I.1.1. Les danses religieuses.

Dans la première catégorie, Germaine Prudhommeau distingue les gestes des processions et danses cérémonielles. Les gestes rituels, signe de croix, génuflexion, prosternation peuvent donner lieu à des évolutions complexes ; « actuellement encore, en peut voir des paysannes grecques ou roumaines se livrer à une véritable danse devant l’Iconostase en mêlant signes de croix, génuflexions et prosternations 1190». Le goût du spectacle chorégraphique et l’assimilation de rites païens ont conduit à la réintroduction de danses plus ou moins caractérisées dans les églises. Une première forme « consiste dans les évolutions plus ou moins complexes des servants de la messe : enfants de choeur, acolytes, diacres, voire prêtres, lorsqu’un évêque officie. Le caractère chorégraphique est tel, dans certains cas, que ces évolutions sont répétées avant la cérémonie, par exemple lors des fêtes de Pâques 1191». Les premiers protestants se sont élevés contre ce caractère quasi théâtral que prenait certaines fois la messe. Les danses d’enfants de choeur comprenaient des sauts, des figures représentant la croix... la plus célèbre demeure celle des Seises, en Espagne, qui est censée figurer la danse des anges au Paradis. Les danses des prêtres et des chanoines sont également nombreuses, par exemple, « ceux du chapitre d’Auxerre exécutaient un branle lors de la nomination d’un nouveau chanoine, avec un curieux jeu de balle ; à Sens, ils dansent deux par deux une carole dans le cloître en chantant des hymnes latins ; même chose à Chartres ; à Châlon-sur-Saône, le soir de la Pentecôte, ils font une ronde dans le petit cloître après avoir chanté le « Veni Sancte Spiritu » 1192».

Ces rituels dansés montrent que les lieux de prière n’étaient pas toujours destinés à la méditation et au recueillement, ils pouvaient s’accompagner de gestes et de chants ; la procession, quant à elle, représente « l’une des formes les plus anciennes de la danse, un geste non pas lié à une chorégraphie individuelle et stylisée, mais plutôt au principe même de la procession : la marche, qui, par le mouvement alternatif et régulier des jambes, par l’équilibre nécessaire du corps tout entier, se présente comme l’élément fondamental de la danse. Ces déambulations pouvaient admettre quelques instruments en tout cas des chants de conduite (conductus1193), auxquels participaient clercs et laïcs. L’Eglise devait trouver là un moyen commode, lors des grandes fêtes religieuses : Pâques ou Noël, fêtes de saints patrons, pèlerinages, etc... d’instruire le peuple sans l’ennuyer et même, pourrait-on dire, peut-être en le divertissant, lui proposant par la multitude des participants, l’apparat et la solennité du moment, un spectacle 1194». Le cloître, le terme « vient de la « procession de la Croix » qui se déroulait autour de la cour 1195», se prêtait fort bien à ces évolutions, mais ce n’était pas le cas des églises. « Aussi se voient-elles bientôt dotées d’un déambulatoire qui permet la procession en forme de croix. A l’extérieur des églises, la procession peut suivre un dessin varié qui se termine souvent par une sinusoïde. 1196» Enfin, les danses rituelles « effectuées autour d’arbres ou de fontaines, de sources guérissantes, participent du même goût pour la célébration et les évolutions dansées près des sanctuaires 1197».

Deux éléments importants caractérisent les danses sacrées. Tout d’abord, ces danses étaient exécutées par les membres de l’Eglise ou par des personnes, enfants de choeur, qui avaient un rôle à jouer dans le rituel religieux. « On a quelques cas où le peuple se mêle aux ecclésiastiques, mais c’est assez rare, et il ne semble pas que ce soit très ancien. A l’origine, il y avait séparation entre la danse des religieux, à caractère sacré, et celle des profanes. 1198» Deuxièmement, on sent dans les gestes des danseurs, l’influence de rites très anciens assimilés par l’Eglise ; dans tous les cas, nous voyons des danses basées essentiellement sur une chorégraphie de lignes, ce qui n’est pas surprenant puisque « la chorégraphie de lignes était la caractéristique essentielle de la danse des seigneurs. L’Eglise se place sur le même plan que la noblesse ; elle doit inspirer le même respect, doit être obéie comme eux 1199». Ces deux éléments expliqueraient pourquoi l’Eglise tolérait les danses nobles, mesurées et assez proches de ses propres pratiques et interdisait les chorégraphies moins retenues qui ouvraient la porte aux débordements.

Notes
1190.

Histoire de la danse, tome 1 : des origines à la fin du moyen âge, Paris : Amphora, 1986, p. 204.

« Iconostase : mur percé de trois portes et orné de tableaux du Christ, de la Vierge et des Saints, séparant, dans les églises orthodoxes, la partie où se tiennent les fidèles de celle où se célèbre la messe. »

1191.

Ibid., p. 205.

1192.

Ibid., p. 206.

1193.

« A partir du Xe siècle, le « conductus » est une « composition » non liturgique, qui accompagne les déplacements pendant l’office. De façon générale on appelle « conductus », « chant de conduite », ou « conduit », toute musique processionnelle : celle par exemple qui accompagne les mouvements scéniques importants dans les drames liturgiques et les « jeux » (...). Dans la musique polyphonique, le conduit est une composition entièrement originale (sans tenor liturgique), à deux ou trois voix, exceptionnellement à quatre voix, toutes de même rythme et de même texte. Souvent les fins de séquence sont enrichies de ritournelles sans texte, appelées « caudae », qui étaient peut-être confiées à des instruments ». CONDE Roland de, Nouveau dictionnaire de la musique, Malesherbes : éditions du Seuil, 1986, article « conduit », p. 130.

1194.

JULIAN Martine et LE VOT Gérard, « Approche des danses médiévales », Ballet Danse, L’Avant Scène, novembre - janvier 1981,p. 116.

1195.

KOCH Wilfried, Comment reconnaître les styles en architecture, traduit de l’allemand par Léa Marcou, Gütersloh (Allemagne) : éditions Solar, 1989, article « cloître », p. 102.

1196.

PRUDHOMMEAU G., op. cit., pp. 204-205.

1197.

JULIEN Martine et LE VOT Gérard, op. cit., p. 116.

1198.

PRUDHOMMEAU G., op. cit., p. 206.

1199.

Ibid., p. 204.