6 - Le passage. Anamorphose et métamorphose

Seul le maître du majorat était resté figé, alors que tout le monde courait. Il ose enfin regarder vers les fenêtres d'Esther.

‘Sie lag auf ihrem Bette. Der Kopf hing herab, und die Haarflechten rollten aufgelöst zum Boden. Ein Topf mit blühenden Zweigen aller Art stand neben ihr, und ein Becher mit Wasser, aus dem sie wohl die letzte Kühlung im heissen Lebenskampfe mochte empfangen haben.
-"Wohin seid ihr nun entrückt", rief er nun zum Himmel, "ihr himmlischen Gestalten, die ahnend sie umgaben? Wo bist du schöner Todesengel, Abbild meiner Mutter! So ist der Glaube nur ein zweifelhaft Schauen zwischen Schlaf und Wachen, ein Morgennebel, den das schmerzliche Licht zerstreut! Wo ist die geflügelte Seele, der ich mich einst in reinere Umgebung zu nahen hoffte? Und wenn ich mir alles abstreite, wer legt Zeugnis ab für jene höhere Welt? Die Männer vor dem Hause reden von Begräbnis, und dann ist alles getan. Immer dunkler wird ihr Zimmer, die geliebten Züge verschwinden darin." 195 (SR III, p. 62)’

Julien Gracq est particulièrement sensible à la singularité du fantastique autour duquel toute la nouvelle est bâtie : celui de la "scène d'intérieur surprise d'une fenêtre en vue plongeante".

‘La barrière de la rue (...) confère pourtant aux scènes muettes qui se déroulent dans un appartement inconnu (scènes muettes auxquelles l'ouïe hallucinée de l'héritier du Majorat superpose dans la nouvelle une sorte de doublage vocal artificiel et mécanique) à la fois une privauté fascinante, sur le mode de l'exclusion, et une nuance d'étrangeté très rare, en ce sens qu'au lieu de s'écarter insidieusement du normal, elles semblent en le singeant chercher plutôt désespérément et vainement à le rejoindre.(...) C'est ce désarroi onirique en quête d'un ordre intelligible hors de sa portée (...) qui fait pour moi tout le pathétique glacial des Héritiers du Majorat ; j'y suis rendu sensible non à ce qu'on s'y éloigne peu à peu, comme dans le fantastique traditionnel, des chemins coordonnés du réel, mais plutôt au fait qu'à peine quittée par accident la grand'route de la vie normale, il apparaît brusquement impossible de la rejoindre."196

On peut s'interroger sur la manifestation d'un sujet qui parle en son propre nom, comme s'il était enfin constitué. Mais la reprise de la narration, après la description à la façon d'un tableau d'Esther gisante sur son lit, laisse encore le maître du majorat de l'autre côté de la rampe, condamné à l'exclusion, incapable de rejoindre le lieu de l'action, si proche. Il peut prier avec la vieille Vasthi qui est entrée dans la chambre. Pour la dernière fois, la scène qui se déroule sans lui dans l'appartement d'en face, au lieu de donner le sentiment de la vie ou du réel, prend un aspect fantomatique et théâtral, avec un rappel du théâtre d'ombres. ‘Und wie sie gebetet hatte, zogen sich alle Züge ihres Antlitzes in lauter Schatten zusammen, wie die ausgeschnittenen Kartengesichter, welche einem Lichte entgegengestellt, mit dem durchscheinenden Lichte ein menschliches Bild darstellen, das sie doch selbst nicht zu erkennen geben : sie erschien nicht wie ein menschliches Wesen, sondern wie ein Geier, der lange von Gottes Sonne gnädig beschienen, mit der gesammelten Glut auf eine Taube niederstösst’ . 197 (SR III, p. 63) Le caractère théâtral (théâtre d'ombres ) qui dépossède Vasthi de son caractère humain (menschliches Wesen ), rend possible la transfiguration : ce qui n'était plus reconnaissable devient, dans la lumière, un vautour fondant sur une colombe.198Nous sommes entrés dans un autre espace avec une déformation de ce que nous avions jusque là sous les yeux.

La vision finale, annoncée dans la scène d'intérieur surprise de la fenêtre le premier soir, sert à libérer définitivement le sujet : d'exclu qu'il était jusque là, il trouve place sur et dans la scène installée de l'autre côté de la rue.

