7 - Le double et le gain du plaisir humoristique

Des corridors, --- des corridors sans fin! Des escaliers, --- des escaliers où l'on monte, où l'on descend, où l'on remonte, et dont le bas trempe toujours dans une eau noire agitée par des roues, sous d'immenses arches de pont... à travers des charpentes inextricables! -- Monter, descendre, ou parcourir des corridors, -- et cela, pendant plusieurs éternités... Serait-ce la peine à laquelle je serais condamné dans mes fautes?

Le début de CAPHARNAUM 281 pourrait résumer les déplacements du sujet dans Aurélia , mis à distance avec humour.

Le récit à la première personne des aventures ou mésaventures du Sujet avec son / ses double/s témoigne de la même distance. Du fait de sa position énonciative, S 2 détient un savoir supérieur au savoir de S 1 sur la valeur des valeurs de S 1, et il peut utiliser ce savoir et marquer sa supériorité en se moquant avec une légère ironie de ce qui arrive à S 1 et en multipliant avec des jeux de miroir, le dédoublement et les mises à distance282.

‘Les personnes les plus chères qui venaient me voir et me consoler me paraissaient en proie à l'incertitude, c'est à dire que les deux parties de leurs âmes se séparaient aussi à mon égard, l'une affectionnée et confiante, l'autre comme frappée de mort à mon égard. Dans ce que ces personnes disaient, il y avait un sens double, bien que toutefois elles ne s'en rendaient pas compte, puisqu'elles n'étaient pas en esprit comme moi. Un instant même cette pensée me sembla comique en songeant à Amphitryon et à Sosie. Mais si ce symbole grotesque était autre chose, - si, dans d'autres fables de l'antiquité, c'était la vérité fatale sous un masque de folie?’

L'ironie vise ici le malaise des visiteurs qui hésitent sur l'attitude à tenir vis à vis du malade et utilisent ce que Sartre dénonce sous le nom de mauvaise foi.

L'écriture a une double fonction : elle essaie de transcrire, fixer, interpréter, mais elle essaie aussi de démonter les mécanismes et d'en rendre compte par une figure, comme celle du Double.

Freud met en évidence dans L'humour 283, le lien entre l'humour et la défense de soi. L'humour constitue une défense contre la possibilité de souffrance. Dans le texte de Nerval que nous avons cité, les termes comique (cette pensée ) et grotesque ( ce symbole ) commencent la phrase qui s'achève sur un masque de folie . Diriger l'humour contre sa propre personne, c'est se défendre de la sorte de ses propres possibilités de souffrance. ‘L'individu dans une situation déterminée surinvestit brusquement son surmoi et modifie dès lors, à partir de celui-ci les réactions de son moi’ . Les explications et les conjectures qu'envisage Freud, mettant en jeu la fluctuation des rapports entre le moi et le surmoi, paraissent particulièrement intéressantes dans la mesure où elles instaurent une structure dialogique où le surmoi, par l'humour, aspire à consoler le moi et à le garder des souffrances, sans toutefois renoncer à l'instance parentale.

Notes
281.

Capharnaüm , XVII, Nuits d'Octobre

282.

Etudiant la modalisation et ses effets, Michel Collot parle d'un effet ambigü : "Elle introduit, certes un doute sur la réalité des phénomènes évoqués, mais elle ne les invalide pas catégoriquement. Certains modalisateurs insistent même sur l'"effet de réel" produit par les rêves ou les hallucinations : "Un soir, je crus avec certitude être transporté sur les bords du Rhin)"(op. cit. p. 82 )

283.

Essai de 1927 publié dans L'inquiétante étrangeté et autres essais , Gallimard, 1985