V.1. Hiérarchie et alternance.

La structure des danses obéit à un double système : un défilé hiérarchique se greffe sur un défilé où alternent personnages ecclésiastiques et civils ou militaires. La société immortalisée par les éditions de Guyot Marchant « semble bâtie pour l’éternité. Les vivants s’avancent suivant les lois d’une hiérarchie parfaite : en tête marche le pape, puis viennent l’empereur, le cardinal, le roi, le patriarche, le connétable, l’archevêque, le chevalier, l’évêque, l’écuyer, l’abbé, le bailli, etc. Une si belle ordonnance paraît alors immuable comme la pensée de Dieu. On remarquera qu’un laïque alterne toujours avec un clerc ; ce sont là des harmonies que l’on admire dans une société bien réglée : aux hommes de pensée répondent les hommes d’action. 922» Auguste Hoyau, qui a voulu respecter la structure originelle de la danse, tente de recréer cette alternance. Du fait de la perte de pouvoir de l’Eglise, il use de subterfuges : il intercale deux personnages civils entre chaque représentant du monde catholique. Le pape précède le souverain et le député, l’évêque fait alors son entrée, suivi du soldat et du juge, puis l’on découvre le religieux, le général et la coquette, la religieuse fait alors son apparition, mais brusquement, le bel ordre s’effondre, « les réalités sociales l’ont empêché de poursuivre sur cette voie 923». Aucun autre membre de l’Eglise, en dehors du chanoine, ne fera son entrée dans la danse ... L’auteur aura toutefois respecté, le temps de quelques personnages, l’ordonnancement tripartite de la société chrétienne médiévale ; nous trouvons ceux qui prient, ceux qui combattent et enfin ceux qui travaillent, la coquette seule fait défaut. Nous pouvons néanmoins faire remarquer que toutes les anciennes danses ne respectaient pas le moule des Innocents. « Guyot Marchant, dans les éditions qu’il publia de la danse macabre après 1485, augmenta, pour intéresser davantage son public, le nombre des personnages, mais il ne s’astreignit pas à observer l’alternance primitive. 924»

Les artistes du moyen âge envisageaient ainsi ce thème artistique en présentant hiérarchiquement la pyramide de la société, en référence au système des trois ordres d’Adalbéron de Laon. « Hoyau s’est écarté de ce modèle, peu pertinent à la Belle Epoque ; il lui a substitué un système de hiérarchie fondé sur la valeur individuelle et morale des types sociaux qu’il a sélectionnés. 925» Le député suit le pape et le souverain. « Le rang de premier plan occupé par le parlementaire est conforme au ralliement de l’Eglise à la République, sous le pontificat de Léon XIII, rédacteur de l’encyclique Rerum novarum. 926» L’alternance entre clercs et laïcs étant difficilement réalisable au moment où la religion était en perte de vitesse, d’autres auteurs ont préféré faire référence aux oeuvres médiévales en leur empruntant certains vers ou certains éléments picturaux.

Notes
922.

MALE Emile, op. cit., p. 367.

923.

BONNEBAS Mr et Mme, op. cit., p. 116.

924.

MASSERON A., op. cit., pp. 540-541.

925.

BONNEBAS Mr et Mme, op. cit., p. 116.

926.

Ibid., p. 117.