2 - Le tableau caché

Le texte qu'on lit transite entre trois tableaux, les deux portraits d'Elinor et de Walter, que le peintre réalise sur commande, conjointement, en buste, et un troisième portrait, esquisse au crayon réalisée par le peintre à l'insu des deux jeunes gens, où il les représente ensemble engagés dans une action.

Les portraits sont présentés par Hawthorne comme une représentation du double bien propre à exercer une fascination narcissique sur celui qui fait faire son portrait.

‘Nothing in the whole circle of human vanities, takes stronger hold of the imagination, than this affair of having a portrait painted. Yet why should it be so? The looking-glass, the polished globes of the andirons, the mirror-like water, and all other reflecting surfaces, continually present us with portraits, or rather ghosts, of ourselves, which we glance at, and straightway forget them. But we forget them, only because they vanish. It is the idea of duration - of earthly immortality - that gives such a mysterious interest to our own portraits.411

Des deux portraits, nous ne connaissons que le regard croisé d'Elinor sur le portrait de Walter, et le regard de Walter sur le portrait d'Elinor. Vision spéculaire doublée du regard du peintre sur ses modèles face à leur portrait. Le peintre complète alors l'esquisse du troisième tableau, et la montre à Elinor qu'il a prise par la main et menée à l'écart. La fin de l'oeuvre (les deux bustes) est d'abord, pour les deux jeunes fiancés, délectation et plaisir confondus avec le plaisir amoureux et leur propre désir. Mais ce qu'ils voient au-dessous les fascine et les épouvante.

Les deux tableaux ont donc suivi le parcours attendu : commande, exécution, livraison. Pour quel avenir?

Ils sont donnés à voir aux spectateurs qui peuvent comparer les portraits réunis dans leur présentation. ‘On les plaça l'un à côté de l'autre, séparés par un panneau, semblant se regarder l'un l'autre, sans cesser cependant de répondre aux regards des spectateurs’ . 412

Hawthorne distingue trois catégories de spectateurs, les connaisseurs (Travelled gentlemen ) reconnaissant les qualités du peintre, les observateurs ordinaires (common observers ) s'attachant seulement à la ressemblance, et une troisième catégorie étudie ces physionomies figurées comme les pages d'un volume mystique. Dans cette troisième catégorie, miroir du peintre, un excentrique voit dans les deux tableaux les morceaux d'un dessin unique, et il essaye une esquisse dans laquelle l'action des deux personnages correspond à leur mutuelle expression. Ces spectateurs privilégiés, dont Hawthorne décrit le manque d'habileté à manier le crayon, peuvent voir ce qu'a caché la représentation des tableaux et retrouver l'unité.

Après le mariage d'Elinor et de Walter les deux tableaux d'abord exposés sont ensuite cachés par Elinor qui suspend devant eux un rideau de soie pourpre, sous prétexte de les protéger de la poussière et du soleil.

Ce qui n'a pas été représenté, mais qu'on pouvait lire, obscurément, dans l'effroi marqué sur le visage d'Elinor, se trouve ainsi définitivement occulté.

Notes
411.

"De toutes les vanités humaines, aucune ne s'empare plus fortement de l'imagination que cet acte de se faire faire son portrait. Pourquoi en est-il ainsi? La glace, les globes polis des chenets, le miroir de l'eau et toutes les autres surfaces réfléchissantes nous présentent à chaque instant notre double, ou plutôt notre fantôme, que nous regardons distraitement et oublions aussitôt. Mais nous ne les oublions que parce qu'ils disparaissent. C'est l'idée de durée, d'immortalité terrestre, qui donne au portrait son mystérieux attrait. "(p. 41, 42)

412.

"They hung side by side, separated by a narrow panel, appearing to eye each other constantly, yet always returning the gaze of the spectator." (p.45)