II.1. Le moment.

II.1.1. La date.

« Il est, dans l’année, trois circonstances, trois fêtes solennelles où tous les morts de chaque région se donnent rendez-vous : la veille de Noël, le soir de la Saint-Jean, le soir de la Toussaint. 1006» Le soir du jour des Morts revient très souvent dans les légendes locales. Les récits de la région de Killarney, en Irlande, rapportent que « chaque mort peut quitter sa fosse de temps en temps, mais il y a une apparition générale de tous les morts la nuit de la Toussaint 1007». Nous retrouvons cette même croyance en France. Dans les Vosges, « il est de la

dernière imprudence de sortir de chez soi le soir de la Toussaint. A cette heure d’épouvante où toutes les tombes sont vides, visibles pour les uns, invisibles pour les autres, les trépassés se rendent dans la campagne et envahissent tous les chemins, pour se diriger en hâte vers les lieux qu’ils ont habités autrefois. On ne pourrait mettre un pied devant l’autre sans marcher sur eux, tant leurs rangs sont serrés 1008». Si certains textes ne précisent pas quand se produit le réveil des morts, d’autres, se conformant aux anciennes légendes, le situent le soir de la Toussaint :

« C’est la Fête des Morts lugubre et monotone !
Tous, ce soir, en tumulte ont vidé leur cercueil. 1009»

Le ménétrier qui de son vivant, « enlevait du sol la danse », que les « commères » « aimaient » et dont les villageois « se disputaient son art », n’a pas oublié la date de la fête des morts :

« Il trépassa, tel soir de fête
Quand s’ameutaient au loin la danse et ses tempêtes.
On enfouit profondément son corps.
Mais, chaque année, au jour des morts,
Miserere sortait de la terre bénite
Pour célébrer le deuil, suivant son rite. 1010»

C’est également le « jour des Morts 1011» que le jeune homme qui s’est promené dans le cimetière parisien, va entrer en contact avec des âmes défuntes, il va entendre le ver dialoguer avec la trépassée et, rentré chez lui, la tête de mort qui se trouve dans sa chambre va lui adresser la parole. Les morts aiment également à se montrer la veille de Noël ; c’est au cours de cette nuit que le narrateur de la danse macabre de Fagus va assister à de véritables scènes de sabbat menées par des morts qui sortent de terre devant ses yeux. Lorsque l’aube fait enfin son apparition et efface ces visions de cauchemar il s’aperçoit que c’est le matin de « Noël 1012». Quant aux « pantins » avec lesquels s’amuse « Messire Belzébuth », ils dansent « aux sons d’un vieux Noël 1013».

D’autres dates apparaissent comme propices au retour des morts dans le monde des vivants. La Mesnie Hellequin, constituée de damnés ou de morts qui n’ont pu trouver le repos du fait de la forme de leur trépas erre « pendant le carême, le Vendredi saint, la sainte Walbourge (1er mai), la Saint-Pierre (1er juin), la saint Martin (11 novembre), à Noël et surtout pendant le cycle des Douze jours1014. Toutes ces dates possèdent une connotation païenne et elles sont en rapport avec les grandes fêtes de la fertilité ou des morts. En se montrant le premier mai, la nuit de Walpurgis (Walburga), la Chasse sauvage tombe dans le domaine de la sorcellerie 1015». Seule la « danse macabre » d’Ulysse Normand évoque ce « bal de mi-carême 1016», mais un grand nombre d’autres textes font intervenir Satan, des sorcières ou les avatars de ceux-ci et leurs danses, nous le verrons par la suite, s’apparentent à celles du Sabbat. « Le sabbat avait lieu dans la nuit du trente avril au premier mai en souvenir des fêtes païennes ou encore la nuit de la Saint-Jean ou de la Saint-Barthélemy, plus souvent les nuits du Mercredi ou du Vendredi 1017» en référence aux religions antiques1018. En réalité, l’année des sorciers se divise, comme l’année civile, en quatre saisons, chacune d’entre elle est caractérisée par deux sabbats, deux fêtes, l’une représentant le début de la saison et l’autre son apogée. Le sabbat a donc lieu lors des solstices d’hiver et d’été (21 décembre et 21 juin) et au moment des équinoxes de printemps et d’automne (21 mars et 22 septembre). Les moments les plus importants restent Samhain et Beltaine. Le 31 octobre ou Samhain marque le début du cercle des saisons et annonce le début du Temps Noir. Cette fête trouve son origine dans les traditions des peuples Celtes, elle était donc perpétrée par les Gaulois. Samhain n’appartient ni à l’année qui se termine ni à celle qui commence : c’est un jour en dehors du temps qui permet aux vivants de ce monde de rencontrer les défunts du Royaume d’Ankou (l’au-delà), en contrepartie les défunts qui n’avaient pas encore trouvé le repos (généralement les morts de l’année) pouvaient passer dans le monde des vivants pour y retrouver les lieux et les personnes qui leurs étaient chers. Le 30 avril, Beltaine, également appelée Walpurgis dans les pays nordiques, marque le début de la grande marée où tout repousse et refleurit. Cette fête païenne réactualise l’acte primordial de la régénération cosmique. L’arbre symbolise l’ensemble des forces de la Nature domestiquées par les Ancêtres, les héros et les dieux primordiaux. Transporté dans les rues, l’arbre de mai distribue à tous les habitants la force qu’il contient. Les sabbats1019 correspondent donc à des fêtes païennes qui furent parfois reprises par l’Eglise. Ne pouvant extirper la fête de Samhain du coutumier populaire, l’Eglise la christianisa au XIe siècle, elle devint la Toussaint. En fait, il semblerait que les légendes liées aux nuits de la Walpurgis et de la Toussaint se confondent dans l’interprétation que nous en donnent les écrivains qui les ont exploitées. « De toute façon les morts ne ratent pas une occasion de revenir chez les mortels. Ils sont de toutes les fêtes primitives. Ils ont quartier libre une ou plusieurs fois l’an (Anthestéries) et vont se promener dans la cité, entrent dans les maisons, se faisant nourrir comme des mendiants, jusqu’à ce qu’ils soient chassés : « Hors d’ici, âmes, l’anthestérie est finie ». Même dans les civilisations évoluées, les morts archaïques reviennent annuellement parmi les vivants, et c’est le sens de cette pâle anthestérie qu’est notre « Jour des morts ». 1020»

