II. 3.2. Les Imagines mortis et l’Apocalypse.

Joël Saugnieux nous invite à ne pas rapprocher le genre pictural de la danse macabre de celui des Imagines mortis. « Les images de la mort qui vont également devenir à la mode au XVe siècle, présentent isolément les hommes aux prises avec la mort. Elles renoncent à tout ce qu’il peut y avoir de dynamique dans les frises dramatiques de la Danse. 188»

Antoine Vicard, dans son étude sur la fresque de la Chaise-Dieu, nous propose, quant à lui, une évolution tout à fait intéressante qui nous mène de l’Apocalypse de Saint Jean aux danses que nous étudions aujourd’hui. Selon lui, « de tout temps, dans sa méditation des fins dernières devant les accidents de la vie, la conscience chrétienne a usé du plus complet des témoignages sacrés en ce sens, de cette troublante Apocalypse qui, au mérite d’être sortie de la main du disciple bien aimé, joint le charme de terreur d’un ancien livre de magie189 ».

Or, si nous nous tournons de nouveau vers les prédicateurs, nous trouvons l’utilisation de ce texte lors des sermons sur la mort. Le Frère Richard, qui attirait à ses sermons des milliers de personnes, prêcha à Paris le 26 avril 1429. Il « dit au départir que l’an qui serait après, c’est à savoir, l’an 1430 on verrait les plus grandes merveilles qu’on eût oncques vues, et que son maître frère Vincent le témoigne selon l’Apocalypse et l’Ecriture monseigneur saint Paul, et ainsi le témoigne frère Bernard, un des bons prêcheurs du monde 190».

Selon Antoine Vicard, la danse serait l’aboutissement logique d’un thème qui s’est peu à peu métamorphosé. « En ces versets, les animaux ailés à la manière des frises d’Assyrie, qui annoncent dans le fracas des trompettes les grands personnages de la Tragédie, donnent en quelque sorte à l’apôtre la première formule de la danse macabre. « Viens et vois » rugissent-ils, à mesure que l’Agneau ouvre les quatre premiers sceaux du livre de l’avenir 191» dont sortiront les quatre cavaliers192. Dans les représentations de l’Apocalypse, chaque cavalier, puis la mort, forment un tableau distinct. Toutes les enluminures et les tapisseries présentent le même grand seigneur vêtu d’une riche robe, mais la mort a tantôt l’aspect d’un vieillard bien vêtu et tantôt porte un suaire. La gravure d’Albrecht Dürer, Les Quatre Cavaliers de l’Apocalypse, illustre l’ouverture du premier des sept sceaux et représente la Guerre, la Famine, la Peste et la Mort qui ravageaient alors les terres allemandes. La composition en bas-relief « concentre l’attention sur l’impétueuse phalange dont la course effrénée se précipite de gauche à droite. Dépourvus d’arrière-train et comme surgis du néant, les trois premiers chevaux, avec leurs chanfreins de boucs et leurs yeux humains, semblent animés par une puissance démoniaque. Leurs cavaliers, farouches et violents, frappent avec une fureur qui ne connaît aucun discernement. Montée sur une haridelle boitillante, la Mort, sous l’apparence horrible d’un vieillard desséché, aux yeux hagards, peut se contenter de ramasser à la fourche sa funeste moisson. Derrière elle, l’Hadès ouvre ses abîmes pour engloutir l’un des souverains de ce monde. A droite figure la quatrième partie de l’humanité destinée à périr : une bourgeoise de Nuremberg, un marchand aisé, un paysan qui crie sa souffrance, un bourgeois apeuré, un moine renversé à terre représentent les diverses catégories de la société d’alors 193». Présence de l’Enfer, égalité de tous devant la violence aveugle de la mort dépendante des calamités du temps... La gravure de Dürer renferme un message fort proche de celui des danses.

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Albrecht Dürer. ’Les Quatre Cavaliers de l’Apocalypse’.(vers 1498) Bois. 39,2 x 27,9 cm.

Notes
188.

Op. cit., p. 25.

189.

Les fantômes d’une danse macabre, L’Art funèbre au Moyen-Age d’après la fresque de la Chaise-Dieu, Le Puy en Velay : Copyright by Antoine Vicard, 1918, pp. 60-61.

190.

Journal d’un bourgeois de Paris, pp. 255-256. (Frère Richard , franciscain, était un mendiant et un prédicateur à succès. Il avait prêché l’Avent à Troyes en 1428 et prêcha à Paris en avril 1429. Il avait des sympathies pour les Armagnacs, fut le confesseur de Jeanne d’Arc et l’accompagna dans le voyage de Reims. Vincent Ferrier: prédicateur dominicain, annonça la fin du monde en Espagne et en France avec un énorme succès. Il ne peut être « son maître » que parce qu’il l’écoute prêcher.).

191.

Op. cit., p. 62.

192.

Apocalypse, 6-7.

193.

RENOUARD DE BUSSIERRE Sophie, Albrecht Dürer, oeuvre gravé, Musée du Petit Palais, Lavaur : éditions des musées de la ville de Paris, 1996, p. 55.