. Frazer

30.

"Deux heures sonnent!... Je sens glisser sur moi une tiède haleine électrique, je respire l'odeur subtile du parfum italien qui me révéla hier la présence de ma voisine; j'éprouve une sensation de bonheur qui me semble ne pouvoir s'épancher que dans l'harmonie du chant. Un courant d'air plus vif parcourt la salle, les cordes du piano ont frémi à l'orchestre... Ciel! je crois distinguer à une immense distance la voix d'Anna portée sur l'aile d'accords prolongés venus d'un orchestre aérien : Non mi dir bell'idol mio!... Ouvre-toi, monde inconnu et lointain des esprits, Djinnistan, région de féérie, où l'âme ravie trouve à la fois dans une douleur céleste, et dans la plus ineffable joie, la parfaite réalisation de toutes les promesses reçues ici bas! Laisse-moi pénétrer dans le cercle magique de tes délicieuses merveilles! Que le rêve qui sert de messager entre toi et l'homme, tour à tour présage de terreur et de consolation, vienne, tandis que le sommeil enchaîne mon corps sous ses liens de plomb, délivrer mon esprit et le transporter dans les champs éthérés!"

( M1, p. 43 )