Introduction

L'enjeu dépasse bien sûr la problématique du double et son éclairage par la psychanalyse. Il s'agit de comprendre ce que peut être une lecture qu'on dit psychanalytique d'un thème littéraire. De cette lecture, on dira, selon une distribution souvent aléatoire, à moins qu'elle ne soit historique, qu'elle est analytique, psychanalytique, lacanienne (avec souvent une nuance péjorative), freudienne moins souvent.

Il nous a semblé en avançant dans notre travail qu'il était nécessaire de partir de Freud dont le poids apparaît déterminant :

Freud a, en effet, abordé explicitement le Double au moins deux fois, dans son analyse de Gradiva , et dans son essai sur l'inquiétante étrangeté, en forgeant des outils propres à aborder la littérature et en utilisant des règles qu'il avait élaborées avec les malades. C'est en analyste qu'il a conduit sa recherche. Le travail sur les textes freudiens -- Gradiva , L'inquiétante étrangeté et autres essais -, a été conduit historiquement, dans la mesure où ces textes qu'on pense fondamentaux, mettaient en place le champ de la jeune psychanalyse, l'étude des névroses et cherchaient à le définir par rapport à la littérature et à définir la littérature par rapport à la psychanalyse naissante.

Freud pose lui-même de façon répétitive la question : comment se servir de la littérature, et quelles aides, quels outils peut apporter la psychanalyse? Que se passe-t-il au niveau des fantasmes pour le Dichter , en interrogeant le rapport du héros et du "Moi", et pour le lecteur?

Freud s'est limité à l'étude de textes littéraires, mais sa conception de la "création" n'est pas ce que nous entendons par "textes" aujourd'hui, ce qui donne parfois un aspect dépassé à certaines déclarations de Freud, surtout quand on les détache de leur contexte.

Il apparaît que tout ce qui risquerait d'être plaqué au nom de la psychanalyse sur un texte littéraire ou sur un film, ou sur un tableau et utilisé comme des outils de travail, est condamné à trahir et son objet d'étude et la démarche freudienne. Le côté clinique justement de l'analyse ne peut se faire que dans une intervention qui engage à la fois le lecteur, le texte (ou tout autre objet d'étude ) et l'acte même de la production. Ne fait pas surgir l'inconscient, n'importe qui, n'importe quand et n'importe où.

La lecture de Poe faite par Marie Bonaparte, lecture datée, d'une élève de Freud nous avertit sur le danger que peut constituer certain éclairage psychobiographique avec l'exemple de Poe.

Si elle montre les dangers, elle ouvre aussi une voie à une lecture analytique qui, par des mises en rapport, déplacements, condensations, scissions, cherche à questionner l'oeuvre et à tracer un chemin souterrain.

La métaphore souvent employée de l'archéologie nous permet de mieux comprendre comment mettre au jour des figures qui peuvent être cachées, voilées, enterrées, niées, défigurées. "Chaque acte interprétatif d'un texte singulier remet en jeu et en cause tout le savoir de l'inconscient, justement en le mettant à l'épreuve."466(Paul-Laurent Assoun)

Nous avons eu l'occasion dans les études antérieures de citer à plusieurs reprises des lectures psychanalytiques dans la mesure où elles éclairaient le texte : Julia Kristeva, Louis Marin, Sarah Kofman. Mais reprendre un psychanalyste comme Didier Anzieu qui nous a accompagnés et guidés dans notre étude sur Francis Bacon permet de réfléchir à l'apport aujourd'hui de l'écriture à la psychanalyse. Que signifie l'écriture pour un psychanalyste, et peut-il exister un territoire utopique --( c'est volontairement que nous utilisons un terme cher à Louis Marin ) où trouvent leur place ‘"ces grandes oeuvres d'art de la nature psychique"’ de Francis Bacon?

Il s'agit enfin d'étudier le surgissement de cette forme névrotique qu'est le double à partir de la lecture de certains textes de Lacan. Dans la mesure où Lacan cherche un lien entre la culture des mythes ( Levi-Strauss ), la linguistique de Saussure et les apports de Freud, on peut se poser la question : qu'est-ce qui est pertinent dans Lacan pour aborder la catégorie du Double? La place faite par Lacan à la Parole peut-elle nous donner d'autres repères et ouvrir à la recherche et à l'analyse un nouvel espace?

Notes
466.

Paul Laurent Assoun, Littérature et psychanalyse , Ellipses, 1996