‘Und wie Esther das Ringen aufgab und ihre Arme über den Kopf ausstreckte, da erlosch das Licht, und aus der Tiefe des Zimmers erschienen mit mildem Grusse die Gestalten der ersten reinen Schöpfung, Adam und Eva, unter den verhängnisvollen Baume, und blickten tröstend zu der Sterbenden aus dem ewigen Frühlingshimmel des wiedergewonnenen Paradieses, während der Todesengel zu ihrem Haupte mit traurigem Antlitze in einem Kleide voll Augen mit glänzendem gesenkten Flammenschwerte lauerte, den letzten bittern Tropfen ihren Lippen einzuflössen. So sass der Engel wartend tiefsinnig, wie ein Erfinder am Schlusse seiner mühevollen Arbeit. Aber Esther sprach mit gebrochener Stimme zu Adam und Eva : "Euretwegen muss ich so viel leiden!" - Und jene erwiderten : "Wir taten nur eine Sünde, und hast du auch nur eine getan?" - Da seufzte Esther, und wie sich ihr Mund öffnete, fiel der bittre Tropfen von dem Schwerte des Todesengels in ihren Mund, und mit Unruhe lief ihr Geist durch alle Glieder getrieben, und nahm Abschied von dem schmerzlich geliebten Aufenthaltsorte. Der Todesengel wusch aber die Spitze seines Schwertes in dem offenen Wasserbecher vor dem Bette ab, und steckte es in die Scheide, und empfing dann die geflügelte, lauschende Seele von den Lippen der schönen Esther, ihr reines Ebenbild. Und die Seele stellte sich auf die Zehen in seine Hand und faltete die Hände zum Himmel, und so entschwanden beide, als ob das Haus ihrem Fluge kein Hindernis sei 199 (SR III, p. 63)’

La vision ultime n'a pas d'autre spectateur que le maître du majorat totalement effacé du texte, situé hors champ, pour emprunter un terme au cinéma. La métamorphose de Vasthi en vautour a suscité l'apparition consolante près d'Esther mourante d'Adam et Eve au Paradis terrestre recouvré. Deux pôles organisent le discours : celui du salut - perdu et retrouvé- et celui de la mort amère. Deux lieux, la terre et la montée au ciel, nouvelle assomption. Le passage se fait d'un pôle à l'autre, et l'âme - sur la pointe des pieds, dans la main de l'Ange -, est décrite avec des termes matériels, non pas par métaphore, mais par contamination. Le haut et le bas introduisent la verticalité d'un tableau, à la façon de la peinture baroque. Les objets correspondent à une réalité référentielle, le verre d'eau sollicité par la mourante, mais annoncent une valeur thématique et circulent d'un monde à l'autre; l'Ange lave la pointe de son épée dans la coupe /verre d'eau, appelée à devenir la coupe mortelle.

Les formes apparaissent au maître du majorat. Après la disparition de l'Ange et d'Esther, le texte qui avait effacé toute présence explicite du maître du majorat, inscrit à nouveau son nom et précise que "l'idée vint au maître du majorat que tout ce qu'il avait vu pouvait bien avoir quelque chose de réel en ce monde aussi" (‘Erst jetzt fiel dem Majoratsherrn ein, dass etwas Wirkliches auch für diese Welt an allem dem sein könne, was er gesehen’ ) SR III, p. 64.. La vieille Vasthi, dans la chambre d'Esther, a une possibilité d'action, - elle s'empare de quelques bijoux -, mais elle est exclue du spectacle : "Elle ne semblait rien reconnaître ni voir de toute cette splendeur. Ses yeux étaient détournés."( ‘Die alte Vasthi schien aber von all der Herrlichkeit nichts zu erkennen, und zu sehen; ihre Augen waren abgewandt ’). Dans le dispositif spéculaire aménagé dans l'espace du spectacle, Vasthi décroche du mur un petit tableau représentant Adam et Eve (‘ein Bild von Adam und Eva ’), mimant ainsi, sans le savoir, la disparition d'Adam et Eve. Qu'elle décroche l'image qui pourrait faire croire qu'elle est la source, du côté du réel, de la représentation que nous venons de voir, offre un monde double, celui des choses et de la perception sensible, et celui de la représentation imaginaire. Vasthi elle-même renvoie aux deux ordres : comme le cousin, elle représente tous les éléments matériels, et se rattache, sous le regard du maître de majorat, à l'ordre symbolique (le vautour). Ses gestes mélangent les gestes habituels de ceux qui s'occupent des morts (soins donnés au cadavre, préparation du cercueil), et toute une symbolique (l'élimination de l'image - Bild - d'Adam et Eve). La lumière initiale est celle de la lanterne sourde de Vasthi, elle est aussi celle qui ouvre, pénètre, enlève, transfigurée en oiseau de proie. Inversement l'Ange se matérialise pour accomplir son pénible travail, de l'autre côté de la vie.

