IV.2. « Il faut bien vivre pour bien mourir ».

Les danses avaient pour finalité de montrer aux hommes le chemin spirituel qui devait les mener vers Dieu. Macaber, le maître de la danse, donnait la signification de « cette image édifiante et sainte » qui « mettait un peu d’espoir au fond du désespoir 886» :

« Ils [les hommes] me savaient bon gré de les entretenir
Du néant de la vie en ma sombre épopée,
Et d’affermir leurs pas sur la route escarpée
D’un ciel qui ne doit point finir. 887»

La vie terrestre n’était que tristesse en comparaison de la vie « post mortem » qui attendait les croyants. « A travers les siècles, la grande leçon de cette prédication, la grande leçon de la danse macabre est, elle aussi, parvenue jusqu’à nous. Car ce n’était pas seulement le « memento mori » que répétait sans cesse aux vivants qui passaient par le charnier, la chapelle ou le cloître, la longue théorie des morts aux sinistres gambades et de leurs victimes attristées, c’était encore le conseil ou plutôt le commandement donné par l’Eglise qu’il faut bien vivre pour bien mourir. « Le maistre qui est au bout de la dance » le dit expressément ; et voici ses paroles finales qui sont aussi les derniers vers du poème écrit jadis aux Innocents et qui étaient sans doute la péroraison du religieux prêchant devant ceux qui avaient vu représenter le jeu de la danse macabre :

« Les livres que firent jadis
Les sains le monstrent en beaux dis,
Acquitez vous que cy passés,
Et faitez des biens : plus n’en dis.
Bien fait vault moult es trespassés ». 888»

Pour bien vivre, le croyant doit respecter les préceptes de l’Eglise. La morale chrétienne, dans ses applications sociales, est mise en évidence dans les quatrains et dans les vignettes de la danse d’Auguste Hoyau. Celui qui se sacrifie pour sa patrie meurt « noblement 889», ce sont les mêmes paroles que le prédicateur adresse à ses ouailles pendant la guerre de 1914-1918 :

« Et qui meurt pour sa Patrie
Ne meurt pas :
Il entre dans la vie éternelle. 890»

Le soldat qui se suicide est inversement « lâche, félon et sans courage 891», quant aux hommes qui s’affrontent en duel, la mort leur rappelle que l’on ne peut se battre que « pour son pays et sa foi 892». Les caricatures du soldat, du suicidé et des duellistes rappellent ainsi avec insistance que la destinée humaine est entre les mains de Dieu, non entre celles des hommes.

Inversement, la mort s’adresse à ceux qui ont su se détacher du monde avec une extrême douceur :

« Saint religieux, ma venue
N’excitera point ton effroi. 893»

Ce qui permet de rappeler que les bonnes actions et la foi en Dieu ouvrent les portes du Paradis. La mort est « la bienvenue » pour le religieux comme pour la religieuse qui ont consacré leur vie aux déshérités :

« Sans peur ta belle âme ravie
Peut entrer dans l’éternité. 894»

Auguste Hoyau parsème ainsi sa danse de préceptes chrétiens. Il rappelle avec humour au lecteur et à l’aéronaute que

« Le meilleur gaz est la prière
Pour monter jusqu’à l’Eternel ! 895»

Le nouveau-né qui n’a pas goûté au « plaisir immonde 896» peut jouer avec les anges puisque le baptême ouvre les portes des Cieux à l’innocent. La mort ne doit donc pas être considérée comme une fin mais comme le début d’une vie nouvelle qui permet de « trouver enfin l’espérance 897» car « pour le juste, mourir c’est vivre 898» ; mais, avant de gagner la vie céleste, il ne faut pas oublier de se mettre en accord avec sa conscience, c’est pourquoi la mort présente au notaire un testament afin qu’il fasse « l’inventaire » de ses « fautes 899».

Notes
886.

France A., op. cit., p. 108.

887.

DUCOS DU HAURON A., op. cit., p. 13.

888.

MASSERON A., op. cit., p. 549.

889.

HOYAU A., op. cit., « La Mort et le Soldat ».

890.

JOUVE P.J., op. cit., « Les hommes d’église », p. 63.

891.

HOYAU A., op. cit., « La Mort et le Soldat ».

892.

Ibid., « La Mort et les Duellistes ».

893.

Ibid., « La Mort et le Religieux ».

894.

Ibid., « La Mort et la Religieuse ».

895.

Ibid., « La Mort et l’Aéronaute ».

896.

Ibid., « La Mort et le Nouveau-né ».

897.

Ibid., « La Mort et le Vieillard ».

898.

Ibid., « La Mort et le Pape ».

899.

Ibid., « La Mort et le Notaire ».