III.2. Les armes traditionnelles.

Avant de se lancer dans la ronde, la Mort doit préparer ses instruments, c’est pourquoi, tel un musicien qui accorde son violon, elle affûte délicatement sa faux à l’aide d’une pierre à aiguiser et vérifie du bout des doigts que sa lame a atteint la perfection 606. L’image de la  grande « faucheuse » alimente l’imaginaire des dessinateurs . La mort cache sa faux pour ne pas effrayer la fillette, et la pose comme outil de reconnaissance devant le croque mort 607 et le condamné 608. Mais ce peut être un instrument très utile ! Elle sert à percer le ballon de l’aéronaute ou à couper la corde du pendu609.... Parce qu’elle l’utilise, la mort est comparée au moissonneur :

« La mort abat les épis sains,
Chante la moisson, toi, l’ortie. 610»

C’est ainsi que la mort dresse son portrait, en se différenciant du poète guerrier à qui elle s’adresse ; et par rapport à cet homme qui chante les vertus de la guerre, glorifie les combats sanglants, elle semble presque sympathique. Semblable au paysan, elle engrange une moisson épanouie et accomplit son travail dans la gaieté. Toutefois, notre squelette a plus d’un tour dans son sac !

Cet instrument agricole dont elle se sert encore pour moissonner et faucher « son champ 611» ou pour pratiquer, sur les champs de batailles, ses « grandes coupes fraîches 612» peut se transformer en outil de guerre. Il n’a pas échappé aux illustrateurs que le mot désigne, dès 1690, « une arme formée d’une lame arquée au bout d’un manche 613 ». L’utilisation de ce nouvel instrument permet de rappeler au lecteur l’image de la faucheuse tout en ajoutant au personnage une dimension guerrière. C’est cette arme que les serviteurs de Vanité, Folie et Férocité tiennent à disposition du squelette pour pousser les hommes à la révolution 614, elle sert également à la mort pour aller à la rencontre du soldat qui tombe sur le champ de bataille 615 ou pour stopper les épées des duellistes 616. Cette réunion d’armes tranchantes illustre bien la nouvelle fonction de la faux, de simple outil métaphorique de la moisson, elle est devenue une redoutable arme de guerre utilisée pour transpercer les corps et répandre le sang. La mort de la danse de Ferdinand Barth, qui apparaît comme un personnage vindicatif, cynique et assoiffé de sang, est d’ailleurs très souvent représentée avec ce type de faux.

Notre culture nous a tellement inculqué l’idée que la faux « rappelle le temps qui passe 617» et qu’elle est ainsi le symbole de la mort que nous ne pouvons nous représenter la mort sans cet objet. Toutefois, un rapide coup d’oeil jeté aux danses médiévales vient contrer ce stéréotype. Dans la danse de Guyot Marchant, la faux apparaît à quatre reprises, soit autant de fois que la pelle, outil du fossoyeur ou que la flèche symbole de la peste. L’artiste de la Ferté-Loupière n’a utilisé la faux que deux fois et a représenté quatre fois la mort armée d’une flèche. Ceci tendrait peut-être à prouver que la fresque de ce village avait été peinte pour commémorer le passage de la peste. En effet, la flèche est le « trait acéré lancé par Dieu pour punir les péchés des hommes et la peste sera longtemps attribuée à cette colère divine 618». Cependant, les fresques de la Chaise-Dieu, de Kermaria, de Bâle ou encore celle d’Holbein, dont on a pu dire qu’elles étaient liées au passage de la peste, ne représentent pas de squelette armé. L’utilisation d’armes comme la flèche ou la faux est donc assez inhabituelle au moyen âge aussi bien dans l’iconographie que dans les textes. « Ce n’est guère qu’à partir du XVe siècle que la faux apparaît entre les mains du squelette pour signifier l’inexorable égalisatrice. 619» Alors que la flèche ne fera plus partie des attributs de la mort, la faux va devenir son outil de prédilection. Elle va également abandonner la pelle du fossoyeur dont elle se servait pour « caresser la moelle épinière du saint pontife 620».

Notes
606.

BARTH F., op. cit., page de couverture.

607.

HOYAU A., op. cit., « La Mort et le Croque-mort ».

608.

BARTH F., op. cit., p. 21.

609.

HOYAU A., op. cit., « La Mort et le Suicidé ».

610.

JOUVE P.J., op. cit., « le poète guerrier », p. 59.

611.

HUGO V., op. cit., p. 663.

612.

JOUVE P.J., op. cit., « les mobilisés », p. 35.

613.

REY A., op. cit., article « faux », p. 783.

614.

RETHEL A., op. cit., premier feuillet.

615.

BARTH F., op. cit., p. 5.

616.

HOYAU A., op. cit., « La Mort et les Duellistes »..

617.

BROSSOLET J., op. cit., p. 38.

618.

Ibid., p. 38. L’auteur précise : « L’arabe et l’hébreu ont des mots dérivés de « flèche » pour désigner la maladie ; après la peste de Justinien Saint Grégoire écrivait : « Il y a trois ans, pendant cette peste qui fit tant de ravages dans Rome, lorsqu’on vit des flèches tomber du ciel et en frapper plusieurs ». »

619.

CHEVALIER Jean et GHEERBRANT Alain, Dictionnaire des symboles, Aylesbury (Grande-Bretagne) : Robert Laffont / Jupiter, 1989, article « faux », p. 429.

Le Dictionnaire historique de la langue française écrit : « par métaphore, la faux est l’instrument du Temps et de la Mort (1638) », REY A., op. cit., p. 783.

620.

LACROIX P., op. cit., p. 185.