2 - Faux semblants. L'effet spectre

La forme née des ténèbres dans l'encadrement de la fenêtre a-t-elle une autre existence que dans les rêves? La disposition de la jeune femme dans l'encadrement de la fenêtre, la seule mise à portée du regard de son bras joue un rôle privilégié dans la formation du désir et du rêve qui s'y rattache. Succède à l'image morcelée du corps montrée dans l'imagination nocturne une première entrée dans la maison déserte, entrebaillée. La mise en scène préfigure le décor des films expressionnistes125 : escalier, trousseau de clefs faible éclairage, de vieilles tapisseries. Theodor ne dépassera pas le vestibule. L'apparition se produit le lendemain à midi, ce qui semble faire sortir des ténèbres la jeune fille, mais le personnage paraît privé de vie. Un regard vide empreint de la fixité de la mort.

‘Nur schien ihr Blick ungewiss. - Nicht nach mir, wie es vorhin schien, blickte sie, vielmehr hatten die Augen etwas Todstarres, und die Taüschung eines lebhaft gemalten Bildes wäre möglich gewesen, hätten sich nicht Arm und Hand zuweilen bewegt126 (NR, p. 172)’

La ressemblance avec le portrait (...eines lebhaft gemalten Bildes ) fait de la jeune fille, aperçue d'abord comme une image magique et céleste (... holdes Zauberbild ), une ombre, un reflet qui n'a pas d'autre réalité.

Qu'elle appartienne au monde des ombres et des reflets la situe dans un monde miroir où le double devient la seule réalité. Ce n'est pas l'homme privé de son double, mais le double privé de toute corporéité, qui absorbe la conscience de Theodor, jusqu'à le couper du monde extérieur. ‘Ganz versunken in den Anblick des verwundlichen Wesens am Fenster, das mein Innerstes so seltsam aufregte, hatte ich nicht die quäkende Stimme des italienischen Tabulettskrämers gehört, der mir vielleicht schon lange unaufhörlich seine Waren anbot’ . 127 (NR, p. 172, 173)

Le retour au réel passe par la médiation d'une voix, pas n'importe quelle voix, mais une voix italienne, et celle d'un "passeur", le colporteur, marchand ambulant, qui vient proposer l'achat d'un miroir.

Le Double, nous ne cessons de le voir dans notre travail, est intimement lié au miroir - matrice symbolique selon l'expression de Lacan de formes idéales. Les films allemands multiplieront fenêtres, vitres, vitrines, flaques d'eau qui capturent, libèrent des formes opalescentes ( cf. L'Ecran fantastique , p. 94 ).

LLe petit miroir de poche rond ( der kleine runde Taschenspiegel ) acheté au colporteur italien, joue d'abord le même rôle que la lorgnette de théâtre ou des jumelles. Il permet de voir, en étant invisible, ce qui se passe dans la maison d'en face. Mais ce qui est restitué ne peut dans le miroir être qu'un reflet. Accès à ce qui est extérieur, mais nécessairement reflet inversé, image spéculaire d'un espace qui échappe au regard.

128 Mit den Worten : "Auch hier hab'ich noch schöne Sachen!" zog er den untern Schub seines Kastens heraus, und hielt mir einen kleinen runden Taschenspiegel, der in dem Schub unter andern Gläsern lag, in kleiner Entfernung seitwärts vor. - Ich erblickte das öde Haus hinter mir, das Fenster und in den schärfsten deutlichsten Zügen die holde Engelsgestalt meiner Vision (NR, p. 173)’

Serait-ce l'effet spectre? L'histoire racontée par Theodor est le rapport qu'il entretient avec cette image offerte par le miroir, qui finit par l'absorber.

‘Doch, indem ich nun länger und länger das Gesicht im Fenster anblickte, wurd'ich von einem seltsamen, ganz unbeschreiblichen Gefühl, das ich beinahe waches Träumen nennen möchte, befangen. Mir war es, als lähme eine Art Starrsucht nicht sowohl mein ganzes Regen und Bewegen als vielmehr nur meinen Blick, den ich nun niemals mehr würde abwenden können von dem Spiegel.129( NR, p. 173)’

Comme dans L'homme au sable , on retrouve la trace d'une angoisse de l'enfant, doublée d'une interdiction.