Après la mort d'Esther et son assomption avec l'Ange, se développe un troisième temps. Le sujet qui pouvait paraître avoir été totalement absorbé par la vision, surgit après l'envol de l'âme, signifié typographiquement - la virgule et le texte en italique - et discursivement - agent effacé du passif erkenntlich wird - :

‘Und die Seele stellte sich auf die Zehen in seine Hand und faltete die Hände zum Himmel, und so entschwanden beide, als ob das Haus ihrem Fluge kein Hindernis sei, und es erschien überall durch den Bau dieser Welt eine höhere welche den Sinnen nur in der Phantasie erkenntlich wird : in der Phantasie, die zwischen beiden Welten als Vermittlerin steht, und immer neu den toten Stoff der Umhüllung zu lebender Gestaltung vergeistigt, indem sie das Höhere verkörpert. 200 (SR III, p. 63-64)’

Jusqu'à ce point du récit, il y a toujours eu séparation entre le monde qu'on appelle "réel", et le monde de l'Imagination ( die Phantasie ), donné sous forme de "spectacle", la nuit, surpris de la fenêtre. Les tentatives quasi désespérées pour faire se rejoindre les deux mondes, pour le maître du Majorat comme pour Esther, ont échoué, la barrière de la rue symbolisant une barrière infranchissable. Séparation et confusion parfois, confusion du Moi et de cet Autre mimé dans son salon par Esther. La mort d'Esther libère le maître du Majorat de son impuissance. Alors seulement (Erst jetzt ), il perçoit le caractère "réel" de ce qu'il a perçu. Faut-il y voir la conviction qu'il y a un point privilégié de passage et de communication de l'intérieur, entre le Sujet et le fantasme?

‘Erst jetzt fiel dem Majoratsherrn ein, dass etwas Wirkliches auch für diese Welt an allem dem sein könne, was er gesehen, und mit dem Schrei :"Um Gottes Gnade willen, die Alte hat sie erwürgt", sprang er, seiner selbst unbewusst, auf das Fenster, und glücklich hinüber in das offene Fenster der Esther. 201 (SR III, p. 64) ’

Ce qui avait été un échec précédemment est une réussite, il passe d'un territoire à l'autre, et heureusement - glücklich -, il tombe dans la fenêtre ouverte d'Esther. C'est le cri qui fait le passage. C'est encore le cri qui ouvre la maison d'Esther. Le parcours de la mort arrive à son terme. Tous les acteurs sont réunis dans la chambre mortuaire, qui est bien le lieu de la mort. Il ne reste plus au maître du Majorat qu'à l'accomplir. Esther lui a montré le chemin, et lui a ouvert la voie du ciel. Sortie du monde du faux semblant, où elle ne pouvait que "singer" la vie, elle est passée de l'autre côté. Tout ce qui s'est joué au niveau d'Esther avec la présence effective de l'Ange de la Mort et la vision consolante d'Adam et Eve, se répète pour le jeune homme qui prend la mort à son propre compte, et donne un sens à ses actes : l'eau de mort de la coupe funèbre est aussi l'eau de vie, la mort, une nouvelle naissance. Le thème de la naissance - le secret des origines, la véritable mère, le véritable père -, trouve son achèvement dans le ciel retrouvé.

