QUATRIEME PARTIE
BALS ET CARNAVALS

Après s’être initiée au sabbat, la mort va pénétrer dans le bal des vivants et participer au carnaval. Cette image, qui trouve son inspiration dans les danses macabres, va connaître une grande popularité dès la fin du moyen âge et sera fort appréciée des écrivains romantiques.

« Castil-Blaze note que dans le ballet ambulatoire dit Lou Gué, que le roi René d’Anjou, comte de Provence, institua en 1462, la veille de la Fête-Dieu, et qui dura jusqu’à la Révolution, il y avait un grand nombre de chars et de personnages historiques ou empruntés à la religion chrétienne et à l’olympe du paganisme ; en queue du cortège l’on voyait venir la Mort armée de sa faux, qui chassait tout devant elle et qui, par son aspect affreux inspirait des pensées philosophiques aux amateurs que les compositions drolatiques du bon roi René avaient pu divertir.  

Dans un autre ordre d’idées on peut citer les divers Triomphes de la Mort que l’on représentait à diverses occasions. Il se jouait au cimetière des Innocents le 2 novembre ; le Père Menestrier dit encore qu’en 1665 on le représenta à Plaisance dans l’église de Saint-Georges. On doit rappeler celui ordonné à Florence en 1580 par le peintre Pietro Cosimo. Cet artiste qui excellait dans l’invention des bacchanales, des pompes et des triomphes si recherchés en Italie, prépara cette fête dans le plus grand secret, dans les appartements du pape. Le soir d’un jour de carnaval on vit paraître au grand étonnement des habitants, un char traîné par des boeufs sauvages et peint en noir avec des croix et des ossements figurés en blanc. A l’extrémité du timon était un ange avec les attributs mortuaires, qui faisait entendre des sons de trompettes aigus et lamentables comme pour éveiller les trépassés. Sur le haut du char on voyait des tombeaux fermés, qui chaque fois que la procession s’arrêtait et que l’on entendait le son rauque et plaintif des trompettes voilées, s’ouvraient pour laisser sortir des personnages vêtus de noir avec des ossements peints. Ces squelettes s’appuyaient sur le bord du sépulcre et chantaient, sur des airs lugubres et habilement appropriés à la circonstance, des cantiques funèbres. 1617» Devant et derrière le char, venaient des gens vêtus de noirs et de blanc, portant des masques de têtes de mort. Pendant la marche, tous les assistants chantaient d’une voix tremblante le « Miserere ». Cette mascarade qui jeta l’effroi dans la ville au moment où elle se livrait aux plaisirs du carnaval, exploite les thèmes du sabbat que nous avons rencontrés dans notre partie précédente - les morts sortent de leurs cercueils au bruit d’une sinistre musique -, et emprunte à la danse macabre l’image du défilé funèbre.

La Mort a ainsi très souvent été mise en scène dans des spectacles tels que les mystères, les moralités, les processions et les fêtes populaires ; avec le carnaval, elle allait trouver un nouveau moyen d’expression. Transposant les fêtes de la rue dans leurs écrits, les écrivains romantiques vont faire entrer la mort au bal. Là encore, les danses macabres avaient montré l’exemple. Dans la danse de Lucerne, la mort vient, jouant du violon, chercher le chanoine qui semble assez résigné à la suivre ; dans cette même fresque elle interrompt l’orchestre et, au son de sa flûte, invite le couple de danseurs à venir avec elle. C’est ainsi qu’Alfred Rethel représenta la mort dans une de ses gravures qui illustrait l’irruption du choléra à Paris en 1831 : un squelette, enveloppé d’une robe de moine, joue d’un violon avec un os et s’introduit au sein d’un bal masqué. Cette gravure, qui eut un grand succès en France en 1848, illustre « un poncif romantique qui fera fortune. On le retrouve, entre autres, chez Gautier, dans le livret du ballet de Giselle, créé en 1841 : « Elle aimait trop le bal, c’est ce qui l’a tuée... Elle est morte... Morte au sortir d’un bal... La morte aux froides mains la prit toute parée, pour l’endormir dans le cercueil. » 1618»

La Mort, gourmande et sensuelle est donc présente au coeur même des plaisirs humains. Nous l’avions rencontrée lors des banquets et des orgies sexuelles du sabbat, nous allons désormais la retrouver « animant » le bal et passant au milieu du carnaval.

L’image de la mort s’introduisant dans le bal des vivants relève du fantastique littéraire alors que la présence de la mort parmi les masques du carnaval reflète les divertissements populaires, c’est pourquoi nous avons choisi de traiter distinctement ces deux motifs.

Notes
1617.

LOUIS M.L.A., op. cit., pp. 194-195.

1618.

BARGUES ROLLINS Y., Le pas de Flaubert : une danse macabre, op. cit., p. 33.