‘Mit Beschämung muss ich euch bekennen, dass mir jenes Ammenmärchen einfiel, womit mich in früher Kindheit meine Wartfrau augenblicklich zu Bette trieb, wenn ich mich etwa gelüsten liess, abends vor dem grossen Spiegel in meines Vaters Zimmer stehen zu bleiben und hineinzugucken. Sie sagte nämlich, wenn Kinder nachts in den Spiegel blickten, gucke ein fremdes, garstiges Gesicht heraus, und der Kinder Augen blieben dann erstarrt stehen. Mir war das ganz entsetzlich graulich, aber in vollem Grausen konnt'ich doch oft nicht unterlassen, wenigstens nach dem Spiegel hinzublinzeln, weil ich neugierig war auf das fremde Gesicht. Einmal glaubt'ich ein Paar grässliche glühende Augen aus dem Spiegel fürchterlich herausfunkeln zu sehen, ich schrie auf und stürzte dann ohnmächtig nieder. In diesem Zufall brach eine langwierige Krankheit aus, aber noch jetzt ist es mir, als hätten jene Augen mich wirklich angefunkelt.- Kurz alles dieses tolle Zeug aus meiner frühen Kindheit fiel mir ein, Eiskälte bebte durch meine Adern - ich wollte den Spiegel von mir schleudern - ich vermocht' es nicht - nun blickten mich die Himmelsaugen der holden Gestalt an - ja ihr Blick war auf mich gerichtet und strahlte bis ins Herz hinein. Jenes Grausen, das mich plötzlich ergriffen, liess von mir ab und gab Raum dem wonnigen Schmerz süsser Sehnsucht, die mich mit elektrischer Wärme durchglüht.130 (NR, p. 173, 174)’

Sous le regard freudien, cette perturbation apparaît comme une régression à des époques où le moi ne s'était pas encore nettement délimité par rapport au monde et à autrui. L'angoisse oculaire cache l'angoisse du complexe de castration infantile. Le miroir est dans la chambre du père. L'intervention du médecin, un aliéniste, donne à l'état de Theodor une coloration de folie. Les termes qu'emploie Theodor pour décrire ce qu'il ressent, révèlent le caractère étranger de ce qui se passe en lui, caractère étranger et incoercible d'un comportement qu'il ne cherche pas à contrôler et le sépare de la société. Il a découvert qu'en frottant le miroir, il fait apparaître, avec la trace de son haleine le visage aimé. ‘So geschah es, dass er mir, als ich einst dies wichtige Geschäft abtun wollte, blind schien, und ich ihn nach bekannter Methode anhauchte, um ihn dann hell zu polieren. - Alle meine Pulse stockten, mein Innerstes bebte vor wonnigem Grauen! - ja so muss ich das Gefühl nennen, das mich übermannte, als ich, so wie mein Hauch den Spiegel überlief, im bläulichen Nebel das Holde Antlitz sah, das mich mit jenem wehmutigem, das Herz durchbohrendem Blick anschaute!’ 131( NR, p. 176)

En décalage et de façon lancinante, surgissent d'autres images de la même figure. Un portrait habile, une illusion d'optique, une illusion bizarre? Mais la vision suppose aussi aussi mouvance et variations. Celui qui regarde passe du reflet (quelque chose en moins) à la réalité, ou plutôt, de l'absence à l'extrême intensité. L'espace du regard est nécessairement limité à un visage dans un cadre, que ce soit celui de la fenêtre ou du tableau, ou encore du miroir (frame en anglais). Das hübsche Gesicht dort im Fenster gesehen , un portrait peint à l'huile. En fait, Theodor ne voit que le reflet d'une image. Il est difficile de ne pas évoquer la Caverne platonicienne, dans un miroir. Tout le texte est centré sur les différents modes de réapparition et d'effacement dans le vide d'une maison (Das öde Haus ), d'un visage de femme et vacille entre différents niveaux de la vision, différentes circonstances, différents états du sujet (sommeil -veille - imagination), différentes réceptions (plaisir - angoisse). Au visage de la jeune-fille, se superpose le visage de Theodor. Nous sommes toujours dans le monde du semblant et du trompe-l'oeil.