La mort du maître du majorat laisse intact, l'espace où il a toujours refusé de pénétrer. Les trois dernières pages de la nouvelle, comme les premières pages sont consacrées à la maison. Caractérisée par l'apparat, la magnificence, le lieu de dépenses somptuaires, elle est à la fois un cadre pour se montrer, le lieu de fêtes magnifiques, et le signe du titre. Posséder la maison, c'est devenir le maître du majorat. Mais la possession ne va pas sans la perte. Perte des volatiles, destruction de sa collection de blasons. Le lieu de matérialité qui a été défini par son caractère matériel (répétition de tout ce qui tourne autour des repas ), garde une réserve d'âme, l'âme de l'ami de la Dame, âme sortie d'un flacon où elle était enfermée. Le nouveau Maître n'ose pas résister, n'a pas le courage de parler, et il se trouve relégué dans une chambre du grenier, humilié, en dépit de ses charges honorifiques. Il a, sans l'avoir voulu, ce qu'a recherché l'ancien maître.

La maison avec ses chambres d'apparat abrite une colonie de chiens et de chats, et se ferme à l'extérieur. Personne ne peut entrer à l'intérieur de la maison. Elle est livrée à des on-dit, et c'est le lecteur qui se trouve exclu, réduit aux racontars des curieux placés en position de guetteurs, le soir, au travers des fenêtres illuminées. Définitive clôture, une haute grille de fer. ‘Am andern Tage wurde das Haus mit einem hohen eisernen Gitter umgeben, so dass niemand mehr diesen Heimlichkeiten zusehen konnte’ . SR III, p. 67 ( ‘"Et le jour suivant, la maison fut entourée d'une haute grille de fer, si bien que personne ne pouvait plus regarder ces menées mystérieuses."’) H. T. p. 803

C'est sur la grille que se referme l'histoire des héritiers du Majorat. La maison protégée de tout changement, préservée par la ville elle-même manifestait avec ostentation le dernier éclat d'un monde appelé à disparaître. Achim von Arnim, dans le préambule de la nouvelle, fait de la Révolution française une date repère. Après des siècles de tradition immobile, survient la cassure de la révolution, aggravée par les guerres napoléoniennes. C'est un bouleversement des valeurs établies. Il n'y a plus de place pour ceux qu'Arnim appelle les aventuriers du mystère, ces malades prophétiques capables de s'approcher d'un monde supérieur. Le monde ancien peut disparaître sans que personne le remarque. Le premier maître du majorat a gagné l'éternité d'un monde supérieur. Le nouveau maître du majorat se perd, sans qu'on puisse dater ni localiser sa perte. ‘Es war eine so unruhige Zeit, dass die alten Leute gar nicht mehr mitkommen konnten, und deswegen unbemerkt abstarben’ . SR III, p. 67("‘L'époque était si troublée que les vieilles gens ne parvenaient plus du tout à suivre, ce qui fait qu'ils disparaissaient sans que personne le remarquât’.") H. T. p. 803. Le monde ébranlé connaît un bouleversement, qui le met littéralement sens dessus-dessous : le majorat est aboli, les juifs libérés de leur étroite ruelle et le continent, en revanche, enfermé comme un fieffé criminel. L'esprit volatile, celui-là même qu'on essayait autrefois d'enfermer dans un flacon de sels, peut transparaître, de façon dérisoire, dans le changement final. Vasthi rachète pour une somme dérisoire, la maison du Majorat, afin d'y établir une fabrique d'ammoniaque. L'utilité fait loi. Peu importe l'odeur, un nouveau monde commence.

Notes
195.

"Elle gisait sur son lit. Sa tête pendait, et les tresses de ses cheveux roulaient dénouées jusqu'au plancher. Un vase rempli de rameaux fleuri de toute sorte était non loin d'elle et un verre d'eau auquel peut-être elle avait demandé un suprême rafraîchissement dans sa brûlante agonie. "Où vous êtes-vous enfuis, cria-t-il alors vers le ciel, êtres d'en haut qui l'entouriez, pleins de présages? Où es-tu, bel ange de la mort, image de ma mère? Ma croyance n'est donc plus qu'une vision douteuse entre sommeil et veille, un brouillard du matin que la douloureuse lumière disperse! Où est l'âme ailée dont j'espérais m'approcher un jour, dans un plus pur séjour? Et si je m'ôte à moi-même toute certitude, qui témoignera pour ce monde d'en haut? Les hommes devant la maison parlent d'enterrement, et tout sera fini. La chambre où elle est devient toujours plus sombre, les traits bien aimés se perdent dans l'ombre." ( Romantiques allemands ,II, p.798)

196.