Notes
1006.

LE BRAZ Anatole, La légende de la mort chez les bretons armoricains, tome 2, Genève : Librairie Honoré Champion, 1989, p. 61.

1007.

Ibid., p. 75.

1008.

MARKALE Jean, op. cit., p. 48.

1009.

BRIZEUX A., op. cit., p. 127.

1010.

VERHAEREN E., op. cit., pp. 210-211.

1011.

GAUTIER T., La Comédie de la Mort, op. cit., « La vie dans la mort », p. 37.

1012.

Op. cit., p. 142.

1013.

RIMBAUD A., op. cit., p. 31.

1014.

« Les souffrances de toutes les âmes cessent du 31 octobre au Jour des morts inclusivement » LE BRAZ A., op. cit., p. 75.

« Tous nos témoins s’accordent sur un point : les revenants sont les hôtes de l’hiver (...). Les manifestations commencent en général vers décembre, sont les plus nombreuses au solstice et diminuent dès mars, sans cesser tout à fait (...). Il est donc normal que les hantises s’accroissent en cette période de l’année, surtout pendant le cycle des Douze Jours (Noël, Jour de l’An, Fête des Rois) qui, en France par exemple, voit le passage de la Chasse infernale alors qu’en Scandinavie des groupes de trépassés parcourent les airs et dérobent la nourriture aux vivants. » LECOUTEUX Claude, Fantômes et revenants au moyen âge, Saint-Armand-Montrond : éditions Imago, 1986, pp. 142-143.

1015.

LECOUTEUX C. et MARCQ P., op. cit., p. 98.

1016.

Op. cit., p. 12.

1017.

PALOU Jean, La sorcellerie, Vendôme : P.U.F., 1957, p. 69.

1018.

« Les lieux de rencontre des sorciers se trouvent toujours auprès des monuments mégalithiques ou de ruines romaines. Le Diable et ses acolytes remplacèrent les Faunes et les Satyres. Les jours mêmes de Sabbat sont souvent le mercredi (Mercure) et le vendredi (Vénus). Me Maurice Garçon a justement signalé qu’un certain nombre de sabbats évoquaient les « ludi compitales » ; d’autres les Bacchanales. Et le culte phallique rendu au grand Bouc Noir n’est-il par la résurrection des Priapées ? » Ibid., p. 9.

1019.

Imbolc, le 2 février marque la fin du règne de la destruction et annonce les premiers signes du Printemps. Lughnasadh, le premier août, est le moment des moissons, quand les païens recueillent les fruits de ce qu’ils ont semé. Le reflux s’amorce et l’on sent imperceptiblement l’approche de l’ombre.

1020.

MORIN E., op. cit., pp. 161-162.