‘Aber dann kam es mir auf grauliche Weise vor, ich sei selbst die Gestalt, und von den Nebeln des Spiegels umhüllt und umschlossen. Ein empfindlicher Brustschmerz, und dann gänzliche Apathie endigte den peinlichen Zustand, der immer eine, das innerste Mark wegzehrende Erschöpfung hinterliess.132(NR, p. 177)’

Voir reflétée sa propre image dans le miroir : ce qui peut sembler attendu comme l'usage banal du miroir de poche antérieurement pour mettre sa cravate, par un renversement inattendu, est présenté ici comme frappé d'interdit. On passe de l'amour du jeune homme pour la jeune fille à ce qui serait l'amour de soi. Se prendre soi-même comme objet d'amour. Ce retrait sur soi est perçu par "Je" comme un échec, tout autant que le vide du miroir.

Deux pôles, le pôle du réel avec le vocabulaire scientifique, les instruments d'optique, et le pôle mental (fréquence de l'adjectif psychisch ). Pour le médecin, il s'agit bien de sortir de cette relation spéculaire, qu'elle soit dirigée vers un objet ou vers soi. Le premier acte du Docteur K., c'est de prendre le miroir.

L'histoire elle-même fonctionne comme une machine à faire voir, et installe des dispositifs qui, à la façon d'une salle de miroirs, multiplient reflets et réflexions des histoires. Va et vient d'une histoire à l'autre. Un homme âgé raconte un événement dont il a été spectateur, et cet événement régi par une correspondance magnétique - le colonel meurt de la mort d'Antonia -, représente l'histoire, par avance, de Theodor. La multiplication des récits annule l'espace et le temps, comme le temps se trouve annulé à l'intérieur même de l'histoire. Chacun des récits est lui-même un récit spéculaire: Le colonel en Allemagne tombe mort au même moment qu'Antonia à Pise.

Theodor se retrouve à l'intérieur de la maison déserte, où il n'avait jamais pu pénétrer. Il se retrouve après le passage d'un vestibule faiblement éclairé et plein d'une vapeur étouffante dans un salon décoré dans le goût ancien. La présence du passé et le décor japonais annoncent le cadre de Des Esseintes. La voix qui salue Theodor et crie que l'heure des noces approche, est celle d'une grande jeune femme.

‘"Willkommen - willkommen, süsser Bräutigam - die Stunde ist da, die Hochzeit nah!" - So rief laut und lauter die Stimme eines Weibes, und ebenso wenig, als ich weiss, wie ich plötzlich in den Saal kam, ebenso wenig vermag ich zu sagen, wie es sich begab, dass plötzlich aus dem Nebel eine hohe jugendliche Gestalt in reichen Kleidern hervorleuchtete. Mit dem wiederholten gellenden Ruf : "Willkommen süsser Bräutigam, trat sie mit ausgebreiteten Armen mit entgegen - und ein gelbes, von Alter und Wahnsinn grässlich verzerrtes Antlitz starrte mir in die Augen. Von tiefem Entsetzen durchbebt wankte ich zurück; wie durch den glühenden, durchbohrenden Blick der Klapperschlange festgezaubert, konnte ich mein Auge nicht abwenden von dem greulichen alten Weibe, konnte ich keinen Schritt weiter mich bewegen. Sie trat näher auf mich zu, da war es mir, als sei das scheussliche Gesicht nur eine Maske von dünnen Flor, durch den die Züge jenes holden Spiegelbildes durchblickten. Schon fühlt'ich mich von den Händen des Weibes berührt, als sie laut aufkreischend vor mir zu Boden sank und hinter mir eine Stimme rief :"Hu hu! - treibt schon wieder der Teufel sein Bocksspiel mit Ew. Gnaden, zu Bette, zu Bette, meine Gnädigste, sonst setzt es Hiebe, gewaltige Hiebe!"133 NR, 184, 185) ’

La répétition de plötzlich accélère le rythme du texte et de la découverte. Les méandres de la phrase font attendre la révélation: une vieille femme, sorcière à la Goya sous les traits célestes de la créature du miroir. Masque sous le masque. Quel est le véritable visage de cette créature, qui au demeurant n'est qu'un visage?

