3 -Figuration et localisation dans le Triptyque In Memory of George Dyer, 1971

Comment entrer dans un tableau, comment entrer dans une oeuvre de Francis Bacon? Nous nous proposons d'étudier l'articulation de la Figure et de l'espace, le temps, l'énonciation, et la fonction du double dans son rapport avec la Figure.

1 - La Figure et l'espace

Les trois panneaux du Triptyque de 1971422 font série, une série close qui s'achève ou se referme avec le portrait dressé du défunt et son image inversée. Trois panneaux de 198 cm par 147,50 cm, à la mémoire de George Dyer, à la limite de la représentation et de l'irreprésentable, puisqu'il s'agit de la mort de George Dyer en 1971. L'espace vide, avec une couleur uniformément rose, comme un fond, des deux panneaux latéraux est identique, traversé par une bande de couleur plus foncée suggérant un rebord, une lisière, morceau d'une ellipse, avec une amorce de courbe continue. La continuité est suspendue, plus que rompue par le panneau central qui nous fait pénétrer dans un second espace, bien réel, une montée d'escalier, avec une multiplication de portes, de cadres, encadrements.

Cet autre espace ne fonctionne pas comme fond, à la différence de l'espace abstrait précédent, mais comme lieu dramatique : lieu de l'ombre ou plutôt des ombres et des reflets, avec l'éclairage d'une ampoule nue qui se reflète dans ce qui peut être le carreau d'une fenêtre. Du premier espace, il reste deux morceaux en miroir. Ombre et lumière, en contraste violent, cet entre-deux est hautement suggestif d'une angoisse423 qu'accentue encore le découpage fantastique de la Figure au bas de l'escalier.

Le lieu du panneau central ( Annexes, Figure 5, p. LIV ) contraste aussi avec l'autre espace par la multiplication des verticales, les cadres, les barreaux de l'escalier, les traverses des montants des portes et des fenêtres, qui contribuent à étirer le tableau et à lui donner une sorte de dimension verticale.

L'escalier, dont on pourrait croire qu'il est là pour orienter le trajet de la figure fantomatique, ( La Figure devrait monter l'escalier), inscrit à son bord non pas un mur, comme on pourrait s'y attendre, mais une porte traversée de lumière.

Ainsi se crée entre les espaces des trois panneaux, l'espace abstrait des panneaux 1 (panneau de gauche, voir Annexes, Figure 6, p. LV) et 3 (panneau de droite) et d'autre part l'espace figuratif-illustratif du panneau 2 (panneau central), une articulation où le panneau 2 devient une sorte d'antichambre, lieu de la transformation. Le lieu 3 pourrait être conçu par rapport au lieu 1 comme le même lieu, mais transformé. Le lieu 2 est le lieu du passage, avec redondance de tout ce qui signifie le passage, l'escalier, les portes, les cadres/fenêtres, jusqu'au détail de la sonnette et de la poignée de la porte. On entre dans 2 à partir de 1 (un passage semble entrouvert ), et on sort en 3, pour se retrouver dans 1, la porte franchie.

Il y a donc parcours, itinéraire possible figuré par les deux espaces, mettant en cause, nous le verrons plus loin, l'existence de la Figure, succession qui n'est pas narrative, mais d'un autre ordre. D'autre part, ce parcours suppose combat, chute, rupture. Rupture dans les lignes, verticalité après l'ellipse brisée ou au moins suspendue, barreaux de la montée d'escalier, lumière noire et fil de l'ampoule.

Y a-t-il possibilité de plusieurs ordres de lecture? Les différentes postures de la Figure aident- elles à préciser, à cerner le sens et la signification? Quelle est la position du Peintre, quelle place réserve-t-il pour le spectateur?

Notes
422.

Annexes, tome 2, Figure 1, p. L.

423.

Les films allemands du cinéma muet, dans la période expressionniste, ont beaucoup joué sur le décor de l'escalier plongé dans la pénombre.