3 Narratif et figuratif ou l'espace du temps.

Une seule Figure pour les trois panneaux du Triptyque, pas d'histoire, la peinture nous oblige à considérer ou reconsidérer la place absente du narratif- impossible dans une histoire de double, et pourtant nécessaire pour qu'il y ait récit.

Bacon représente un figuratif lié au Double et à sa représentation, une partie de ses tableaux ne sont que des variations sur le Double.

Sur le modèle musical, Deleuze dans IX Couples et triptyques reprend la distinction d'Olivier Messiaen, distinguant pour la musique, trois rythmes, le rythme actif, le rythme passif et le rythme témoin. On pourrait pour le Triptyque de 1971, voir ainsi les trois postures possibles de la Figure et de sa représentation. ‘"Le triptyque serait la distribution des trois rythmes de base. Il y a une organisation circulaire du triptyque, plutôt que linéaire."’ (p. 48, op. cit.). Du mouvement forcé, il dit qu'il ‘"fait naître en nous l'impression du Temps : les limites de la sensation sont débordées, excédées dans toutes les directions; les Figures sont soulevées ou projetées en l'air, mises sur des agrès aériens d'où tout d'un coup elles tombent."’ Il n'est pas toujours facile pourtant de dresser des limites entre des contraires qui peuvent se déplacer et se rejoindre dans un seul corps et dans un seul espace : Actif et passif. La tête inversée dont la bouche est tendue vers le haut. Montée et descente, la forme semble descendre dans une flaque, dans un mouvement inversé. Opposition du nu et de l'habillé. Du corps complet nu au corps évanescent, pour finir par un buste.

Deux rythmes opposables, celui de la vie, et celui de la mort, absence et présence réunis dans la ténébreuse unité du triptyque. ‘Les trois tableaux restent séparés, mais ils ne sont plus isolés. Les cadres ou les bords d'un tableau renvoient non plus à l'unité limitative de chacun, mais à l'unité distributive des trois’ . ( Deleuze, op. cit. p. 56)

Le triptyque intègre sa propre histoire, du chaos d'origine (lutte obscure avec le corps de la Figure qui n'est pas identifiable), horizontal, à la verticalité du tableau déposé inversé (de bas en haut) sur une sorte de pied avec des caractéristiques qui sont celles des portraits de Francis Bacon.

Le parcours du triptyque et son aboutissement dans le panneau 3 constituent une tentative de répondre à la question : Qu'est-ce qui peut sauver George Dyer de la mort?

Pour reprendre la terminologie adoptée par Gilles Deleuze, la peinture utilise un cadre analogique, - distinct du langage digital, notre langage habituel. Le langage analogique de la peinture procède notamment par ressemblance, analogie, similitude, alors que la convention et le code du langage digital laissent la place à un code.

Il pourrait être intéressant d'étudier ce que la peinture ouvre comme possibilités aux figures du Double. Comment la ressemblance surgit-elle? Au travers de trois Figures non ressemblantes, avec des postures opposées. Le peintre a le privilège de pouvoir faire ressemblant par des moyens non ressemblants. Bacon utilise les plans (vertical et horizontal), la couleur -la modulation de la couleur (=valeur), le clair obscur, le contraste de l'ombre et de la lumière, le corps même fragmenté, troué, la masse qui déborde et la déclinaison du corps qui déborde de l'organisme. Il procède par juxtaposition, et surtout par connexion, fusion.

Le tableau définit le regard de ceux à qui il destine ces moments ultimes de la vie / mort de George Dyer, George Dyer, le virtuel, le mystérieux, et la présence cachée de celui qui est représenté dans l'oeuvre du peintre.