Comment fonctionne le mécanisme de la mise en scène de la rencontre amoureuse? La fiancée chante, mais d'une voix perçante, doublée, en quelque sorte, par la voix glapissante. Tout se défait au contact, dans un changement constant qui menace le narrateur lui-même. L'apparition du gardien, - l'interdit, la censure-, le vieil intendant, le fouet à la main, marque la clôture et l'exclusion. ‘"Donnerwetter, Herr, der alte Satan hätte sie ermordet, kam ich nicht dazwischen - fort, fort, fort.’ " 134(NR, p. 185) La sortie se fait dans les ténèbres, la dégringolade le long d'un escalier, décor fantastique que fait apparaître Stellan Rye dans les rues de Prague. 135

La porte se referme, on pourrait croire définitivement sur la maison vide. L'explication rationnelle met fin au rêve du narrateur. ‘Nur so viel war gewiss, dass, hielt mich so lange ein böser Zauber gefangen, dieser jetzt in der Tat von mir abgelassen hatte. Alle schmerzliche Sehnsucht nach dem Zauberbilde in dem Spiegel war gewichen, und bald gemahnte mich jener Auftritt im öden Gebaüde wie das unvermutete Hineingeraten in ein Tollhaus.’ 136(NR, p. 186) Explication rationnelle d'événements étranges, ou préfiguration chez Hoffmann du principe de dénégation137 affirmé par Freud. La notion d'un clivage du moi semble inséparable de la figure hoffmannienne du Double.

Notes
125.

Le cinéma expressionniste est décrit par Lotte H. Eisner en référence à Hoffmann. Elle parle, pour présenter Vanina de Von Gerlach ( 1922) d'une prédilection marquée des Allemands pour les escaliers et "le mystère des longs corridors obscurs et déserts", endroit rêvé pour jouer du clair-obscur et des images fantastiques qui glissent le long des murs.(op. cit. p. 87)

126.

"Seulement son regard paraissait égaré. Ce n'était pas vers moi, comme je l'avais cru d'abord, qu'elle tournait les yeux; ceux-ci semblaient au contraire empreints de la fixité de la mort. Bref, si le bras et la main n'avaient parfois remué, j'aurais pu croire que je voyais un portrait peint avec un merveilleux talent." (M1, p. 348)

127.

"Tout entier absorbé dans la contemplation de cet être étrange qui était à la fenêtre et me causait une émotion si profonde, je n'avais pas entendu la voix criarde du colporteur italien qui m'offrait ses marchandises depuis longtemps peut-être."(M1, p. 349)

128.

"J'ai encore ici de bien belles choses!" dit-il en ouvrant le tiroir inférieur de sa boîte. Et il prit parmi d'autres objets de verre un petit miroir de poche rond qu'il tendit de côté et à une certaine distance, de telle sorte que j'aperçus derrière moi la maison déserte, la croisée et l'angélique figure de ma vision dont les traits étaient nets et distincts."(M1, p. 349 )

129.

"Mais, à contempler ce visage, une sensation singulière et indéfinissable, que je ne saurais mieux comparer qu'à un rêve éveillé, s'empara de moi. Il me semblait qu'une sorte de catalepsie eût paralysé non pas mes mouvements, mais ma faculté visuelle, de telle sorte qu'il me serait impossible de jamais plus détourner mes yeux du miroir " (M1, p.349)

130.

"Je vous l'avouerai à ma honte, je me rappelai alors le vieux conte de nourrice au moyen duquel, dans mon enfance, ma bonne me faisait bien vite gagner mon lit quand il me prenait par hasard envie de rester trop longtemps à me contempler dans le grand miroir de la chambre de mon père. Elle racontait , en effet, qu'un affreux visage d'étranger apparaissait dans la glace aux enfants qui s'y miraient pendant la nuit, et rendaient leurs yeux à jamais immobiles. Cela me causait une mortelle frayeur; et pourtant je ne pouvais m'empêcher de cligner souvent de l'oeil vers le miroir, tant j'étais curieux d'apercevoir le mystérieux visage. Une fois, je crus en effet voir scintiller au fond de la glace deux yeux ardents et terribles; je poussai un cri et tombai sans connaissance! Cet accident détermina une longue et douloureuse maladie. Eh bien, encore à présent il me semble que j'ai vu réellement les deux yeux étincelants arrêter sur moi leur effroyable regard! Bref, toutes ces substitutions de ma première enfance me revinrent à l'esprit, et un frisson glacial parcourut mes veines. Je voulus jeter le miroir loin de moi : je ne pus le faire. A ce moment, les yeux divins de la charmante inconnue se tournèrent vers moi, oui, je ne pouvais me tromper sur la direction de ses tendres regards, et je sentis mon coeur embrasé de leurs rayons. Le sentiment d'effroi qui m'avait saisi s'évanouit et fit place à une impression de langueur voluptueuse et pénible à la fois, pareille à l'effet d'une secousse électrique. (M1, p.349, 350)

