III. La fin du cauchemar.

III.1. Le retour au calme.

L’arrivée de l’aube annonce la fin du cauchemar :

« La nuit se désagrège, une aigre buée grise
Palpite, telle est l’aube en un frileux printemps. 1583»

Elle est accompagnée par un rituel religieux, « Benedictus, sonneur et sacristain, / Ouvre l’église, le matin 1584», il fait résonner la cloche qui « appelle l’Angelus : - J’éveillerai les morts à la vie éternelle 1585». En effet, le son des cloches, parce qu’elles sont rattachées à des édifices religieux, a le pouvoir d’éloigner les mauvais esprits qui poussent d’étranges hurlements pour effrayer les vivants : « lorsque l’horloge du clocher sonna une heure, les esprits se précipitèrent en hurlant dans leurs tombes. 1586»

« Les cloches des églises, baptisées et portant une croix gravée en relief, ont le pouvoir de chasser les démons et aussi d’arrêter dans leur vol les sorcières se rendant au sabbat. Selon Pierre Le Loyer, dans son D__iscours des Spectres de 1608 : « ... les diables ont en horreur le son des cloches et ne le peuvent souffrir. » Même aujourd’hui, dans les Carnavals du Pays Basque, par exemple, des personnages sonnent des clochettes pour éloigner les forces du Mal1587 _» « Au bourg », « le glas tinte », sans doute pour éloigner les morts qui, cettnuit-là, ont vidé leur cercueil. Le poète s’identifie-t-il aux âmes en peine, lui qui a « fui bien loin dans les vallées / Pour échapper au cri des cloches désolées 1588» ? De manière plus générale le son des cloches permet un retour à la norme et les morts, quittant leurs habits démoniaques, redeviennent ceux que l’on a pleurés.

Nous assistons au défilé des squelettes décharnés qui regagnent leur froide demeure avec résignation, guidés par celui qui sut toujours leur apporter la joie et qui dans ce triste moment, abandonne son violon pour prendre des allures de protecteur.

« Les morts à la hâte reviennent
Vers leurs tombes quotidiennes ;
Les uns en bandes et d’autres seuls,
Avec un pâle et frais linceul
De neige, autour des côtes.
Et le ménétrier est comme un hôte
Qui mène à leur couche chacun
De ses pâles et vieux amis défunts. 1589»

Le chant du coq « passait également pour dissiper les fantômes nocturnes et faire fuir les démons. C’est également au coq que revenait le soin d’annoncer aux sorciers la fin du sabbat et l’heure de regagner leur logis dans le plus grand silence 1590». Renforçant l’aspect diabolique des danseurs qui ont tenté le poète durant une nuit interminable, Fagus accompagne le son de la cloche du chant du coq. Ce dernier préfigure l’hymne dédié à la nature comprise comme une création divine :

« (...) Un coq chante dans le lointain,
Le brouillard se dissipe, et je vois les étoiles,
Qui s’effacent, d’un coup : Noël, c’est le matin !
En un grand coup de vent vient disperser la toile. 1591»

L’aube nouvelle qui libère le poète de ses désirs pervers rappelle la naissance du Christ et annonce l’amour qui habite chaque créature et l’embellit. L’aube possède donc le pouvoir de redonner vie au monde et nul doute que pour Fagus comme pour Barrault, la Mort appartienne au monde des ténèbres et soit perçue comme un personnage diabolique ; « la Mort fuyait sous les feux de l’aurore 1592», comme si elle pouvait être consumée par les rayons du soleil1593. La Mort de Flaubert avertit de même Satan du danger qu’il court en restant sur terre, « le temps presse, maître Satan, le jour va venir 1594». Si l’on en croit les légendes populaires, les démons qui ne se sauvent pas à l’arrivée de l’aube s’exposent à d’atroces souffrances. « Un conte de Gogol, Vij, rapporte un fait extraordinaire : les démons de la nuit n’avaient pas écouté le chant du coq et s’étaient retrouvés prisonniers, plaqués aux fenêtres et aux portes : « Alors retentit le chant du coq pour la seconde fois ; les monstres n’avaient pas prêté attention au premier. Dans leur effroi, ils se précipitèrent en désordre aux portes et aux fenêtres pour s’enfuir au plus vite. Mais il était trop tard ; tous restèrent collés sur les fenêtres et les portes par où ils voulaient s’enfuir ». 1595» Le comportement similaire des morts et des démons lors de l’approche de l’aurore renforce encore une fois l’impression selon laquelle nous avons assisté à un sabbat des trépassés.

Notes
1583.

FAGUS, op . cit., p. 139.

1584.

VERHAEREN E., op. cit., p. 214.

1585.

FAGUS, op. cit., p. 141.

1586.

NERVAL G. de, « La danses des morts », op. cit., p. 353.

1587.

WILKINS N., op. cit., p. 27.

1588.

BRIZEUX A., op. cit., p. 127.

1589.

VERHAEREN E., op. cit., p. 215.

1590.

VILLENEUVE R., op. cit., article « coq », p. 88.

1591.

FAGUS, op. cit., p. 142.

1592.

BARRAULT S., « La troisième danse macabre », op. cit., p. 15.

1593.

Dans la légende du roi Herla rapportée par Gautier Map dans son De nugis curialium, le roi des Pygmées disparaît au moment de l’approche de l’aube. « Cela dit et sans attendre de réponse, il se rendit tout à coup dans sa tente et, au chant du coq, partit avec les siens. » Ce détail « montre bien qu’il existe un rapport entre les morts et les nains : les visiteurs disparaissent au chant du coq. De multiples témoignages germaniques affirment que la lumière du soleil pétrifie les nains ; ce sont des êtres chtoniens et nocturnes. » LECOUTEUX C., Chasses fantastiques et cohortes de la nuit au moyen âge, op. cit., p. 83.

Les revenants peuvent être aperçus de jour, « mais alors ils sont rarement actifs car la lumière naturelle ou artificielle les prive de leur force. Un poème de l’Edda l’a bien exprimé : « Ne sois pas folle au point d’aller seule, fille de la famille des Skoldungs, jusqu’à la demeure des spectres ; la nuit, tous les ennemis sont plus puissants qu’à la lumière du jour. » Pour cette raison, les revenants cherchent toujours à attirer dehors ceux auxquels ils veulent du mal, c’est-à-dire loin de la lumière qui brille faiblement dans la salle commune ». LECOUTEUX C., Fantômes et revenants au moyen âge, op. cit., p. 143.

1594.

Op. cit., p. 175.

1595.

WILKINS N., op. cit., p. 91.