II.2.2. Les instruments et leur signification.

Nous retrouvons, au niveau des instruments, la division que l’on avait rencontrée lorsque nous avons étudié les différentes formes de danse. Les danses nobles et ecclésiastiques, mesurées ou destinées au culte divin, s’opposent aux danses populaires,

désordonnées et infernales. « Pour l’esprit médiéval, en général la réponse était claire, basée sur une logique de dualité. Dieu est le contraire du Diable ; le Ciel est le contraire de l’Enfer : ainsi, la musique de l’Enfer doit forcément être le contraire de celle du Paradis. D’innombrables images dans les manuscrits nous démontrent cette division entre musique céleste - en général le chant angélique accompagné à la harpe ou aux instruments à cordes - et la musique infernale - le plus souvent bruyante, au chalumeau, au tambour, à la trompette. 1347»

L’orchestre que nous trouvons dans l’édition de Guyot Marchant met clairement à jour cette dualité en juxtaposant la cornemuse, l’orgue portative, la harpe et le tambourin accompagné de la flûte. Les anges musiciens de Memling jouent de l’orgue portative et de la harpe. Instrument céleste, la harpe ainsi que les autres instruments à corde pincée, servaient également à accompagner la narration de faits héroïques. « On place indifféremment la harpe et la rote dans les mains des héros dont les poètes du moyen âge racontent la geste 1348». C’est ainsi au son de la harpe que Tristan nous fait le récit de ses peines. Ces instruments aux sonorités douces et reposantes disparaissent totalement des danses modernes1349, même Apollinaire leur préfère le son plus dérangeant du sifflet et de la cithare.

Inversement la cornemuse et la tambourin étaient perçus comme les instruments du diable, ils servaient en effet à animer les danses joyeuses, les danses populaires qui suscitaient parfois certains débordements. La cornemuse devait certainement rythmer les danses sautées puisqu’elle fut utilisée pour guider les personnes atteintes de spasmes. « Les cornemuses s’employaient pour accompagner la danse et pour ajouter à la gaieté des fêtes champêtres. Le Sackspfeiffer, ou joueur de cornemuse, était indispensable en bien des cas. Plus d’une fois il fut placé en tête des bandes de danseurs convulsionnaires qui se rendaient en pèlerinage à quelque chapelle placée sous l’invocation de Saint-Vict. 1350» Cet instrument, bien que très souvent ressenti comme diabolique au moyen âge, n’apparaît plus par la suite dans les mains du démon, sans doute a-t-il peu à peu cessé d’être utilisé.

Notes
1347.

WILKINS N., op. cit., p. 28.

1348.

KASTNER G., op. cit., p. 274.

1349.

Faut-il voir dans ces vers de Rimbaud une allusion à l’orchestre macabre ou l’orgue n’est-il mentionné que pour évoquer ses longs tuyaux froids ?

« Comme des orgues noires, les poitrines à jour

Que serraient autrefois les gentes demoiselles,

Se heurtent longuement dans un hideux amour. »

« Bal des pendus », op. cit., p. 31.

1350.

KASTNER G., op. cit., p. 203.