II - La Mascarade de Howe. Les Ombres des choses passées

Le Persan Omar Kayyam avait écrit que l'histoire du monde est une représentation que Dieu, le Dieu multiple des panthéistes conçoit, met en scène et contemple pour distraire son éternité.
Jorge Luis Borges’ ‘ Alors, invoquant le courage violent de désespoir une foule de masques se précipita à la fois dans la chambre noire ; et, saisissant l'inconnu, qui se tenait comme une grande statue, droit et immobile dans l'ombre de l'horloge d'ébène, ils se sentirent suffoqués par une horreur sans nom en voyant que sous le linceul et le masque cadavéreux, qu'ils avaient empoignés avec une si violente énergie, ne logeait aucune force palpable.
Edgar Allan Poe (traduction de Charles Baudelaire)’
They groaned, they stirred, they all uprose,
Nor spake nor moved their eyes ;
It had been strange, even in a dream,
To have seen those dead men rise.
Samuel Taylor Coleridge, The Rime of the Ancient Mariner202

La Mascarade de Howe (Howe's Masquerade ) est la première de quatre nouvelles de Hawthorne regroupées sous le titre Légendes du Palais des Gouverneurs ( Legends of the Province House ). Elles ont été recueillies dans Twice Told and other tales (1837- 1842).

En 7 pages203 Hawthorne fait le récit d'une fête et d'un bal masqué, qui se sont déroulés au printemps 1776, à l'Hôtel du Gouverneur Howe à Boston, pendant la dernière partie du Siège par les Américains insurgés. Aux costumes du bal masqué, costumes parodiques et théâtraux, se mêlent des spectres des morts, -- généraux anglais qui ont trouvé la mort dans les batailles passées ) et des apparitions fantomatiques d'autres temps passés ou à venir. Sir William Howe voit, pour finir, son propre double, présage de sa défaite et de la fin de l'empire britannique. Le bal masqué qui se voulait divertissement, est devenu cérémonie funèbre et enterrement du pouvoir du dernier gouverneur du Massachussetts.

Le conte se fonde sur un article de Washington Irving paru dans The Gift en 1836

( avec prépublication en août 1835 dans le Knickerbocker ) : Irving donne la trame d'un poème que Byron projetait d'écrire, sous le titre "Un drame que Lord Byron n'écrivit pas", en invitant les poètes à l'utiliser. Poe envoie William Wilson à Irving, dans une publication de 1839, en indiquant qu'il a suivi son conseil. Mais Hawthorne avait déjà utilisé le thème donné par Irving en écrivant Howe's Mascarade . Poe accusa alors Hawthorne de plagiat, on suggère qu'il voulait détouner l'attention de ses propres plagiats, et faire ainsi du Masque de la mort Rouge ( paru en 1845) "un exercice d'ironie aux dépens de Hawthorne"204, qu'il accuse de cultiver l'allégorie en affirmant que "ce genre et cette activité étaient indéfendables". La même figure constitue une matrice symbolique ou métaphorique, dans laquelle peuvent se couler des histoires qui se dédoublent, et utilisent comme un masque, les personnages, les lieux, les scènes d'autres histoires. Des vraies métaphores, Borges205 dit qu'elles ont toujours existé. Et c'est par une métaphore qu'il fait commencer l'histoire des lettres américaines, avec Hawthorne, ‘-- Je veux parler de la métaphore qui assimile les rêves à un spectacle théâtral’ , -- en prenant la défense de la métaphore et de l'allégorie.

A un jeu, cher à Borges, qui confond le monde imaginaire et le monde réel, Borges donne comme origine littéraire possible un passage de l'Iliade où Hélène de Troie tisse sur sa tapisserie les malheurs de la guerre de Troie. Virgile a repris le même épisode avec Enée découvrant sculptée sur le temple, à son arrivée à Carthage, la représentation des scènes de la guerre, et "entre tant d'images de guerriers, sa propre image". Borges cite une ébauche d'histoire telle qu'elle a été notée par Hawthorne dans un de ses carnets: ‘Qu'un homme écrive un conte et s'aperçoive qu'il se déroule contre ses intentions : que les personnages n'agissent pas comme il le voulait; que se produisent des faits qui n'avaient pas été prévus par lui, et que s'annonce une catastrophe qu'il essaie en vain d'éviter. Ce conte pourrait préfigurer son propre destin et il pourrait en être lui-même l'un des personnages.’ La suite de la présentation que fait Borges d'Hawthorne met en évidence l'importance pour Hawthorne des jeux et des confluences momentanées entre l'imaginaire et le monde que, dans le cours de la lecture, nous feignons de prendre pour réel.

Ces contacts de l'imaginaire et du réel plaisaient à Hawthorne; ils sont des reflets et des duplications de l'art .

Notes
202.

"Ils geignent, se meuvent, se lèvent / Sans un bruit et les yeux fixés :/C'eût été troublant même en rêve/ De voir ces cadavres dressés!"(Traduction Chemin , Revue des Langues vivantes, 1911) Le dit du Vieux Marin

203.

Edition New York : Wood & Clarke, The POPULAR TALES, non datée, p. 358 à 365

Traduction Marc Logé, Stock 1926, dans La grande Anthologie du fantastique, Histoires de Doubles , Presses Pocket, 1988

204.

Edgar Allan Poe, Contes . Essais . Poèmes . Robert Laffont, 1989, Collection Bouquins, Edition établie par Claude Richard

205.

Nathaniel Hawthorne, conférence donnée par Borges à Buenos Aires en mars 1949, 0.C. Pléiade, 1993, p. 709