Julien Gracq, Oeuvres complètes , Pléiade, II, Gallimard 1995, p. 711, 712

197.

"Et comme elle eut prié, tous les traits de son visage se resserrèrent, ne furent plus que des ombres, comme ces visages découpés dans les cartes à jouer et qui, placés contre une lumière qui passe à travers eux, représentent une forme humaine qu'ils ne permettent cependant pas de reconnaître : Vasthi n'apparaissait pas comme un être humain, mais comme un vautour qui, éclairé du bon soleil de Dieu, fond sur une colombe avec une ardeur accumulée. (Romantiques allemands II , p.798)

198.

En peinture, Francis Bacon veut faire"une sorte de peinture très structurée dans laquelle les images surgiraient, pour ainsi dire, d'un fleuve de chair." (L'art de l'impossible , Entretiens avec David Sylvester , Les sentiers de la création, Editions Albert Skira, 1995 p. 166). Du corps du personnage, sur le panneau central du Triptyque, mai-juin 1973 , s'échappe l'ombre noire d'un vautour. Voir Annexes, tome 2, p. LIII, Fig. 3

199.

"Et comme Esther abandonnait la lutte et étendait ses bras par-dessus sa tête, la lumière alors s'éteignit, et, venant du fond de la chambre, apparurent, avec une douce salutation, les formes de la première et pure création, Adam et Eve, sous l'arbre fatal, et, de l'éternel ciel printanier du paradis recouvré, leur regard consolateur descendait vers la mourante, cependant que l'ange du trépas, près de sa tête, le visage triste, en un vêtement plein d'yeux, guettait, son glaive de flamme abaissé, le moment d'insinuer à ses lèvres l'ultime goutte d'amertume. Ainsi l'ange demeurait assis, dans une attente pensive, comme un inventeur au terme de son pénible travail. Mais Esther parla, d'une voix brisée, et elle dit à Adam et Eve :"C'est à cause de vous que je dois tellement souffrir!" Et ils répondirent : "Nous n'avons commis qu'un péché, n'en as-tu commis qu'un toi aussi?" Alors Esther soupira, et comme sa bouche s'ouvrait, la goutte d'amertume tomba dans sa bouche de l'épée de l'ange de la mort, et son esprit courut dans l'angoisse par tous ses membres, et prit congé de son séjour douloureusement aimé. L'ange de la mort lava la pointe de son épée dans la coupe d'eau qui était au chevet du lit, remit l'épée au fourreau, et recueillit ensuite l'âme ailée, attentive des lèvres de la belle Esther, sa pure image. Et l'âme se mit sur la pointe des pieds dans sa main, et tendit ses mains jointes vers le ciel. Ainsi tous deux disparurent, comme si la maison n'opposait aucun obstacle à leur vol (Romantiques allemands II , p. 799)

200.

"Et l'âme se mit sur la pointe des pieds dans sa main, et tendit ses mains vers le ciel. Ainsi tous deux disparurent, comme si la maison n'opposait aucun obstacle à leur vol, et partout à travers la structure de notre monde, il en apparaît un supérieur qui ne se révèle aux sens que par l'imagination : par l'imagination, qui se tient en médiatrice entre les deux mondes et jamais ne cesse de spiritualiser en formes vivantes l'inerte matière de la dépouille, donnant un corps à l'être d'en haut. ( Romantiques allemands II , p.799)

J.C. Schneider commente aisi le passage en italiques : "Ce passage en italiques fait songer à une remarque de G.H. von Schubert dans ses Considérations sur les aspects nocturnes des sciences de la nature : "C'est ainsi que dans la nature entière une existence supérieure, raisonnable, intervient dans notre existence plus imparfaite, tantôt sous forme de pressentiment, tantôt clairement sous forme d'une amorce de vie." ( Romantiques allemands II, Notes,p.1645 )

201.

"Alors seulement l'idée vint au maître du majorat que tout ce qu'il avait vu pouvait bien avoir quelque chose de réel en ce monde aussi, et tandis qu'il criait : "Miséricorde! La vieille l'a étranglée", il bondit par la fenêtre, inconscient de soi, et par chance tomba dans la fenêtre ouverte d'Esther." (Romantiques allemands II, p. 800 )