Le jeu des inversions se poursuit, la mort va nous révéler les faces cachées de sa personnalité : elle peut être belle pour qui sait la regarder, elle sait devenir femme ou inviter à l’amour...
Théophile Gautier687 et Anatole France688, lorsqu’ils appartenaient à l’école parnassienne, ont associé la mort à la beauté. Dans leurs poèmes, la mort n’apparaît pas sous la forme d’un cadavre en décomposition ou d’une momie desséchée, c’est une « blanc squelette 689» qui « cache son front de vieil ivoire » « sous son large chapeau 690». La forme de la courbe atténue ses « bras aux os pointus » ; le squelette, devenu artiste, « dessine ses côtes en cercle », transforme les vertèbres du charnier en « chapelet » et « signe les pierres funèbres » grâce à « son paraphe de fémurs 691» ... qui rappelle l’arabesque. Son sourire n’est pas celui d’un édenté mais plutôt d’un « amoureux » qui montre à sa promise « ses belles dents blanche et toutes nues ».
Il forme avec ses compagnons « un orchestre si doux » qu’il « ne saurait convier / Les vivants au Sabbat 692». « Une musique un peu faible et presque câline / Marque discrètement et dolemment le pas 693». « Un squelette est debout pinçant la mandoline », un autre joue d’un « rustique pipeau » « ou des os de sa main frappe un disque de peau ». Mais les sons les plus beaux sont sans doute ceux qui sont enveloppés dans la grâce féminine :
La morte ne joue pas une musique funèbre, elle « éveille » les « touches » par son doigté ; comparée à une sainte, elle semble être une vision prémonitoire du Paradis. Celui-ci transforme le corps décomposé en corps de lumière puisque le « chevalier errant » compte revoir au Ciel» « une belle duchesse avec sa haquenée » alors que, dans le cimetière, sa poitrine laisse voir « un reste noire de peau qui fut un sein de femme 695». La mort n’est plus que l’attente paisible de la résurrection, moment où l’amour pourra s’épanouir :
En ôtant à la mort toute trace de corruption Théophile Gautier tente de retrouver le rapport harmonieux que les hommes entretenaient avec elle avant l’émergence du christianisme ; il « s’absorbe dans la vision de la danse macabre, mais c’est avec le désespoir d’un païen pour qui la forme et la chair ne renaîtront jamais aussi belles qu’elles furent 697». Le temps du paganisme était pour lui celui de la beauté :
Il ne restait pas « de cadavre sous la tombe », le bûcher ne laissait du « spectre hideux » qu’ « Une pincée entre les doigts, / Résidu léger de la vie 698», « Et l’Art versait son harmonie / Sur la tristesse du tombeau ». Théophile Gautier rêve de ce « temps heureux » où « D’images douces et riantes / La Vie enveloppait la Mort 699». « Il se prend à regretter le temps où le cadavre existait à peine, vite évanoui dans la flamme du bûcher. C’est pour la première fois, dans Emaux et Camées, le regret du paganisme qui éclate, le long cri de rancune à l’égard du christianisme qui a ancré dans l’homme l’idée de sa poussière future, imposé la vision de la décomposition. 700»
« De 1847 à 1852 il écrit les poèmes des Emaux et Camées, qui parurent en 1852, la même année que les Poèmes antiques de Leconte de Lisle, jusque vers 1870 il écrira de nouveaux poèmes pour ce recueil (...). Ce recueil renferme (édition de 1858) le poème « L’Art », le plus sévère et le plus connu des « credos » parnassiens. Théophile Gautier y proclame que l’artiste doit être un bon ouvrier, connaissant toutes les ressources de la langue et du vers, et que, pour faire valoir son habileté technique, il doit choisir la forme difficile, la matière dure, « sceller son rêve dans le bloc résistant » ; seule la « forme » demeure, plus forte que le temps et que la mort ». MARTINO Pierre, Parnasse et symbolisme, Orléans : Armand Colin, 1950, p. 23.
« Un jour, vers 1866, il alla voir, passage Choiseul, un jeune éditeur, Alphonse Lemerre, et cette rencontre eut d’importantes conséquences. Lemerre avait rassemblé dans sa maison un grand nombre de poètes : autour de Leconte de Lisle et de Catulle Mendès, s’était fondé le Parnasse, qui réunissait les célébrités du jour (Gautier, Banville) et celles du lendemain (Coppé, Verlaine, Mallarmé). Anatole France se glissa dans le groupe, sut plaire à quelques-uns sans porter ombrage à personne. Il ne tarda pas à être sacré Parnassien et engagé comme lecteur par Lemerre (...). (en 1876) il achève Les Noces corinthiennes, qui ont chance de reste le chef-d’oeuvre dramatique du Paranasse ». Le poème de La danse des morts se situe entre ces deux moments, il est daté d’octobre 1869. SUFFEL Jacques, Anatole France, Bourges : éditions du Seuil, 1971, pp. 14 et 16.
GAUTIER T., « Bûchers et Tombeaux », op. cit., p. 111.
FRANCE A, op. cit., p. 110.
GAUTIER T., « Bûchers et Tombeaux »,op. cit., p. 111.
FRANCE A. op. cit., p. 110.
Ibid., p. 109.
FRANCE A., op. cit., p. 110.
Ibid., p. 111.
Ibid., p. 112.
DETALLE Anny, Mythes, merveilleux et légendes dans la poésie française de 1840 à 1860, Paris : Librairie C. Klincksieck, 1976, p. 72.
GAUTIER T., « Bûchers et tombeaux », op. cit., p. 109.
Ibid., pp. 109-110.
DETALLE A., op. cit., p. 72.
GAUTIER T., « Bûchers et Tombeaux »,op. cit., p. 111.
DETALLE A., op. cit., p. 73.
GAUTIER T., « Bûchers et Tombeaux », op. cit., p. 113.