121"Un jour, alors qu'il s'agissait de procéder à cette importante opération, (= mettre sa cravate) la glace me parut terne et je soufflai dessus, comme cela se pratique pour la rendre claire en la frottant après. Tout mon sang se figea dans mes veines et tout mon être frémit d'une délicieuse horreur! Oui, c'est ainsi que je dois appeler la sensation qui s'empara de moi lorsque, sur la glace où se jouait mon haleine, j'aperçus comme dans un brouillard bleuâtre le charmant visage qui dirigeait sur moi son regard plein de tristesse et qui me fendait le coeur." (M1, p.351)

131.
132.

"Mais il me semblait ensuite , horrible illusion! que cette figure de femme n'était autre que moi-même, et je me sentais enveloppé, enfermé dans la vapeur étendue sur la glace. Une douleur aigüe à la poitrine, puis une apathie extrême mettaient fin à ces accès qui me laissaient dans un état d'épuisement consomptif." (M1, p. 352)

133.

"Oh! sois le bienvenu! sois le bienvenu, mon tendre fiancé! l'heure a sonné, le moment des noces approche!" Ainsi criait, de plus en plus fort, une voix de femme, et de même que j'étais arrivé dans le salon sans savoir comment, j'ignore comment il se fit que je vis tout à coup devant moi, éblouissante, une grande jeune femme richement vêtue, qui s'avançait à ma rencontre les bras ouverts, en répétant sur un ton perçant : "Sois le bienvenu, mon doux fiancé!". Mais alors je distinguai une figure jaune et ridée, portant les affreux stigmates de la décrépitude et de la folie et qui fixait sur moi des yeux hagards. Je reculai en chancelant, frappé d'une terreur profonde; mais comme fasciné par le regard enflammé d'un horrible serpent à sonnettes, je ne pouvais détourner les yeux de cette vieille femme hideuse, et je restai cloué au parquet. Elle s'approcha encore plus de moi, et j'eus alors l'impression que cet affreux visage n'était qu'un masque de crêpe fort mince sous lequel se dessinaient les traits purs et charmants de la céleste image du miroir. Je sentais déjà le contact des mains de cette femme lorsque avec un cri glapissant elle tomba à terre à mes pieds, et j'entendis une voix derrière moi s'écrier : "Hou, hou! Le diable vient-il encore une fois faire son manège de bouc avec votre Seigneurie? Au lit, au lit! ma gracieuse donzelle! ou sans cela gare les coups! gare les étrivières!" (M1, p. 358)

134.

"Mille tonnerres, monsieur! la vieille sorcière vous aurait étranglé sans mon intervention. Sortez, sortez, sortez!" (M1, p. 358)

135.

135 Le premier Etudiant de Prague , tourné en 1913 par le réalisateur danois Stellan Rye, n'utilise pas comme d'autres films expressionnistes des décors de studio (Ce que la UFA rendra ensuite pratiquement obligatoire), mais mêle à l'artifice la présence fantastique des vieilles rues de Prague.

136.

"Une seule chose était certaine: le charme pernicieux qui m'avait si longtemps captivé était tout à fait dissipé. L'image enchantée du miroir ne m'inspirait aucune douloureuse nostalgie et je n'envisageai bientôt plus ma présence dans la maison déserte que comme une visite fortuite que j'aurais faite dans une maison de fous." (M1, p. 359)

137.

Déni, Verleugnung. "Terme employé par Freud dans un sens spécifique : mode de défense consistant en un refus par le sujet de reconnaître la réalité d'une perception traumatisante" (Laplanche et Pontalis, op cit. ). Dans l'étude consacrée au fétichisme (Fetichismus 1927), Freud montre comment le fétichiste perpétue une attitude infantile en faisant coexister deux positions inconciliables : le déni et la reconnaissance de la castration féminine. La notion de clivage du moi éclaire celle du déni (clivage de la personnalité en courants indépendants et opposés. Un courant abhorre et rejette, ce qu'un autre courant opposé est prêt à admettre). Ce que Michel Cusin résume en disant Je sais bien que ça n'est pas vrai, mais quand même , ce qu'il appelle ouvrir un espace d'ambiguïté à la fiction.